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09 avril 2024

Dans le cadre d'une série de seminaires citoyens organisée par Frédéric Petit, Député des Français établis en Allemagne, Europe centrale et Balkans, Jean-Dominique Giuliani tiendra une conférence en ligne sur le sujet des grands défis auxquels l'Union européeenne fait face en vue des élections européennes.

La politique européenne de défense d'hier à aujourd'hui

Discours prononcé le 15 avril à Rennes lors des 4ème rencontres de la Maison de l'Europe : "Une défense européenne"

 Vous mesurez la gageure que vous m’avez confiée de m’exprimer au milieu de tant d’experts et de spécialistes, moi qui ne suis qu’observateur généraliste de la construction européenne. Je  m’en tiendrai donc, avec beaucoup de modestie, au titre que vous m’avez confié et qui consiste finalement à exposer devant vous tout ce qui concerne l’Europe de la défense d’hier à aujourd’hui et j’imagine jusqu’à demain. Je vais donc essayer  de brosser très rapidement un bref survol  de ce qu’est devenu une Europe en construction dans le domaine spécifique de l’outil militaire au service d’une diplomatie européenne qui se cherche et qui est toujours naissante.

 



 




En réalité, il faut savoir d’où nous venons et ne pas l’oublier pour essayer de mieux comprendre où nous en sommes et d’envisager vers quoi nous allons.




 Avec un sens de l’opportunité qui vous est cher, Madame la Présidente, vous aviez anticipé beaucoup d’événements en cours qui nous poussent à réfléchir, à nous interroger sur l’Europe de la défense avec souvent des logiciels qui ne sont pas les bons. Vous avez évoqué, j’y reviendrai, l’Europe puissance. Mais il n’y a pas de consensus au sein de l’Union européenne pour projeter l’idée de puissance sur l’Europe.


N’oublions jamais que nous venons de très loin au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui était la dernière grande guerre civile européenne en réalité, et que nous avons dû à nos alliés américains le rétablissement de la paix et de la prospérité sur notre continent. Il faut l’affirmer clairement alors que, souvent le langage commun, journaliste ou politique, ne le dit pas comme cela. Nous venons d’un continent - il suffit de se référer aux images de l’immédiate après-guerre - qui était ruiné, qui avait inventé au XXème siècle les deux idéologies les plus terribles que l’humanité n’a jamais inventées et qui avait vécu les deux conflits les plus horribles : la première guerre industrielle de 1914-1918, puis le second conflit mondial qui s’en est pris aux civils. Alors la logique aurait voulu qu’en 2010 on ne parle que  d’une Europe pacifiée, prospère, aujourd’hui  le premier PIB dans le monde, qui est je crois le continent sur lequel la prospérité alliée à la solidarité, aux liens sociaux, à l’organisation de nos Etats et la coopération de nos Etats entre eux conduit à estimer que c’est le « continent béni des dieux » sur lequel on vit le mieux. Pourtant, normalement, cela nous était interdit après ce que nous avions fait.


Je crois qu’il ne faut jamais oublier - lorsqu’on parle de défense et lorsqu’on parle de nos nuances en matière de défense au sein de l’Union européenne - nos histoires propres et surtout notre histoire commune. Car n’oublions jamais que, sur le continent européen, il n’y a qu’une histoire commune. Il y a seulement des miroirs. Certains sont devant les miroirs, d’autres sont derrière, certains se cherchent, mais en réalité aujourd’hui, à l’heure des Etats continents, nous voyons bien que l’on doit aborder l’Union européenne comme une entité, même si elle se construit sur le respect de nos identités nationales, voire, en matière de défense, de nos souverainetés.


 



 




Voici donc une brève histoire de l’Union européenne en matière de défense : après une assez rapide reconstruction, l’alliance atlantique est en 1949 le cadre permettant d’assurer la paix sur le continent et de réintroduire toutes les nations dans le concert européen, y compris l’Allemagne. L’échec de la CED, projet vraisemblablement trop anticipé ou trop visionnaire, traduit les hésitations de notre pays,  les difficultés pour une France qui se cherche, après avoir connu la défaite, avoir relevé son honneur et qui souhaite retrouver son statut. Bien que la France lance l’idée de la Communauté européenne de défense c’est finalement son Assemblée Nationale qui décide de ne pas



la ratifier. Plus tard, d’ailleurs, elle marquera de nouveau cette perpétuelle oscillation par rapport au projet européen.en refusant le projet de Constitution pour l’Europe en 2005: idée française et puis refus français. Ceci  marque  cette hésitation permanente de la France qui a une vraie structure étatique et une véritable histoire militaire, à l’égard de cette construction tout à fait originale qu’est l’Europe qui nous conduit à partager nos souverainetés, ce qui est souvent  douloureux car nous avons l’impression d’amputer une partie de notre identité dans les délégations de souveraineté.


