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Vers le réveil de l'Europe

Article paru dans "La Revue politique et parlementaire" (n°31) de septembre 2004

Ce n’est pas le goût du paradoxe ou un optimisme résolu qui doit nous conduire à poser cette question ; c’est l’analyse systémique du fait européen tel qu’il nous apparaît à la fin de l’année 2004.


Depuis la fin du second conflit mondial, l’unification de l’Europe progresse irrésistiblement, mais elle le fait par à-coups.


Elle connaît des phases d’accélération, dues aux hommes, aux circonstances ou à leurs rencontres. Winston Churchill, Robert Schuman, le Général de Gaulle, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac et leurs alter ego Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Helmut Schmidt et Helmut Kohl, ont successivement lancé l’idée d’unir l’Europe, réconcilié la France et l’Allemagne, donné un contenu politique aux institutions européennes et réussi l’Euro.


Elle connaît des phases de stagnation pendant lesquelles sa maturation semble plus lente. Croire que la cause européenne ne progresse pas pendant ces périodes serait une erreur. La mécanique d’intégration poursuit inéluctablement son travail. L’application des traités renforce le droit européen spécifique, continue sa tâche d’effacement des frontières et accroît la liberté des échanges et de la circulation des hommes. Pendant ces « respirations », l’Union semble reprendre ses forces et poser les conditions de l’élan suivant.


 


Nous vivons en apparence l’un de ces moments. En réalité se prépare un véritable réveil politique de l’Europe qui peut être facilité par quelques initiatives.


 


Ce n’est pas sans raison que l’Europe peut apparaître dans une période de marasme. D’abord à cause du contexte international.


La chute du Mur de Berlin a relégué l’Union européenne à sa dimension économique. Elle n’a pas trouvé sa place à côté de l’hyper-puissance américaine dont la force et l’influence se sont révélées décuplées par la fin du clivage Est-Ouest. Elle n’a, a fortiori, jamais compté comme un contre-poids.


Confrontée aux guerres des Balkans (1991-1995), elle a été prise de court. S’accrochant à la légalité et aux organisations internationales, elle s’est souvent vue marginalisée par l’imperium des Etats-Unis dont la politique extérieure, au même moment, inaugurait de nouveaux concepts, bien éloignés de l’isolationnisme de l’entre-deux guerres.


La crise irakienne a gravement altéré l’ébauche d’une politique extérieure commune et l’élargissement de l’Union a ouvert la porte à des partenaires très sensibles à la qualité de leurs relations avec les Etats-Unis.


 


Enfin la mondialisation et l’explosion technologique n’ont pas profité en premier lieu à l’Union économique et monétaire, lente à s’adapter et difficile à réformer. Les Etats-Unis ont connu une croissance sans précédent pendant la dernière décennie du XXème siècle, qui a accru le différentiel de revenu et de niveau de vie des deux côtés de l’Atlantique, qui avait tendance à diminuer.


Des pays émergents, en Asie et en Amérique latine, valorisaient davantage leurs positions de challengers et connaissaient un véritable décollage économique.


 


L’évolution de l’Union européenne elle-même a pu décevoir.


Après l’Euro, elle a semblé s’assoupir et les institutions européennes n’ont pas su proposer de perspectives nouvelles capables d’assurer une relance du processus d’unification, notamment de l’union politique.


Les alternances politiques nombreuses en Europe ont rendu plus difficile le fonctionnement d’accords privilégiés entre certains Etats membres, qui furent souvent les moteurs du mouvement européen. C’est le cas du couple franco-allemand.


L’entrée dans l’U.E. de pays ayant récemment recouvré leur pleine souveraineté a contribué à réhabiliter le fait national au sein des institutions européennes. L’intergouvernemental est à la mode, triomphant et incontournable. Il a vaincu à Nice et a failli réduire à néant le travail exceptionnel de la Convention européenne. La re-nationalisation des esprits et des politiques convient bien à certains pays – le Royaume-Uni, le Danemark- , à certains hommes politiques – S.Berlusconi, J.M. Aznar et V. Klaus -, ou à des situations politiques particulières – Pologne, pays baltes, Slovaquie.


