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60ème anniversaire de la déclaration de Robert Schuman

Intervention de Jean-Dominique Giuliani à la cathédrale de Metz le 8 mai 2010

Il est difficile après des contributions de si hautes volées, d’essayer, comme vous me l’avez demandé, d’atterrir dans le concret et le quotidien de la vie de l’Union européenne qui vit quelques moments difficiles. Nos Chefs d’Etats et de Gouvernements se sont quittés ce matin, à 2 h 45, tentant d’enrayer une crise financière extrêmement grave, dont il ne faut pas sous-estimer l’importance. 



Chaque année que nous fêtons l’anniversaire de la déclaration du 9 mai, comme si l’âme humaine avait besoin de temps, nous prenons davantage conscience de l’importance de la rupture qu’a introduite, dans l’histoire du continent, la déclaration de Robert Schuman, le 9 mai 1950. Chaque année, nous découvrons un peu plus la hauteur de vue, la vision et en même temps l’ambition de cette déclaration.



J’ai parfois le sentiment, à observer le fonctionnement de l’Union européenne depuis cette date là, que nous ne faisons que bien gérer un formidable héritage.  



Ce que nous avons accompli en 60 ans est tout à fait considérable et Mme Vike Vaira-Freiberga a raison de nous inciter à davantage en être fiers ! Nous n’en avons pas conscience et nous ne voyons souvent que les Traités. Certes, il y en a 7 qui ont été conclus en 60 ans et aucune région du Monde n’est capable d’en conclure autant, en aussi peu de temps et d’aussi importants. Nos économies ruinées après la Guerre n’auraient jamais pu imaginer atteindre le niveau de développement qui est le nôtre aujourd’hui, c'est-à-dire à 27, le premier Produit Intérieur Brut du Monde. 24 % de la richesse sont créés sur le territoire européen. Pour les Etats-Unis, c’est 18 %. Ce modèle économique européen, extrêmement prospère a permis de générer peu à peu, de nourrir et de financer un modèle de solidarité sociale dont nous voyons tous les jours les limites mais qui, si nous franchissons les frontières, nous apparaît comme éminemment riche et généreux. Aujourd’hui, nous devons à la fois être fiers de ce qui a été accompli et nous poser la question de savoir si nous sommes à la hauteur de l’héritage que nous avons reçu. Nous nous sommes confortablement installés, je le dis d’autant plus que c’est notre génération en cause, dans une Europe en pleine croissance, prospère, solidaire, qui se développait de plus en plus, c’est vrai, plus rapidement à l’Ouest que sur ces marges de l’Est.  Elle est confrontée à un défi de même nature que celui que les Pères fondateurs de l’Europe devaient relever. C’est dire que si nous ne nous retroussons pas les manches, ce parapluie de l’Euro et pour être très concret le parapluie des protections sociales, la richesse de nos pays, tout cela risque de fondre comme neige au soleil, car désormais le développement économique est ouvert à tous et il faut d’ailleurs s’en féliciter. Comme par exemple, l’Afrique, dont nous parlions, qui va connaître cette année 5 % de croissance. 



La vérité c’est que le Monde entier se développe et que l’Europe s’est un peu assoupie, a posé son sac et s’est contentée de gérer un héritage. 



Pour moi, il y a deux manières de continuer à construire l’Europe : agir sous la pression des circonstances, mettant ici ou là de grosses rustines parfois solides, comme je crois Mme Merkel et M Sarkozy l’ont proposé hier soir à leurs collègues Chefs d’Etat, leurs Ministres vont le mettre en œuvre demain, ce qui permettra de rassurer sur la situation financière de l’Union européenne. Cela reste de grosses rustines collées sous la pression des circonstances et qui ne sont certainement pas à la hauteur des défis qui nous attendent pour l’avenir. 



La seconde, c’est d’anticiper les évolutions du monde et d’accélérer le processus d’intégration pour entrer plus résolument dans l’union politique. 



Je ne jette la pierre à personne et vois bien la difficulté d’aller plus loin. 



Jacques Barrot avec l’autorité qui est la sienne et l’expérience l’a rappelé : abandonner sa souveraineté pour accepter par exemple de discuter ensemble au niveau européen du budget de nos Etats avant de le soumettre à nos Parlements, n’est pas quelque chose de très facile et pourtant je suis à peu près certain que dans les années qui viennent vous le verrez. Abandonner nos principes de précaution, dont on a vu avec le nuage de cendres volcaniques qu’ils étaient vraiment très « précautionneux », parce que nous avons peur pour notre sécurité et les partager en commun. Avoir une seule instance de gestion du trafic aérien, avoir un jour une armée commune, qui sera la vraie garantie que l’Europe se construit peu à peu en puissance pacifique, ce n’est pas facile et c’est contraire à toutes nos traditions d’Etat-nation. 



Bien sûr, il ne m’appartient pas de faire la leçon à nos Chefs d’Etat et de Gouvernement, mais ce qui m’a beaucoup frappé à la lecture et l’expérience des Pères de l’Europe, c’est que s’ils avaient fait un référendum au moment où ils ont posé des actes aussi importants que la déclaration, je crois que les réponses auraient été négatives. Ils ont rendu leur noblesse à la politique en prenant leurs risques, en posant des actes modestes mais extrêmement ambitieux. Ce sont les peuples qui les ont plébiscités et c’est nous aujourd’hui qui les célébrons. Pour nous tous c’est une leçon pour l’avenir il faut être aux côtés de nos responsables, quelqu’ils soient, pour les pousser à se dépasser, à nous dépasser nous-même et essayer aussi à notre tour de laisser à nos successeurs un héritage dont nous soyons fiers.