 



 


Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale donc , cette première tentative de créer une Europe de la défense par la Communauté européenne de défense proposée en 1950 par le Président Pleven qui a je crois marqué l’histoire de la région a été  rejetée en 1952 par l’Assemblée Nationale française. La défense de l’Europe  s’organise alors autour de l’OTAN. Un certain nombre d’institutions sont créées comme l’UEO puis l’Union européenne qui se concentre sur les questions économiques avec le traité de Rome en 1957. Puis une dizaine de traités européens ont suivi, traités qui organisent la coopération en Europe sur un mode très original de délégation de souveraineté avec des institutions qui ont des compétences supranationales jusqu’au traité de Maastricht en 1992 que l’on a retenu pour avoir jeté les bases de la monnaie commune mais qui, dans les plus importantes de ses dispositions aussi, jette les bases d’une politique étrangère et de sécurité commune et donne en quelque sorte le premier contenu juridique qui permet de commencer à parler de défense au sein de l’institution européenne.






 


A partir de ce traité de Maastricht, qui correspond d’ailleurs comme période historique à la chute du communisme, à la réunification de l’Allemagne, s’ouvre donc une deuxième phase en réalité où on commence à élaborer en matière de défense des institutions, des règles communes, à se donner des bases juridiques et si notre passé-présent  devait se diviser en phase, je dirais que :


-          jusqu’au traité de Maastricht, il y a une première phase où finalement la défense de l’Europe s’organise autour de l’OTAN (chacun essayant aussi notamment en France de reconstruire un outil militaire)


-          et qu’à partir de 1992, s’ouvre une phase où l’Europe se cherche en matière de défense tant il est vrai, qu’il ne saurait y avoir de politiques étrangères sans avoir une politique de défense au moins une stratégie qui permet d’appuyer une diplomatie.


C’est aussi quelque chose qu’on oublie trop souvent aujourd’hui lorsqu’on se plaint à juste titre que l’Europe ne parle pas d’une seule voix. On oublie un peu les leçons des Pères fondateurs de l’Europe. L’objet peut-être final. Peut-être qu’un jour on parlera d’une seule voix…


Mais l’objet principal des institutions européennes et de la construction européenne reste quand même de gérer nos diversités et de les gérer de manière civilisée et pacifiée autour d’une table. Donc n’oubliez jamais lorsque vous portez un jugement sur l’Europe qu’elle fonctionne et quand les journalistes, heureusement pas ceux de Ouest-France dont le Président Hutin nous rappelait hier soir l’éthique, veulent faire du sensationnel, à la veille de chaque Conseil européen, de chaque réunion européenne, c’est le titre toujours inévitable « l’Europe divisée ». Oui, l’Europe est divisée depuis des siècles et justement nous avons créé l’Union européenne pour qu’elle le soit moins ou que pour le moins elle apprenne à gérer ses différents, à gérer ses différences qui ne sont désormais plus, au niveau mondial, que des nuances avec des procédures, avec des institutions autour d’une table pour commencer, continuer inlassablement à bâtir un projet commun. L’Europe de la défense, c’est aussi cela, c’est laborieux, c’est difficile. C’est le domaine par excellence de la souveraineté nationale parce que l’on doit aller jusqu’au sacrifice humain, d’accepter en cas de danger, crise ou autre, qu’un Etat envoie les hommes mettre leur vie en danger au nom des valeurs de respect de nos intérêts. C’est donc quelque chose qui est particulièrement difficile à partager au niveau européen et vous voyez bien qu’en prenant ce point de vue d’entrée de jeu, je suis beaucoup plus optimiste que tous les jugements qu’on peut porter.


Lorsque nous jugeons l’Europe, nous ne nous trompons pas plus en matière de défense et je vais essayer de vous démontrer que beaucoup de progrès ont été faits depuis cette date de 1992, avec  les guerres de l’ex-Yougoslavie qui ont été comme une prise de conscience, partout en Europe et pas uniquement en Europe, de la nécessité à côté de nos principes juridiques, de notre volonté politique, de nos règles économiques au sein de l’Union européenne, d’avoir à répondre aux nécessités militaires dans les conditions les plus satisfaisantes pour l’Europe.