Le Traité de Nice a symbolisé ce blocage de l’esprit communautaire, mis en évidence la faiblesse des marges de manœuvres des Exécutifs nationaux et démontré les limites des négociations entre gouvernements.


 


A tel point que nombreux sont ceux qui pensent que 2004 est une année noire pour l’Europe.


Les règles de « la vieille Europe » sont contestées et violées par ceux-là mêmes qui les ont édictées. Tel est le cas du Pacte de Stabilité, mais aussi de la politique de concurrence contre laquelle la communauté des affaires françaises a entamé un long combat.


Les élections européennes ont mis en évidence l’absence d’un vrai débat politique européen au profit des enjeux nationaux. Elles ont connu une abstention record (65%) qui pourrait marquer un réel désintérêt politique, surtout chez les nouveaux membres de l’Union où elle a atteint parfois près de 80%.


Le projet de Constitution européenne a nécessité de s’y reprendre à deux fois pour qu’un texte soit finalement approuvé.


En fait, peu de leaders politiques semblent vouloir attacher leur nom à de grandes avancées européennes comme si la contrepartie de la mondialisation était un repli sur l’espace étriqué et cerné des frontières nationales, voire régionales ou sur certains sujets de société bien spécifiquement nationaux.


La politique nationale est privilégiée au détriment des grands élans européens qui sont réputés ne pas intéresser les électeurs qui continuent à s’exprimer dans un cadre national.


 


Pourtant la construction communautaire a résisté à ces circonstances défavorables.


Bien plus, beaucoup d’éléments positifs sont en place, qui pourraient permettre un réveil politique de l’Europe.


 


Le nouvel équilibre international replace l’Europe au centre d’un échiquier complexe et évolutif.


La Russie recherche à l’évidence de nouvelles alliances et si elle ne peut que tenter de poursuivre son ancien dialogue avec les Etats-Unis, ses orientations récentes montrent qu’elle a tiré les conséquences de sa proximité géographique avec l’Europe. Sur le plan économique, elle est attirée vers ses frontières communes avec le plus grand marché de consommation du monde, gourmand en énergie et donc très intéressé par ses richesses minérales. Sur le plan diplomatique, l’Europe offre à la Russie la garantie de n’être plus perpétuellement tributaire d’un tête-à-tête inégal avec les Etats-Unis. Jouer cette carte avec intelligence, comme semblent l’avoir choisi Jacques Chirac et Gerhard Schroeder, redonne des marges de manœuvre à la diplomatie européenne. Un dialogue franco-germano-russe s’est institué, qui se poursuit. Accompagner la modernisation de la Russie avec quelques précautions, notamment envers nos nouveaux partenaires d’Europe centrale, s’inscrit dans une forte logique de développement continental indépendant. C’est évidemment un projet à long terme et l’avenir de notre grand voisin n’est pas forcément noir s’il passe par l’établissement d’une démocratie véritable.


 


Les pays émergents ont le souci de se distinguer de la puissance dominante. Ils multiplient les gestes envers l’Union. C’est particulièrement vrai pour la Chine, dont le développement nécessite l’accès aux marchés européens et un partenariat avec l’Union. L’entrée de la Chine dans le consortium Galileo, cette alternative satellitaire au Global Positionning System (GPS), doit être analysée à travers ce prisme. La Chine a besoin d’écouler ses productions de masse et d’accéder aux technologies occidentales que les Etats-Unis ne lui offrent pas facilement. Les relations sino-européennes sont plus proches du partenariat que les relations sino-américaines. La Chine ne peut pas refuser l’accès de son marché aux grandes multinationales américaines dont elle a besoin; mais elle impose facilement aux entreprises européennes des joint-ventures plus équilibrées qui préjugent de relations suivies. Tous les pays d’Europe sont intéressés au développement des relations avec la Chine. Non pas pour de simples raisons mercantiles, mais aussi pour des considérations stratégiques de long terme qui doivent garantir une présence européenne dans cette partie de monde en pleine mutation.


