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Quelle politique européenne pour le Moyen-Orient?

Séminaire au Sénat "Le Moyen-Orient à l'heure nucléaire" - 28 et 29 janvier 2010

Monsieur le Ministre,

 

Permettez-moi de vous remercier chaleureusement.

 

Permettez-moi aussi de remercier Mme Ben-Guiga, le Président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat et le Président Larcher d’avoir bien voulu associer la Fondation Robert Schuman à cet important événement. Nous en sommes extrêmement honorés.

 

Nous ne sommes pas, loin de là, des experts en questions relatives au Moyen-Orient mais nous le sommes pour les questions européennes. Je mesure aussi la difficulté que vous fixez à notre modeste panel, à savoir: intervenir auprès d’experts de haut niveau tels que vous-même M. le Ministre, qui avez mis vos talents au service du Traité de Rome et de la Commission des Affaires étrangères au Sénat et M. Javier Solana qui incarne à nos yeux tous les efforts européens en faveur d’une politique étrangère et de sécurité commune. J’étais à Bruxelles, il y a deux jours, on vous regrette déjà vous le savez car vous avez eu un travail extrêmement difficile dans une Europe où les institutions se transformaient. Le Traité de Lisbonne est désormais en vigueur, nous en reparlerons.

 

Enfin, difficulté supplémentaire de notre tâche, à cette même heure, Hillary Clinton, Secrétaire d’Etat, prend la parole à l’Ecole militaire à Paris, pour un important discours sur la sécurité en Europe. Je vois une fois de plus, combien le Sénat a le sens de l’opportunité car ici on s’occupe du Moyen-Orient et à l’Ecole militaire de sécurité européenne !

 

Nous essaierons de ne pas pratiquer la « langue de bois » et d’avoir une vraie discussion. Car la question se pose : une politique européenne est-elle possible au Moyen-Orient ? Existe-elle déjà ? Peut-elle exister et quelles peuvent être les conditions de son existence ?

En disant cela devant M. Solana, je ne voudrais pas redire tout ce qui a été fait. Jusqu’à présent, malgré une implication croissante, la participation de l’Europe pour la stabilité régionale au Moyen-Orient n’est demeurée que limitée ; pourtant elle y est de plus en plus impliquée et consacre de plus en plus de moyens financiers à la Région. On a dit qu’elle couvrait une grande partie des besoins financiers de l’Autorité palestinienne. D’ailleurs on a pu lire ici ou là dans la presse plutôt qu’un rôle de « global player », l’Europe était un « global payer ».

Voisine du Moyen-Orient elle doit définir ses intérêts de manière autonome et en tirer les conséquences dans l’élaboration, la conduite et l’accomplissement d’une politique qui devrait beaucoup différer du comportement suivi jusqu’à maintenant.

 

 

I - L’Union européenne, partie prenante au Moyen-Orient

 

Dire que l’Union européenne est partie prenante, la plus proche du Moyen-Orient, cela mérite aussi quelques précisions. Vous en donnez beaucoup dans le rapport sénatorial, mais ce qui saute aux yeux des observateurs est que cette proximité géographique s’est renforcée du développement, ces dernières années, des liens humains, économiques et financiers ; déjà, cela n’est pas sans effet politique. L’Europe est de plus en plus interpellée pour être politiquement présente au Moyen-Orient.

 

Vous rappelez dans le rapport que :

 

-         50% des approvisionnements pétroliers de l’Union viennent de la région.

-         27% des importations des pays de la zone viennent d’Europe.

-         35% des échanges commerciaux d’Israël se font avec l’Europe.

-         15% de leurs exportations sont destinées à l’Europe

-         L’Iran est le 6ème fournisseur de produits énergétiques de l’U.E.

-         Nos exportations vers le MO s’élèvent à 188 Ma $ et nos importations à 125 Ma $

-         Par exemple, les Emirats sont le 8ème client de l’UE en 2008, à égalité avec l’Inde, devant le Brésil, le Canada et la Corée.