Les guerres de l’ex-Yougoslavie en quelque sorte accélèrent ce processus juridique donnant des bases à l’Europe de la défense avec notamment en 1998 le sommet de Saint-Malo qui réunit le Premier ministre britannique, le Président français, profondément marqués par ces guerres. Nous avons finalement réussi à ramener la paix dans cette partie de l’Europe mais au prix de tant d’hésitations, au prix de tant de difficultés que nous n’aurions pas pu le faire sans l’aide, une fois encore, de nos amis américains. Ce sommet de Saint-Malo en 1998, entre les deux responsables du plus haut niveau britannique et français qui sont les deux nations les plus en avance en matière de défense au sein de l’Union européenne, en tout cas au sein des 27 aujourd’hui, par l’outil militaire, par les dépenses qu’elles consacrent à leur outil militaire, par leur tradition militaire et par la liaison facile, traditionnelle qui est faite dans leur conception de l’Etat entre leurs armées et leurs diplomaties, ces deux nations européennes sur une base bilatérale décident que désormais il convient de bâtir une Europe de la défense. Du côté britannique, c’est une avancée conceptuelle extrêmement intéressante, et du côté français, c’est aussi la volonté de jouer une carte européenne en matière de défense.


Nous avons eu un autre traité après le traité de Maastricht, un traité un peu méconnu, en 1997 qui est le traité d’Amsterdam. Il renforce la politique étrangère et de sécurité commune, nous dote d’instruments, d’outils. C’est incontestablement un tournant auquel nous assistons avec toute une série d’événements.


Mais à partir de 1999, l’Union commence à parler de défense, à se fixer des objectifs en matière de capacité militaire. Elle doit être capable de mobiliser 60.000 hommes pendant 30 jours pour intervenir sur un théâtre extérieur. Nous voyons donc l’Union européenne petit à petit s’intéresser à la gestion des crises extérieures et s’y intéresser en commun.  C’est aussi une spécificité qui ne satisfera pas toujours notre esprit cartésien : lorsqu’on parle de défense européenne en tout cas sur le plan matériel et sur le plan juridique, il s’agissait jusqu’ici de gérer les crises des autres à l’extérieur pour protéger nos intérêts et diffuser nos valeurs de paix. Je rejoins en cela le titre de votre journée, « Quelle défense pour la paix ? ».


 



 




En réalité, l’Europe de la défense est conçue sur la base de ce qu’on appelle pour les techniciens les missions de Petersberg, c’est-à-dire qu’elle est d’abord conçue non pas pour défendre le territoire européen, puisque cela tout le monde considère que c’est l’OTAN l’outil le plus efficace, mais pour intervenir à l’extérieur, gérer les crises des autres, ce qui veut dire aussi en terme de sécurité du territoire européen nous pensons tous, plus ou moins, que l’OTAN reste l’outil principal de défense du territoire européen, même si la chute de l’Union Soviétique, la réunification d’une partie de l’Europe en 2004, nous conduit à constater que les menaces immédiates à nos frontières ont changé de nature et ne sont plus aussi pressentes que pendant la guerre froide.



 




 



 



 




De plus tout ceci se construit, se bâtit dans le respect des souverainetés nationales. C’est bien sûr la difficulté existentielle, essentielle en quelque sorte, de l’Union européenne en matière de défense : comme pour la politique étrangère, dans les traités depuis Maastricht jusqu’à Lisbonne, en réalité tout se décide à l’unanimité en matière de politique étrangère, en matière de défense. C’est-à-dire que les Etats membres entendent garder leur souveraineté pleine et entière et n’acceptent de partager au niveau européen finalement qu’assez peu de choses :



 




-          gestion des crises extérieures parce qu’il est clair qu’un Etat membre a de plus en plus de difficultés à intervenir tout seul,




-          primat de l’OTAN parce qu’on a besoin de standardisation, de travailler en commun, de faire voler nos avions en commun et faire naviguer nos bateaux avec les mêmes procédures mais aussi dans le respect des souverainetés nationales.


C’est le frein principal des progrès de l’Europe de la défense. Il est compréhensible. Sera-t-il un jour dépassé ? Nous y reviendrons certainement dans nos débats.


Evidemment le traité de Lisbonne qui est le dernier modifiant les dix traités européens continue à bâtir et à donner un certain nombre d’outils à l’Union européenne. Notamment, vous le savez, la possibilité en matière de défense de constituer à quelques-uns une coopération structurée et permanente, c’est-à-dire, permettre à certains Etats de réaliser en commun un certain nombre de politiques, notamment en matière de capacité militaire, en matière de projection, en matière de partage des outils, de mutualisation des moyens, qui leur permet dans le cadre des traités de décider, de collaborer à quelques-uns pour essayer de faire avancer l’ensemble.