Il en va de même pour l’Inde. Historiquement non-alignée, elle est en mesure de renouer avec l’Europe des liens séculaires, largement délaissés dans la seconde moitié du XXème siècle. Son dynamisme économique, fondé sur de vraies compétences technologiques, un savoir-faire industriel certain et des ressources humaines très importantes, la désigne naturellement pour compter encore davantage dans le futur. Sous-traitant compétitif et de qualité pour les services les plus élaborés, le sous-continent connaît une croissance forte qui exige des liens avec l’Europe.


Les pays émergents d’Amérique latine comme le Brésil, le Chili, l’Argentine ou le Mexique, souhaitent aussi éviter un tête-à-tête avec l’Amérique du Nord et ne cessent d’appeler au renforcement de leurs liens avec l’Union.


 


Les pays pauvres, qui demeurent – hélas – si nombreux, tournent aussi vers l’Europe leurs regards intéressés. Ils savent que l’Union est la principale contributrice mondiale en termes d’aide au développement. Les liens historiques qu’ils entretiennent avec leurs anciens colonisateurs ont été normalisés depuis longtemps, ceux-ci demeurant les principales destinations d’une immigration à la mesure de la situation dramatique de certains d’entre eux.


Il n’est pas nécessaire de rappeler combien l’image de l’Amérique s’est dégradée


dans ces régions, spécialement dans les pays musulmans. Il n’est pas outrecuidant d’affirmer que si le camp de la liberté et de la Démocratie veut encore demeurer un modèle pour le monde, il ne peut pas le faire sans l’Europe. Elle est aujourd’hui mieux acceptée comme médiateur et plus légitime que l’Amérique. Elle est plus sensible à la problématique du développement.


Pour l’opinion publique mondiale, qui a fait irruption dans la politique internationale, l’Union de l’Europe est un exemple de paix et de prospérité qui dispose d’un vrai capital de sympathie et d’influence.


 


Au sein de l’Union européenne aussi, l’opinion prend une réelle importance. La crise irakienne a été l’occasion de voir apparaître une opinion publique européenne. L’hostilité au concept de guerre préventive a dépassé la simple réaction attendue. Les Européens ont « fourni » plus de la moitié des 35 millions de manifestants anti-guerre du premier semestre 2003 et des 3 000 défilés organisés dans le monde. Les plus gros contingents provenaient des pays soutenant les Etats-Unis et impliqués sur le terrain en Irak (Royaume-Uni, Espagne, Italie). L’opinion européenne s’est révélée à cette occasion plus complexe qu’il n’y paraît. Si les protestations ont drainé les traditionnels pacifistes, elles ont recruté bien au-delà. Comme si chaque citoyen se sentait comptable de l’expérience historique de l’Europe et du traumatisme des si nombreuses guerres du passé. Les protestataires ont été les propagandistes de l’idéal des Pères fondateurs et leur pression, qui est la véritable cause de la chute des gouvernements espagnol et polonais, a mis en difficulté les dirigeants britanniques et italiens.


Si l’espace du débat public en Europe demeure largement tributaire du cadre national, les mouvements d’opinion nationaux trouvent désormais une expression et des relais européens. Les manifestations européennes deviennent plus fréquentes. Pour certaines causes, comme l’environnement, l’Europe est la dimension naturelle.


Les référendums d’adoption du projet de Constitution européenne seront d’ailleurs l’occasion d’un pas de plus vers la formulation d’un débat politique européen. On pressent une véritable « européanisation » de la politique.


 


*


 


L’Europe politique elle-même semble se réveiller.


Le projet de Constitution pour l’Europe, adopté le 18 juin dernier par les chefs d’Etat et de gouvernement, n’est pas un simple traité de plus.


C’est un texte refondateur qui présente toutes les caractéristiques d’une véritable constitution. Il contient une importante déclaration de Droits, il concerne l’organisation des pouvoirs publics européens, il procède à une claire répartition des compétences entre l’Union et les Etats membres. Il sera ratifié par des voies solennelles.