-         L’Union et ses états membres sont les premiers donateurs à la Palestine (1 Ma €:/an).

 

Il y a donc des liens qui ne cessent de se renforcer obligeant l’Union à s’impliquer dans la situation au Moyen-Orient. En faisant des additions dans le sens où on ne les fait pas toujours, nous avons noté que :

 

-         Près de 6 000 soldats européens sont présents dans des opérations de maintien de la paix ou d’interposition ou de police au Moyen-Orient, dont 2 opérations en Israël et une en Irak.

-         Des accords commerciaux, de partenariats ou d’association ont été signés par l’Union avec nombre d’Etats de la région et même avec l’Iran, où vous le savez un dialogue commercial a été engagé.

-         La croissance démographique des pays de la zone est en relation avec une nouvelle immigration vers l’Europe.

-         La question de l’Islam radical touche aussi l’Europe.

-         Les relations avec les pays de la région sont sujettes à la résolution des conflits ou des crises actuelles ou potentielles.

-         Enfin, la question iranienne concerne la non-prolifération, la stabilité de la région et touche à la question religieuse (chiites-sunnites). Elle’est pas sans influence sur les relations avec l’Union européenne, notamment en matière nucléaire puisque c’est le thème que vous avez retenu pour ce colloque.

 

Au Moyen-Orient plus qu’ailleurs, l’Union européenne est face à elle-même.

 

 

II – L’Union européenne face à elle-même :

 

Elle a voulu modifier ses institutions avec le Traité de Lisbonne en vigueur depuis le 1er décembre pour accroître sa capacité d’intervention dans le monde, renforcer sa place sur la scène internationale, et je puis dire que les premières applications concrètes du Traité de Lisbonne, à l’aune desquelles on pourra juger de son efficacité vont vraisemblablement concerner des sujets relatifs au Proche et au Moyen-Orient. Evidemment, l’absence d’une politique étrangère vraiment commune n’a pas cessé d’affaiblir la position de l’Europe au Moyen-Orient

Incontestablement, il n’y a pas toujours de vue unanime de la part des Etats membres de l’Union européenne :

-         Les divisions apparaissent entre les diplomaties, entre neutres, partisans, «commerçants», puissances régionales ou visions mondiales au sein de l’UE, visions de la stabilité dans la région qui ne sont pas toujours partagées au sein de l’Union européenne et n’ont pas aidé à l’élaboration d’une politique commune.

-         J’ajoute que l’alliance privilégiée avec les Etats-Unis dont le rôle est essentiel, n’a pas aidé à bâtir une vraie politique étrangère de l’Europe dans la région, dans la mesure. C’est un phénomène que nous retrouvons sur d’autres théâtres, dans d’autres relations, je pense à la Chine ou à la Russie. L’Europe a du mal à définir ses intérêts spécifiques.

 

Lorsque affiche le premier PIB de la planète, 25 % de la richesse qui est produite au sein de l’Union européenne, on a des intérêts spécifiques. Quelqu’un a écrit, je crois que c’est Jean-Claude Casanova, il y a quelques semaines dans le Monde, un article très intéressant où il explique que la vulgate du discours transatlantique ressemble à un robinet d’eau tiède et cache la nécessité de définir ses intérêts spécifiques. Ce jugement s’applique à la politique au Moyen-Orient.

 

Le «Soft-Power» européen a longtemps fait office de politique de remplacement ; quand on voit ce qui a été fait durant ces 50 dernières années, on comprend que les rêves impériaux appartiennent au passé et nous n’avons pas envie d’y revenir et il est peu de dire que l’opinion a l’impression qu’au Moyen-Orient, il vaut mieux payer qu’être présent. On se donne ainsi bonne conscience mais cela ne donne pas une politique européenne à long terme.