 



 




Donc cette deuxième phase de l’Union européenne en matière de défense est marquée par l’apparition de l’Union européenne sur la scène stratégique. Contrairement à ce que l’on entend ou on lit trop souvent, l’Union existe. Elle a réalisé 23 opérations extérieures pendant ces 10 années, en réalité 15 années. Elle est présente bien sûr à travers des missions de polices, bien sûr à travers des missions d’interpositions, de rétablissement de la paix, des missions de formation. Elle est présente et a développé 23 opérations extérieures sous son propre pavillon, des Etats membres de l’Union participant en outre à un certain nombre de missions sous le drapeau de l’ONU. Donc, je pourrais évidemment vous donner toute la liste de ces interventions, mais pensons à la Bosnie où le



Général BEZACIER était avec certains autres dans la salle, pensons au Kosovo. Ce sont chaque fois des missions de l’Union européenne qui prennent le relais de l’OTAN pour assurer la paix, pour assurer la police, pour assurer le bon fonctionnement des institutions.


Donc c’est vrai parfois, on a le sentiment que l’Union européenne se spécialise dans les missions civiles plutôt que militaires. En réalité ce sont des missions civilo-militaires qui correspondent à une stratégie de l’Union européenne, écrite en 2003, modifiée en 2008 sous présidence française.


La stratégie de l’Union européenne, qui est une stratégie globale, mérite d’être connue.. Pour ceux qui ne la connaissent pas c’est une stratégie globale extrêmement moderne qui me paraît beaucoup plus adaptée au monde tel que nous le connaissons aujourd’hui et tel que nous allons le connaître demain, que bien d’autres textes que l’on peut lire en la matière (je me réfère parfois à la stratégie américaine ou à la stratégie russe). La stratégie officielle de l’Union européenne est beaucoup plus moderne que les autres parce qu’elle est globale et beaucoup plus adaptée à la situation. Tous les risques et les menaces qui pèsent sur l’Europe sont intégrés


                    le risque environnemental (regardez ce qui se passe au Japon. 22.000 soldats japonais sont mobilisés au service de la population et de l’Etat japonais pour le faire vivre. C’est quelque chose qui est déjà anticipé dès 2003 dans la stratégie européenne),


                    les risques sociaux,


                    les risques migratoires,


                    les risques bien sûr traditionnels (le terrorisme, l’agression, mais aussi les risques technologiques). On parle de cyber-guerre dès 2003 dans la stratégie européenne de sécurité élaborée sous la conduite de Monsieur SOLANA et modifiée en 2008 sous présidence française.


Cette stratégie européenne est donc une stratégie qui en réalité fait appel à ce qu’on appelle généralement le soft-power, c’est-à-dire la puissance économique, l’influence plutôt que l’outil militaire mais elle n’ignore pas pour autant la nécessité de l’outil militaire. Cette signature européenne civilo-militaire a finalement au cours de cette période et depuis 1992, au cours de ses missions à l’extérieur, permis de mener de nombreuses  interventions (je pense à certaines interventions en Afrique, où l’opération au Congo, l’opération Artémis, la première opération un peu difficile après l’ex-Yougoslavie de l’Union européenne permet de rétablir la paix alors que la situation semblait dériver vers quelque chose que nous avions connu auparavant autour des grands lacs avec les épurations ethniques).


 



 




Cette brève histoire de l’Europe est donc plus positive qu’il n’y paraît. Il faudrait bien sûr entrer dans les détails, regarder comment nous avons décidé de participer ensemble, nous Européens, à un certain nombre de missions. Ce qui est sûr, c’est que désormais l’Union européenne existe sur le plan stratégique avec ses propres spécificités, ses propres caractéristiques. Nous avons envoyé après la guerre russo-géorgienne des observateurs non armés pour essayer de pacifier la frontière entre les deux camps. Il n’y avait aucune autre entité politique au monde qui aurait été acceptée à la fois par les deux partis, ce qui prouve bien que petit à petit l’Europe existe.



 




Est-ce pour autant suffisant ? Nous avons le sentiment, avec le sentiment populaire courant, les événements récents nous le confirment, que nous vivons dans une situation dangereuse et que l’Europe n’est pas suffisamment engagée dans



le monde sur le plan stratégique, qu’elle ne pèse pas sur le plan militaire le poids qu’elle pèse sur le plan économique (une fois encore,, l’Europe des 27, c’est le premier PIB du monde. 15% de plus de richesse que les Etats-Unis. C’est 500 millions d’habitants. C’est la première puissance commerciale du monde, premier exportateur, premier importateur, premier marché de consommation du monde devant le marché américain). Evidemment nous n’avons pas ce poids, et évidemment nous, Français, rêvons de l’Europe puissance, une Europe pouvant,, avec les schémas que nous avons en tête, les schémas du passé, s’imposer et commencer, en France on le pense, à rivaliser un peu avec la puissance américaine pour pouvoir mieux défendre nos intérêts, dont nous avons toujours le sentiment qu’ils sont froissés ou que nous nous laissons imposer de l’extérieur un certain nombre de contraintes, et donc que les chiffres, les statistiques.