 


L’article 2 du projet énonce les valeurs sur lesquelles se fonde l’Union dans une formulation éminemment moderne et large : respect de la dignité humaine, liberté, démocratie, égalité, état de droit, respect des droits de l’Homme et des minorités. Il en précise la portée en caractérisant la société européenne par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. Autant de valeurs qui nous semblent correspondre à l’évidence mais qu’on ne retrouve, ainsi additionnées, proclamées et constitutionnalisées, dans aucun autre texte de même nature dans les pays démocratiques.


En rappelant ces valeurs, le projet de constitution en décline les définitions contemporaines dans son Titre II qui incorpore la Charte des droits fondamentaux. Celle-ci livre le détail et les contours des droits et libertés concernés : de l’interdiction de la peine de mort, du travail forcé à la liberté de réunion, au droit d’asile, au droit de fonder une famille, en passant par les droits de l’enfant et des personnes handicapées, jusqu’à l’énumération des droits des travailleurs (négociation et action collective, accès aux services publics) et de ceux des justiciables (présomption d’innocence par exemple), ces 54 articles constituent l’un des textes les plus complets dans l’univers constitutionnel des pays démocratiques. Certains pays ont émis des réserves quant à son application en droit interne, mais elle figure en toutes lettres dans la Constitution européenne que le Juge européen aura à interpréter.


Cette déclaration des Droits ne manquera pas d’acquérir toute sa dimension politique en donnant à l’Union les références écrites des fondements de son action. Nul traité européen jusqu’ici n’avait rassemblé, ordonné et proclamé ainsi les valeurs fondamentales de la construction européenne qui mettent le citoyen au cœur du projet européen. Comme preuve de ces valeurs partagées, une clause de défense mutuelle est incluse dans la Constitution. Si on adhère aux mêmes principes, on est d’accord pour les défendre ensemble.


 


Par ailleurs, la Constitution européenne organise les pouvoirs publics européens en respectant le mandat qui avait été donné à la Convention de les rendre plus démocratiques et plus efficaces.


Les prérogatives du Parlement européen sont accrues, ses pouvoirs législatif et budgétaire renforcés ; il investira le Président de la Commission européenne. Le Parlement élu au mois de juin 2004 a déjà fait la preuve de sa volonté de peser davantage sur le plan politique. Il sera plus « turbulent ». Les citoyens voient leur droit de pétition consacré. L’exigence de transparence est proclamée et organisée, y compris à travers les parlements nationaux désormais susceptibles d’intervenir dans le fonctionnement de l’Union. La démocratie trouve largement son compte dans ces nouvelles dispositions.


 


L’efficacité aussi.


Si la présidence du Conseil des ministres continue à être exercée de manière successive, elle fonctionnera désormais par équipes de trois pays pour 18 mois et le Conseil européen est doté d’un présidence stable pendant la durée de deux ans et demi. Un ministre des Affaires étrangères de l’Union personnalisera la politique extérieure commune et, relevant à la fois de la Commission et du Conseil, assurera ainsi un rôle déterminant de cohésion et de synthèse. Un service diplomatique commun est créé, de même qu’une agence d’armement.


Le vote à la majorité est étendu de 37 à 80 domaines et cette majorité qualifiée est redéfinie : 55% des Etats représentant 65% des citoyens seront nécessaires pour emporter une décision par un vote au Conseil. Il pourra être appliqué à d’autres questions par accord unanime.


Enfin un tiers des Etats pourront décider d’aller plus loin ensemble dans l’intégration, y compris pour les questions de défense, dans le cadre des institutions européennes qui donneront leur accord.


 


La Constitution européenne n’aurait pas été complète sans une simplification des procédures et une clarification des compétences. C’est ce qu’elle fait en regroupant en un seul texte tous les traités européens et en dotant l’Union de la personnalité juridique. Une hiérarchie des normes, dont le nombre est réduit de 15 à 6, est organisée pour une meilleure compréhension et une véritable appropriation par le citoyen. Il y aura des « lois et lois-cadres » européennes et chacun saura ce que cela signifie.


La répartition des compétences entre l’Union et les Etats est désormais claire : tout ce qui n’est pas attribué expressément à l’Union est du ressort des Etats. Ces règles sont contrôlées par des instances politiques : les Parlements nationaux. Ils recevront toutes les propositions législatives de la Commission. Si un tiers des assemblées les composant estiment qu’elles empiètent sur leurs compétences, elles peuvent en demander le réexamen et le contrôle de la Cour de Justice.


