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09 avril 2024

Dans le cadre d'une série de seminaires citoyens organisée par Frédéric Petit, Député des Français établis en Allemagne, Europe centrale et Balkans, Jean-Dominique Giuliani tiendra une conférence en ligne sur le sujet des grands défis auxquels l'Union européeenne fait face en vue des élections européennes.

Séminaire sur la Citoyenneté européenne CORK

Intervention de Jean-Dominique Giuliani

Intervention de

M. Jean-Dominique Giuliani

Président de la Fondation Robert Schuman

Dans le séminaire sur la Citoyenneté européenne

 CORK

1er septembre 2009

 

 

Nous avons tous parlé ce matin de citoyenneté européenne. Etre citoyen d’Europe qu’est-ce que cela veut dire ? Je crois que la réponse est double, elle est d’abord juridique, elle est aussi politique.

 

Juridiquement la citoyenneté européenne, cela veut dire quelque chose  de précis. Elle concerne les droits individuels de la personne, la justice, le droit pénal, le droit civil.

La citoyenneté européenne complète la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. Comme nos Etats souverains mettent en commun un certain nombre de compétences pour être plus efficace, nos citoyennetés nationales s’ajoutent et la citoyenneté européenne s’y rajoute. Aucun des Traités européens, ni la jurisprudence européenne, n’empiètent sur le caractère national de la citoyenneté.

Comment procède–t–on au sein de l’Union européenne lorsqu’on veut donner aux citoyens, des pays membres de l’Union européenne, des droits nouveaux ?

Chaque Gouvernement, à travers ses procédures propres, doit donner son accord ; c’est la règle de l’unanimité qui prévaut. Il serait donc faux de dire que l’Union veut bafouer le droit interne des Etats.

En revanche, il est logique et utile de tout mettre en œuvre, par exemple, pour essayer de faire en sorte que les décisions prises par un tribunal en Irlande soient applicables ailleurs afin qu’il ne soit pas possible de commettre un crime ou un délit dans un Etat membre et ne pas être poursuivi dans un autre.

Il faut donc que les Parlements et les Gouvernements nationaux donnent leur accord. Cela fonctionne ainsi dans le domaine de la citoyenneté européenne. Ce qu’on décide de bâtir petit à petit au plan juridique s’appuie sur un principe dit de reconnaissance mutuelle : nous sommes 27 Etats membres et nous reconnaissons réciproquement des droits qui sont attachés aux personnes dans chacun des Etats Membres.

Pourtant se construit peu à peu une citoyenneté européenne qui s’additionne avec la citoyenneté nationale. L’Union européenne ajoute de nouveaux droits, destinés à faciliter la vie des citoyens européens.

C’est de plus en plus nécessaire quand on sait que 8 millions d’Européens ont choisi de travailler dans un autre pays de l’Union européenne et que leurs droits leur sont souvent refusés quand ils ne vivent pas dans l’Etat de leur lieu de naissance.

En la matière, la Commission européenne vient de rendre public le 10 juin un important plan de travail pour les années qui viennent, le Programme dit de Stocholm.

C’est une proposition de la Commission que le Conseil des ministres et le Parlement européen devront adopter. Je le résumerai très brièvement.

 

1 - Sécurité : comment aujourd’hui lutter plus efficacement contre le terrorisme, combattre la criminalité organisée, lutter contre les trafics en tous genres ?

Ce n’est désormais plus possible au seul niveau de l’Etat national, aussi grand soit-il. Les criminels l’ont parfaitement compris. La mondialisation et les technologies permettent aussi de nouveaux délits transnationaux.

C’est évident pour le terrorisme, pour le trafic d’êtres humains (200 000 victimes dans le monde), le trafic de drogue, qui connaissent un nouvel essor du fait de la multiplication des échanges. Les Etats doivent travailler ensemble et l’Union européenne leur offre un cadre idéal pour cela.

Les premiers à coopérer ce sont les policiers, ce sont les juges. Ils doivent apprendre à travailler ensemble. Nous devons leur offrir aussi les procédures pour le faire. Tel est par exemple le cas du mandat d’arrêt européen. Au printemps dernier, un problème de garde d’enfant entre la France et la Russie a surgi. Une mère s’était enfuie avec son enfant dont le tribunal français avait donné la garde au père français et le tribunal russe avait donné la garde à la mère russe. La mère était venue enlever illégalement son enfant et elle a été arrêtée à la frontière entre la Hongrie et l’Ukraine grâce au mandat d’arrêt européen. C’est donc une procédure utile et nécessaire pour faire exister peu à peu un espace judiciaire européen qui réponde à nos impératifs de sécurité.