L’état actuel de l’Europe de la défense nous laisse penser qu’effectivement nous sommes dans une situation un peu dégradée par rapport à notre grand ami américain. C’est vrai qu’en matière de dépenses militaires, nous dépensons beaucoup moins que nos amis américains. Néanmoins, les 27 pays de l’Union ont sous les drapeaux 2 millions d’hommes (les Américains, 1,5 millions). Seuls les Chinois nous dépassent et on comprend pourquoi quand on connaît la situation démographique. Certes, les Américains dépensent en matière de défense plus de deux fois ce que dépensent les 27 pays de l’Union (entre 600 et 700 milliards de dollars chaque année pour les Américains – y compris les interventions extérieures – 210-220 milliards d’euros pour les Européens et nous avons en Europe des Etats qui dépensent environ 1,5 % de leur richesse nationale, de leur PIB, en moyenne, pour la défense, et traditionnellement nous pensons que c’est insuffisant. Ces 1,5  cachent en réalité de grandes disparités : le Royaume-Uni qui dépense le plus et la France qui est en numéro 2, à eux deux représentent pratiquement plus de la moitié de ces dépenses militaires. Si on regarde en matière de dépenses d’investissements technologiques dans la défense, le Royaume-Uni et la France, c’est deux-tiers des dépenses de recherche et de développement en matière militaire. Evidemment, ce décrochage entre la France, le Royaume-Uni et nos alliés de l’Union européenne, ,la France est très souvent critiquée dans notre pays . Le Général BEZACIER nous dira si la volonté européenne en matière de défense, d’avoir une défense commune, passe nécessairement et exclusivement par les questions budgétaires. Cela ne se résume pas à cela. Néanmoins, ces chiffres montrent bien que l’Europe reste une puissance pacifique. Alors que ces dix dernières années les dépenses d’armements dans le monde ont augmenté de 5 à 6 % par an, l’Europe dépense relativement moins pour sa défense, ce qui a pu faire dire au Président de la République à juste titre que l’Europe doit faire très attention à ne pas être le gros gâteau appétissant sur le plan économique au sein d’un monde en pleine mutation qui refuse de se défendre ou de dépenser de l’argent pour sa défense, au risque d’attirer les convoitises de nombreux d’Etats ou de personnes qui ne sont pas toujours nos alliés.


 



 




l’Europe continue donc à son rythme. Les événements récents montrent bien que les décisions du Conseil de Sécurité de l’ONU,  véritable percée conceptuelle en imposant et en commençant à donner une réalité concrète à ce droit de protéger les populations à l’extérieur de notre territoire, que les méthodes que nous avons choisies posent le problème de l’Europe de la défense sous un jour qui ne doit pas être celui des commentateurs trop rapides et de la recherche permanente de la puissance, mais qu’il faut vraisemblablement, au moment où la puissance devient relative dans le monde, où la puissance de l’outil militaire, on le voit pour les Américains, - c’est la thèse du Président Obama - , que la puissance militaire est elle-même relative, que l’Union européenne a une vraie spécificité et que nous devons à la fois, lorsque l’ on parle de stratégie et d’Europe de la défense, parler également de l’outil militaire mais aussi ne pas négliger l’autre aspect que nous avons su construire en Europe.



 




 



 



 




Un exemple et un chiffre pour conclure. Aujourd’hui l’aide au développement dans le monde, c’est 65% de crédits européens, et en Côte d’Ivoire où nos soldats viennent de s’illustrer très brillamment avec beaucoup de retenue, d’intelligence et d’esprit européen, c’est l’Union européenne qui dépense 500 millions d’euros par an au profit des populations. Ce mixte entre l’usage d’un outil militaire et sérieux, solide, professionnel et la réalité de ce qu’est devenue l’Europe - c’est-à-dire un continent pacifié qui recherche la paix, la stabilité et qui est prêt à y mettre les moyens - c’est vraisemblablement autour de ces deux actes qu’il faut trouver une signature européenne sur la scène internationale qui ne se résume ni à l’Europe puissance, un concept qui n’est pas partagé par nos partenaires, parce que les Européens sont guéris et pour longtemps de la guerre, mais ils sont aussi dans l’attente d’une signature européenne non seulement pour promouvoir et défendre nos valeurs mais aussi tout simplement pour mettre à l’abri nos intérêts, qui en matière de défense sont le moteur de notre action.



 




 



 SYNTHESE ET PERSPECTIVES


 



Le remarquable débat de cette journée n’est-il pas finalement – on a parlé d’Europe de la défense – le même que l’on pourrait avoir sur tous les sujets européens. Deux tiers de chacun des exposés expliquent pourquoi l’Europe de la défense n’existe pas, ne marche pas, c’est difficile et se termine pour un grand tiers pour exprimer notre optimisme et combien cela va marcher. Personnellement je crois, que c’est valable pour tous les sujets européens.