 

- L’Union premier dispensateur de subsides et d’aide à la région

-
Elle rencontre un consensus pour l’aide aux populations, notamment palestiniennes, vous rappelez ces programmes dans votre rapport. 

-
Absence de crédibilité militaire et de possibilité de donner des garanties réelles aux belligérants qui signeraient la paix.

 

Nous avons vu avec l’opération Atalante au large de la Somalie, une initiative européenne, qu’il n’y a pas de fatalité et combien l’Europe pouvait répondre à des besoins précis même si tout n’est pas parfait. L’Union est l’initiatrice de cette opération internationale, même la Chine a rejoint cette force maritime internationale qui est composée majoritairement de moyens européens sous commandement britannique, ce qui prouve aussi que les choses évoluent ! 12 opérations de l’Union sont d’ailleurs en cours aujourd’hui à travers le Monde, montrant son implication croissante dans les affaires globales.

Donc l’Union est en quête d’influence au Moyen-Orient qui puisse lui permettre de compter et de peser.

 

-         Dans la question iranienne : Avec les missions Solana appuyées par le triumvirat franco-germano-britannique, l’Union a été utile dans le dispositif global, mais sans résultat jusqu’ici. Elle a prouvé qu’elle pouvait agir dans une question délicate, stratégique, globale.

-         Vous connaissez les positions de l’Union européenne, depuis la déclaration de Venise, la reconnaissance du droit à un état palestinien et les différentes prises de positions contre les attentats:

·        1980 : droit à l’autodétermination des Palestiniens

·        1999 : droit à un Etat

·        Condamnations des attentats (2.7.2008) mais

·        Condamnation de la colonisation (24.02.2009) et

·        Condamnation de l’opération à Gaza (4.01.2009)

 

Cela m’inspire immédiatement une réflexion : d’une part, l’Union paie et a envie d’agir. D’autre part lorsqu’elle agit elle agit auprès des victimes, des populations, elle n’agit pas comme un Etat, c’est la différence entre la position américaine et européenne et c’est aussi une différence d’ordre militaire.

 

III – Perspectives :

 

Conflit israélo-palestinien :

Y-a-t-il un message spécifique de l’Union européenne, comme la table ronde sur le terrorisme le laissait penser ? Les Européens n’acceptent pas d’être déshabillés par un scanner sous prétexte qu’il y a un risque dans les aéroports C’est ce qui a été dit ce matin. Je partage ce point de vue. C’est la controverse suscitée par  « la guerre à la terreur » qui n’est manifestement pas acceptée par les Européens. Y a-t-il donc une posture européenne spécifique au Moyen-Orient et quels sont les moyens que l’Union est prête à y mettre ?

 

-         L’Europe souhaite être présente dans un règlement de la question israélo-palestinienne. Elle apporte des moyens financiers ; mais elle doit être politiquement crédible par les deux bords, ce qui n’est pas le cas. Si l’Union européenne se penser comme une identité politique en constitution, une puissance en construction, ce serait peut-être plus facile.

-         Nécessité d’être crédible et respectée de tous les acteurs. Je pense qu’il faut apporter des révisions, dans la politique européenne au Moyen-Orient, pour viser cet objectif. Je suis très frappé par l’exemple de l’Allemagne, qui s’interdit, pour des raisons que l’on sait, d’être sévère avec Israël, mais qui est présente et respectée, comme le montre la résolution de cas de prise d’otages. Les services allemands qui ont la confiance des deux bords, s’y sont révélés bien utiles. Cela ne suffit peut-être pas à montrer une voie pour l’Union européenne. Je n’oublie pourtant pas que la Shoah a été commise en Europe et pas seulement sur le territoire de l’Allemagne et que cela impose à l’Europe une certaine retenue que je ne retrouve pas toujours dans les déclarations de ses leaders.

-         L’Union est-elle prête à s’engager militairement, à apporter des garanties tangibles ? On peut en douter mais la question est pourtant sur la table car elle est indispensable pour sa crédibilité.