 

Nous avons besoin de décider des règles communes de coopération efficace en matière juridique tant au regard du droit civil que du droit pénal ou du droit commercial. Nous avons besoin d’avoir des règles européennes qui nous permettent de reconnaître dans un Etat membre les décisions juridiques prises au sein d’un autre Etat membre. Quelqu’un qui a fait faillite en France ne doit pas pouvoir ouvrir une société en Irlande, sans que son passif n’y soit connu, que les dettes contractées puissent être reconnues dans un autre Etat membre. Ce n’est qu’un exemple des multiples facettes de la citoyenneté européenne. Il y a encore beaucoup de travail à accomplir pour que corresponde au grand marché unique européen des règles juridiques stables et connues, compatibles à défaut d’être harmonisées.

 

2 - Droits fondamentaux.

Mais bien sûr la citoyenneté ce sont aussi les droits des personnes.

Nous partageons des valeurs communes qui figurent dans nos constitutions, dans nos droits nationaux, et qui méritent aujourd’hui, d’être consolidées au niveau européen.

En effet la citoyenneté européenne dans le « Programme de Stockholm » c’est une citoyenneté qui protège.

La peine de mort est interdite dans les 46 Etats du Conseil de l’Europe, c’est une spécificité européenne qui est une valeur fondamentale de l’Union, qui sera d’ailleurs consolidée dans le Traité de Lisbonne qui intègre la Convention européenne des Droits de l’Homme dans son droit positif. Parmi les valeurs de l’Union, dont découlent des droits spécifiques figurent aussi la parité-hommes-femmes, le principe de non-discrimination et les règles de l’état de droit, le respect des minorités et le principe de tolérance.

Dans la Charte des Droits fondamentaux, ces droits communs attachés à la personne de chaque Européen, sont déclinés en détail. Ainsi en est-il, par exemple, du droit au respect de la vie privée, de l’accès aux données personnelles figurant dans les fichiers informatiques, d’un grand nombre de droits économiques et sociaux. Il est regrettable que des gouvernements n’aient pas voulu ratifier cette Charte. Cela prouve qu’elle est contraignante et favorable aux droits de la personne.

 

3 - Immigration

Enfin, nous avons de grands problèmes de migration, question fondamentale faisant appel à nos valeurs qui est aussi un problème quotidien pour tous les pays méditerranéens. Aucun pays européen, aussi grand, aussi puissant soit-il ne peut aujourd’hui gérer seul ces problèmes.

 

Nous devons donc ensemble élaborer des règles européennes communes afin de respecter l’identité nationale, qui permettront à 20 millions d’étrangers vivant dans l’Union européenne et au 8 millions de clandestins vivant sur le territoire européen de pouvoir trouver un statut, de pouvoir, au besoin, être sanctionnés dans le respect des personnes. Nous avons 500 millions d’habitants et 900 millions de personnes qui transitent chaque année par le territoire européen. Cela exige des règles européennes. Les accords de Schengen, dont l’Irlande –hélas pour elle – ne fait pas partie sont un exemple de règles facilitant la vie des citoyens européens et permettant tout à la fois de contrôler les flux migratoires.

Le monde est devenu un village global et petit à petit l’Etat-nation est attaqué de toute part. Nous avons besoin de renforcer nos liens et nos actions communes tout en respectant l’identité nationale de chacun.

Je pense pour ma part que le seul moyen de vraiment protéger les identités et d’être vraiment patriote, c’est d’être plus européen et de partager l’efficacité pour pouvoir mieux protéger.

 

Dans ces domaines juridiques complexes, qui relèvent encore majoritairement des souverainetés nationales, la première responsabilité demeure aujourd’hui nationale. Elle n’est européenne que lorsque les gouvernements le souhaitent. Le Traité de Lisbonne permettra aux gouvernements de trouver dans les traités et les institutions communes des outils pour être plus efficace et résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés. Encore faut-il qu’ils le souhaitent et se conduisent en véritables européens.

 

Car, la citoyenneté européenne, c’est aussi une responsabilité politique et civique. N’étant ni un homme politique ni un responsable diplomatique mais seulement Président d’une Fondation européenne, j’ai ma totale liberté de parole. Ami de l’Irlande, je vais vous dire les choses telles que je les pense.

 

Etre citoyen européen c’est appartenir à une communauté de 500 millions d’habitants qui est la zone la plus riche du monde. Aujourd’hui le PIB de l’Union européenne c’est 22,6 % de la richesse mondiale, les Etats-Unis 21 %, la Chine 10 %. Et encore le PIB ne comprend pas tous les accessoires qui composent la qualité de la vie et que sont les infrastructures modernes, des trains à grande vitesse qui n’existent nulle part ailleurs (à l’exception du Japon et de la Corée), des systèmes de solidarités nationales protecteurs, contrairement aux Etats-Unis où 40 millions de personnes n’ont pas de sécurité sociale. Si l’on devait mesurer le Bonheur Intérieur Brut nous serions les champions du monde.