 




L’Europe est devenue tellement complexe, tellement administrative, tellement éloignée des citoyens avec plus de 10 traités, referendum, débats politiques plus ou moins biaisés où les partisans de l’Europe votent non, puis les opposants à l’Europe votent oui. On n’y comprend plus rien. C’est normal, même s’il faudrait s’efforcer de ne pas rester trop longtemps dans cette situation. C’est normal parce que c’est une construction totalement unique dans l’histoire de l’humanité. Il n’y a pas d’exemple de tentative – et je crois que nous avons dépassé le stade de la tentative – d’unir pacifiquement des nations souveraines et qui entendent le rester, persuadées qu’elles ne le seront plus tout à fait au bout du compte. C’est déjà très complexe comme objectif et je parle devant les militaires. Quand on fixe un objectif à un militaire il doit être clair. Là, ce n’est pas très clair, même sur le plan politique.




Il faut sortir de cette situation. Toutes les évolutions qui étaient en cours et qui sont finalement très rapides au regard de l’histoire de nos pays européens, ont été décrites magnifiquement. L’Etat français, c’est mille ans d’histoire. L’Union européenne, pour la France, c’est soixante ans d’histoire. Ce que nous avons fait en soixante ans était inenvisageable. Ce que nous venons de faire en deux ans sur le plan économique en Europe était, il y a deux ans, impossible à envisager. Moi-même qui plaidais pour une coordination des politiques économiques autour de l’euro, etc. une fois encore tout le monde expliquant que l’euro serait mort – souvenez-vous, à la fin de l’année dernière , l’euro devait être mort. Il n’est pas mort et en plus il a pris 30 % de sa valeur. C’est cela le projet européen et l’Europe de la défense, c’est cela aussi.


Un monde qui change très vite, une puissance de plus en plus relative, des contraintes budgétaires…  On ne peut plus faire tout seul alors on fait avec les autres, sinon on est sûr d’aller dans le mur. Quand on regarde les chiffres globaux, tous les pays du monde, toutes les zones du monde hélas, un peu moins en 2010, mais depuis dix ans, ont pratiquement augmenté leur budget de défense de 50%, sauf en Europe. C’est un sujet qui rejoint le citoyen, les questions politiques et budgétaires.


Il y a aussi un message que nous tous devons porter sur l’Europe et qui concerne aussi l’Europe de la défense directement. Je vous disais ce matin que nous vivions sur un continent béni des Dieux sur le plan économique, sur le plan des libertés et des valeurs, c’est le continent de Cocagne, on ne fait pas mieux dans le monde. Le traité de Lisbonne, la charte des droits fondamentaux, c’est deux fois la constitution américaine en terme de garantie pour les citoyens, c’est-à-dire que c’est écrit dans le marbre, dans les traités. On n’a pas le droit de piquer votre adresse Internet, on n’a pas le droit de voler votre identité numérique, on n’a pas le droit de faire travailler les enfants… Tout cela fait partie des valeurs européennes qui sont nos valeurs traditionnelles, celles  de notre nation française partagées avec nos partenaires britanniques, allemands, etc. et enrichies d’un corpus juridique européen qui est exceptionnel en qualité. On ne va pas encore mourir pour ces valeurs, vous avez raison. C’est la bonne question. Mais, si on interroge nos jeunes militaires et nos jeunes officiers, cela représente déjà quelque chose pour eux, parce que ces valeurs ce sont les nôtres. Ce sont celles aussi de nos nations qui sont un peu améliorées.


Les menaces, les dangers, des sollicitations immenses, ont été évoqués. Juste un mot pour dire qu’il y a une stratégie européenne de sécurité et de défense. Elle existe. Elle a été rédigée en 2003 par Monsieur Solana, corrigée à l’initiative de la France en 2008. Je ne saurais trop vous inciter à la lire sur Internet, c’est un document très complet qui fait part de tous les changements du monde et de tous les objets de sollicitation de l’outil militaire. Et déjà l’Europe de la défense, telle qu’on la définit, qui n’est pas bien sûr la défense de l’Europe, mais qui est déjà une politique commune, s’occupe de répondre à certaines de ces missions : maintien de la paix, sécurité civile, assistance humanitaire, etc. Nous sommes déjà engagés. Vous l’avez rappelé. Vous l’avez bien vu dans le témoignage vérité de l’ambassadeur d’Allemagne . Il a été très courageux de dire, comme représentant officiel de son pays, au cours d’un débat auquel j’assistais :., « Ecoutez, arrêtez de vous plaindre que l’Allemagne ne soit plus aussi militariste que par le passé. C’est quand même une bonne nouvelle pour vous ».