 


Nul ne peut affirmer que le projet de Constitution n’introduit pas de débats politiques au sein des institutions de l’Union. Il est vraisemblablement le texte le plus politique que les Etats membres ont accepté depuis l’origine de la construction européenne. Il facilite le développement d’un véritable espace public européen.


 


Il ne manquera pas, par ailleurs, d’être l’occasion de vrais débats politiques au sein des pays membres puisque 10 d’entre eux ont d’ores et déjà décidé de le soumettre à référendum et qu’il est vraisemblable que plus de la moitié des Etats membres organiseront un vote populaire. Même l’Allemagne s’interroge sur la nécessité de modifier sa constitution pour permettre la tenue d’un référendum.


L’approbation par les peuples semble devenir la procédure solennelle de droit commun pour les questions européennes importantes.


27 référendums ont déjà été organisés en Europe. 6 seulement ont été négatifs dont deux d’entre eux ont fait l’objet ultérieurement d’un vote positif.  14 référendums d’adhésion se sont tenus au sein de l’Union qui a déjà connu 5 élargissements. Seuls deux d’entre eux ont été négatifs (Norvège à deux reprises). 12 référendums d’approbation de traités ont été soumis au suffrage populaire dont 4 ont fait l’objet de décisions négatives (le Danemark a refusé le traité de Maastricht avant de l’approuver, l’Irlande a fait de même avec le Traité de Nice, le Danemark et la Suède ont refusé l’Euro). Ce qui signifie, au regard des expériences passées, que les citoyens des pays membres, interrogés sur un Traité européen, ont, dans 78%  des cas, donné une réponse positive. En 1973, les Britanniques ont refusé, par référendum, de quitter le marché commun.


 


Il n’y a donc pas lieu d’aborder avec pessimisme le grand débat politique qui s’annonce en vue de la ratification du Traité instituant une Constitution pour l’Europe.


Les mouvements souverainistes font plus de bruit que de résultats. Aux dernières élections européennes, ils n’ont pas dépassé 20% des voix (14% en France). Le nationalisme nostalgique n’est pas une alternative crédible à la politique d’intégration européenne, il n’est souvent que le vecteur d’un vote protestataire ou d’un vote-sanction motivé par d’autres considérations que le refus de la construction européenne.


En 54 ans, l’Union européenne a atteint l’âge de la maturité.


Les débats portent désormais davantage sur le contenu des politiques de l’Union que sur l’intégration européenne elle-même. L’opinion européenne et les opinions publiques nationales ne s’interrogent plus sur le bien-fondé de l’unification de l’Europe dont le pouvoir d’attraction s’accroît à nos frontières.


Ce fait politique majeur devrait permettre de nouvelles avancées.


On sait que la défense commune progresse pas à pas, accélérée par la volonté américaine de se retirer d’Europe. En Macédoine, en Afghanistan, en Bosnie, l’armée européenne, sous drapeau européen, prend corps et se déploie. Les Européens découvriront bientôt qu’ils ont bâti patiemment un véritable outil militaire commun. C’est le début et la condition d’une véritable politique extérieure commune.


En matière d’environnement, l’Europe peut déjà être considérée comme l’ensemble politique le plus performant dans le monde. Le corpus de règles nouvelles en matière de protection de l’environnement est d’ailleurs l’œuvre la plus visible du Parlement européen. Au cours de la précédente législature, il a représenté 40% des textes législatifs adoptés.


Enfin, on sait qu’en matière sociale et pour les questions d’éthique, l’Europe apparaît comme un véritable modèle. Que ce soit pour l’interdiction de la peine de mort ou pour le développement des droits sociaux, l’Union est un espace exemplaire face au monde globalisé. Elle est l’espace au sein duquel la formation, la protection sociale, la solidarité, font partie du pacte social fondamental.


 


Autant de sujets qui conduisent à penser que les débats européens seront toujours un peu plus politiques et de moins en moins techniques.


 


Les conditions d’un réveil politique de l’Europe sont réunies.