 

 

Concernant l’Iran :

 

-         L’accession de l’Iran à l’arme nucléaire est aussi un défi pour l’Union car :

·        L’instabilité régionale est lourde d’un nouveau conflit potentiel

·        La prolifération nucléaire dans la région est extrêmement dangereuse tant que la paix n’est pas conclue ;

·        Elle affaiblit de facto le Traité de non-prolifération et les deux seules puissances nucléaires européennes : le Royaume-Uni et la France. La prolifération nucléaire aurait pour effet d’affaiblir les dissuasions française et britannique. Les deux puissances entendent garder leur indépendance, mais je n’ai pas oublié que deux Présidents de la République française ont solennellement déclaré que les intérêts vitaux de la France sont liés aux intérêts vitaux de leurs partenaires. Donc l’avenir des forces de dissuasion britannique et française concerne aussi l’Union européenne et sa crédibilité.

 

-         Les efforts européens ont marqué une présence nouvelle dans les grandes questions stratégiques, mais ils doivent trouver une suite concrète (embargo, sanctions, présence dans la zone ). La France a ouvert une base à Abu Dhabi. Ces intérêts sont donc revendiqués et clairement assumés.

 

 

Quant au Yémen, le Soft Power européen peut-il y trouver un terrain d’expérimentation avec succès dans ce pays, l’un des plus pauvres de la planète qui n’est pas encore un Etat démocratique ? Il y a un important programme de l’instrument de stabilité pour favoriser le «State building», qui s’élève à près de 280 millions €. Des questions sont essentielles à résoudre :

·        Les questions migratoires : immigration somalienne vers le Yémen,

·        Les liens avec la sécurité maritime dans la région et Atalante ?

·        La prévention du terrorisme.

 

Cela devrait être une priorité de l’Union européenne. L’Union européenne devrait s’investir davantage dans ce pays. Je m’arrête là pour ne pas couper l’herbe sous le pied de mes collègues en disant seulement que la nouvelle configuration américaine ouvre pour l’Union européenne des capacités d’initiatives. Un groupe d’états pionniers pourrait prendre des initiatives, ouverts aux autres Etats membres mais ne pas attendre que les procédures habituelles permettent des décisions un peu audacieuses pour contribuer plus positivement à la résolution du conflit Israël-Palestine.

 

Conclusions :

 

Israël-Palestine : L’Union doit saisir les nouvelles orientations américaines pour :

 

-         S’impliquer dans la résolution du conflit. Un groupe d’Etats-pionniers suffit en l’absence de consensus.

-         Se donner les moyens de peser financièrement, économiquement, mais aussi politiquement, c’est-à-dire militairement

-         Pour cela retrouver une crédibilité de puissance : ne pas être du seul côté de ceux qui souffrent mais aussi du côté de ceux qui veulent garantir leur droit à vivre en sécurité. Une réévaluation de la politique européenne est nécessaire.

 

Iran : L’Union doit mettre ses actes en accord avec sa posture stratégique et durcir sa position envers un Iran potentiellement nucléaire :

 

-         Sanctions unilatérales ?

-         Garanties données aux Etats de la région ?

-         Pressions et suspensions des relations commerciales ?

 

Yémen : L’Union doit s’impliquer dans la construction d’un Etat quasi-défaillant et faire la preuve de son efficacité.

 

 

L’Union doit s’assumer en puissance globale.

Au Moyen-Orient comme ailleurs, sa crédibilité d’acteur mondial est en cause, il faut qu’elle pèse positivement.

Première zone de production de richesses du monde, premier investisseur sur les marchés extérieurs, premier marché de consommation du monde par le pouvoir d’achat, elle ne peut se résoudre à assister en observateur aux développements moyen-orientaux. L’unité de ses prises de position est nécessaire, mais est indispensable la révision de sa politique qui, visant l’équilibre, n’a atteint que l’impuissance et la dépense.