Si nous voulons être de vrais Européens, il faut que nous nous mettions  à la place de nos partenaires, non seulement allemands, mais britanniques aussi qui ont une vision du monde un peu différente, et de nos autres grands partenaires européens. Cela fait partie de l’esprit européen. On ne peut pas seulement demander de partager les budgets, il faut aussi partager les visions parce que nous partageons déjà les valeurs et nous partageons même les alliés puisque nos alliés américains – dans ce monde qui se dessine, avec les Etats-Unis, nous ne serons que 6 % de la population en 2050.


L’OTAN existera toujours, parce que nous en aurons besoin, parce que c’est la plus grande alliance militaire du monde, elle a des procédures, elle fonctionne. Si nous, Français, nous trouvons parfois que les Américains ont plutôt tendance à demander que l’on ait le doigt sur la couture du pantalon, tout ce qui a été décrit montre bien qu’en réalité non, si nous sommes responsables, si nous acceptons les efforts de défense qu’il faut faire, la paix est difficile, nous avons aussi notre mot à dire et notre quant à soi. La question américaine, à mon avis, est largement dépassée pour cette raison.


J’ai entendu dire que le centre géopolitique s’est déplacé. Permettez-moi juste un message. C’est la tendance, la vérité ce n’est pas cela. La vérité c’est que tout est en œuvre, les forces sont à l’œuvre pour que le centre géopolitique du monde se déplace dans le Pacifique. Pour l’instant ce n’est pas le cas. La richesse est chez nous. Europe plus Etats Unis, c’est 50% du PIB mondial. Ce sont les technologies, y compris de défense avec l’alliance de l’OTAN et américaine qui sont pendant trente ans incontournables. Personne ne les rattrapera quelle que soit la richesse des Chinois. Il ne faut pas prendre nos représentations, ni nos anticipations pour la réalité. Je reviens là sur le débat européen. C’est toujours pareil. Arrêtons de nous euro-flageller en permanence. On a l’impression que cela y est, c’est le déclin, on est perdu. Oui, nous devons faire face à de nouveaux défis, de nouvelles interventions, surtout depuis que le conseil de sécurité auto-reconnaît le droit protégé qui est en fait le droit d’ingérence. Oui, nous allons vraisemblablement devoir faire quelques opérations licornes supplémentaires.mais pour l’instant, personne d’autre n’ est capable de le faire, ni en Chine, ni en Inde, ni en Afrique. Il y a 10.000 soldats de l’ONU en Côte d’Ivoire et ce sont 1.500 soldats français qui règlent une affaire avec retenue, maîtrise et professionnalisme. Croyez-moi, cela va durer encore quelque temps. Les marins chinois qui se voient livrer des bateaux, des sous-marins pratiquement tous les mois - avant de savoir s’en servir - avant de savoir faire voler leur avion furtif – pour l’instant on ne l’a vu que rouler – il faudra du temps. Nous en avons. Il faut arrêter avec ce cynisme ambiant Si on aborde de manière plus dégagée toutes les questions relatives à l’Europe de la défense, je crois qu’à ce moment-là on est optimiste comme dans toute la fin de nos interventions respectives car nous avons des traditions, une expérience, des moyens que, pour l’instant, les autres n’ont pas.


 



 




Il reste une question qui a été très bien évoquée dans le discours philosophique que vous nous avez fait. C’est l’usage de



la force. Il y a – on le voit bien dans l’intervention de l’ambassadeur d’Allemagne – des traditions différentes en Europe. Il faut essayer de les comprendre car tout cela est en pleine évolution. Au Parlement européen, cela change très vite. Mais nous avons martelé dans l’esprit des Allemands, nous leur avons imposé – après la deuxième guerre mondiale, puis dans l’esprit des autres Européens – l’idée que la guerre était mal et qu’il fallait extirper l’Europe de ce mal irrémédiable dans notre histoire.Nous avons connu la plus longue période de paix depuis pratiquement  600 ans : 60 ans sans conflit majeur.