C’est ça l’Europe. Le fait de le dire aujourd’hui, c’est aussi le début d’une fierté d’appartenance. Si tous nos voisins veulent adhérer à l’Europe, il y doit bien y avoir une raison ! Et ce sont ceux qui sont à l’intérieur de l’Union, qui profitent de sa solidarité, de ses règles et de ses crédits qui se posent le plus de questions !

Etre citoyen européen, c’est donc être responsable, c’est être solidaire et c’est d’être à la hauteur des enjeux.

 

Etre responsable c’est, au prochain référendum, de répondre à la question posée et pas à d’autres ! Je sens bien que dans un mois, comme dans tous les référendums, les Irlandais sont tentés de répondre à une autre question et plutôt de sanctionner leur gouvernement que de se prononcer sur le contenu du Traité.

Pour être franc, je regrette d’ailleurs qu’on soumette un Traité à un référendum. Nous l’avons fait une fois en France, je ne suis pas sûr qu’on recommence un jour !

Les traités sont des documents juridiques complexes, rédigés par des experts pour des experts et à des fins juridiques précises. Il y a des personnes compétentes pour cela, ce sont les diplomates.

Un référendum doit poser une question simple et non des questions multiples. Il doit être l’occasion de trancher une question politique et non de se pencher sur des questions juridiques dont les réponses sont forcément nuancées.

Quoi qu’il en soit, il est important que les Irlandais répondent à la seule vraie question qui leur est posée : l’intégration européenne va continuer, avec ou sans l’Irlande. Les Irlandais veulent-ils continuer l’aventure européenne avec tous les partenaires qui leur ont fait confiance ?

Etre responsable est le premier devoir du citoyen européen, le deuxième est d’être solidaire avec ses partenaires.

 

Je dis les choses comme je le pense : l’Union européenne a beaucoup apporté à l’Irlande. L’Irlande a reçu près de 40 milliards d’euros et je suis certain que la situation économique de votre pays, aujourd’hui difficile, serait pire encore sans l’Union européenne et surtout sans l’Euro.

Moi qui suis un contribuable français j’ai payé des impôts pour l’Irlande et je suis fier et heureux de l’avoir fait. C’est donc un devoir et une responsabilité pour les Irlandais, de répondre à la confiance que leurs partenaires leur ont faite en manifestant au moins une simple reconnaissance. Ne nous décevez pas ! L’Irlande a besoin de nous et nous avons besoin de l’Irlande. L’Union européenne, c’est d’abord une solidarité politique entre les peuples.

Quand l’Irlande a adhéré à l’Union européenne son revenu moyen était de 45 % de la moyenne européenne. Grâce à son adhésion, il dépasse les 120%....

S’il devait y avoir un refus de l’Irlande de la réforme institutionnelle, dont nous avons tous besoin, les partenaires de l’Irlande seraient en droit de le prendre comme une insulte, de la désinvolture, voire un camouflet. Dire non à cette réforme, c’est aussi dresser les peuples les uns contre les autres, en préférant l’égoïsme national, car ce traité s’inscrit dans le cadre plus global du projet européen qui est avant tout un projet d’entente confiante entre des peuples qui partagent les mêmes valeurs, de plus en plus menacées par la mondialisation.

Le sort de 500 millions d’habitants ne saurait dépendre de la mauvaise humeur de 3 millions d’électeurs !

 

Etre responsables, c’est enfin être à la hauteur des enjeux.

Ce traité modeste, modifié après un premier refus, rend plus démocratique le fonctionnement de l’Union européenne. Les compétences de l’Union européenne y seront plus contrôlées, les droits des citoyens, renforcés. Mais c’est aussi un choix d’efficacité. C’est aussi, en matière économique, la seule possibilité de sortir honorablement de la crise terrible par la solidarité au sein de l’Union et de la zone Euro. Le système financier, comme l’ensemble des relations internationales, ont besoin d’une Europe plus forte sur la scène internationale.

Mettre fin à dix années de discussions institutionnelles est donc vital pour l’Union et au-delà, pour l’équilibre des relations internationales. L’enjeu dépasse largement les Etats membres et même la simple Union.

C’est d’ailleurs pour cette raison que le processus d’intégration européenne ne saurait s’arrêter, même après un non irlandais.

Vous devez être assurés que nous continuerons, avec ou sans vous. Nous préférons le faire avec vous, mais nous ne changerons pas de route si vous ne le voulez pas.

Dans cette Europe l’Irlande ne peut pas prendre le risque de s’isoler. Le Français européen que je suis sait que nous avons besoin de l’Irlande et  de ce qu’elle représente. Il y a un proverbe rural français qui dit « mieux vaut un petit chez soi qu’un grand chez les autres ». Aujourd’hui, il est démenti par les faits et ne correspond plus à la réalité. Il existe un grand « chez soi », c’est l’Union européenne. L’Irlande y a toute sa place. Qu’elle la garde, qu’elle la prenne. Qu’elle ne se replie pas sur elle-même. Qu’elle soit grande. Qu’elle dise oui au Traité de Lisbonne.