Durant ces 60 ans, nous sommes toujours en train de guerroyer quelque part dans de nouvelles formes d’intervention pour défendre nos intérêts certes mais aussi – et c’est nouveau – nos valeurs parce que les opinions publiques n’acceptent plus un certain nombre d’images qui arrivent jusque chez elles et qui sont des images de massacres, avec demande d’intervention auprès des pouvoirs politiques . Je crois que c’est effectivement une rupture historique. Désormais nous devrons intervenir non seulement pour défendre nos intérêts mais aussi parce qu’on n’aura pas le choix. Cette question de l’usage de la force au service du droit, c’est quelque chose qu’ il faut travailler pour le faire partager aux partenaires européens . Mais vous ne pouvez pas demander aux Allemands de revenir à un esprit militariste, eux-mêmes savent très bien qu’ils ne le veulent pas, parce que c’est dangereux pour leur société, et que, ce qu’ils ont connu, était une catastrophe et pour eux et pour nous. Vous ne pouvez pas demander aux pays qui ont été occupés par l’Union soviétique, voire dominés – certains comme les Pays Baltes qui ont été occupés – du jour au lendemain une conception de la force où il y a des prises de risques et où il faut jouer le jeu de ses partenaires sans avoir des garanties de sécurité importantes. Parfois, nous les négligeons, c’est pour cela aussi que l’OTAN est nécessaire et qu’ils la réclament. La question de l’usage de la force si bien décrite pose un certain nombre d’interrogations qui sont essentielles à l’Union Européenne.


Pour vous faire sourire, j’entendais à la télévision le général canadien, commandant l’opération de l’OTAN en Libye dire : « non je ne manque pas d’avions, le problème est qu’il y a trop d’avions en l’air. Il y en a trop en l’air mais il n’y en a pas assez qui vont au sol bombarder ». De fait, j’ai regardé et remarqué que les Espagnols avaient interdit à leurs avions de tirer et d’attaquer au sol, mais enfin ils volent, ils occupent l’espace. Les Italiens ont dit également : «  non on ne tire pas tant qu’il n’y a pas un vote du Parlement, et qu’en dehors des Britanniques, des Français, des Canadiens, des Norvégiens et des Danois, personne n’a le droit d’ouvrir le feu ». Il y a une question sur la légitimité de l’usage de la force. Pour nous, Français, cela ne pose pas de problème – et les Britanniques sont encore plus clairs que nous – nous devons faire attention à ne pas projeter notre modèle sur les autres brutalement en disant, vous êtes les méchants et nous sommes les bons, c’est nous qui avons raison. Il faut convaincre que l’usage de la force est conforme à ce qu’est l’UE à condition que ce soit une force  maîtrisée, retenue, professionnelle, légitimée. Et légitimée, elle le sera encore longtemps dans le cadre national. Je suis un Européen, je sais avec lucidité que ce sera encore comme cela parce que l’on meurt pour sa patrie et son pays, on ne meurt pas encore pour un pays qui n’existe pas, qui n’est pas totalement constitué sur le plan politique mais qui le sera peut-être un jour.


 



 




Encore une question à laquelle il faut répondre : « L’Europe a-t-elle un ennemi ? » Au regard du Parlement européen ou de la Commission européenne, nous n’en avons pas. D’ailleurs, dans la stratégie de sécurité de l’UE, on parle des terroristes, etc. mais c’est le seul point de faiblesse, en Europe on ne se connaît pas d’ennemi. Félicitons nous. C’est un des grands succès de l’Europe.



 




Mais en réalité cela traduit une réflexion insuffisante due au confort que nous ont donné l’alliance avec les Etats-Unis, puis la construction de l’Europe. Ce confort matériel est aussi à l’origine d’une sorte de petit abandon dans la mollesse confortable, alors que le monde se révèle aujourd’hui plus compétitif que jamais, que les géants s’éveillent. Comme par hasard, ils ont la taille des continents et plus des nations.




Nous allons devoir réapprendre, y compris nous-mêmes, que nous pouvons avoir des ennemis. Cela ne nous empêchera pas de les traiter en hommes de paix, en ayant des sentiments bienveillants à l’égard de tout le monde, mais aussi vigilants. Je crois que l’on rejoint là – peut-être – certaines des qualités du soldat européen.


En réalité, lorsque je regarde la construction européenne et les 60 ans que nous venons de vivre –je n’ai pas connu la guerre mais j’ai beaucoup parlé avec ceux de ma famille qui l’ont connue – il faut être modestes lorsque nous parlons de nos projets européens, notamment en matière de défense. Il y a toujours dans les constructions politiques, le temps de l’homme. Le temps de l’homme européen est aujourd’hui celui de la paix. Maintenant, il faut qu’il se reconstruise peut-être dans un monde qui est en train de changer très vite. Nous ne pouvons pas tout faire, tout de suite, tout le temps, et il faut que nous acceptions de vivre avec nos faiblesses, nos insuffisances. C’est comme cela qu’on réussira à construire l’Europe de la défense. Soyons dans l’attente comme le sont tous nos concitoyens, soyons exigeants, essayons d’aller le plus vite possible, mais soyons aussi réalistes, ne soyons pas désespérés et soyons positifs parce que nous avons déjà beaucoup progressé et je suis sûr que l’Europe de la défense progressera encore très vite au cours des années à venir.