 


Pour valoriser ces circonstances favorables, l’Union doit, pour sa part, réussir trois défis :


La Constitution doit être ratifiée. Des initiatives de coopérations nouvelles doivent être prises au sein de l’Union à 25. Elle doit tirer parti des évolutions du contexte international.


 


Une ratification par tous les Etats membres du projet de Constitution est possible. Les membres les plus anciens de l’Union ne sauraient rater ce nouveau progrès politique de l’Europe, qui était inscrit dans les traités dès l’origine. On voit mal les nouveaux adhérents, qui ont tous ratifié leur adhésion en 2003 par un vote populaire (sauf Chypre), démentir leur intérêt et leur enthousiasme d’avoir rejoint la famille européenne. Restent le scepticisme et les doutes habituels des grands pays. On n’imagine pas le Royaume-Uni, qui votera parmi les derniers, en 2006, prendre le risque de s’isoler d’un continent européen unifié désormais doté d’institutions politiques. S’ils aiment à se distinguer et à garder leur « quant-à-soi », les Britanniques ont toujours fait preuve d’un pragmatisme efficace pour ne pas s’isoler de l’Europe continentale. Face à une décision lourde de conséquences pour leur économie et leur influence, ils sont parfaitement capables d’adopter la Constitution, sur laquelle ils ont d’ailleurs tant pesé. Tony Blair a raison de faire confiance à ses concitoyens. S’ils confirment leur choix de l’Europe, le Royaume-Uni y sera incontournable.


 


La Constitution autorise ce qu’on appelle « les coopérations renforcées ». Plusieurs domaines devraient être concernés. On pense naturellement à la défense pour laquelle les Britanniques manifestent justement un intérêt nouveau. Mais on aurait tort d’ignorer les questions économiques. La nécessaire adaptation de nos économies au contexte mondial devrait naturellement nous conduire à développer des coopérations renforcées dans le domaine de la gouvernance économique, de la fiscalité ou de la protection sociale.


La France et l’Allemagne, longtemps moteurs de l’Europe, ont ici une mission essentielle à remplir en reprenant leur rôle d’initiateurs et de créateurs d’idées pour l’Europe. Pour cela il faut être des acteurs européens exemplaires et faire preuve d’un peu d’audace. Dans le passé, ce fut souvent notre partenaire d’Outre-Rhin qui piaffait d’impatience face à une relative timidité française et se targuait d’être un modèle. Aujourd’hui, la situation est inversée. L’attentisme d’un Chancelier affaibli rend l’Allemagne plus frileuse. Il faut espérer que l’amélioration de la situation économique libère les forces européennes de l’Allemagne et lui rende sa décontraction d’antan.


 


Enfin l’Union doit tirer parti du nouveau contexte international qui sera largement tributaire d’une inflexion de la politique américaine, justifiée par les difficultés qu’elle rencontre. Cela ne doit pas nous exonérer d’initiatives européennes fortes sur les principaux sujets d’actualité internationale.


Quelle que soit l’issue de l’élection présidentielle américaine, nous devrions retrouver une Amérique plus fidèle à ses principes et plus ouverte au dialogue. Il faut en profiter pour lui proposer de nouveaux objectifs partagés dans les domaines de l’aide au développement, de la sécurité collective et du règlement des conflits les plus aigus, par exemple au Proche Orient.


Le changement éventuel d’administration peut se révéler positif mais il ne réglera pas tout. Les Etats-Unis, s’ils veulent retrouver une place plus enviable dans la politique mondiale, sont obligés de procéder à un aggiornamento de leur politique extérieure. Les Américains le réclameront certainement à leur prochain Président. C’est l’occasion pour l’Europe de renouer un dialogue plus équilibré et plus constructif. Elle doit le faire sans hésitation, tant nos intérêts sont liés. L’Union doit proposer un partenariat transatlantique rénové et dynamique.


 


Au moment où l’économie européenne paraît devoir retrouver les chemins d’une croissance plus sure, ce sera un facteur supplémentaire de stabilité et de progrès pour l’ensemble des relations internationales.


L’Union européenne, forte de sa monnaie, de sa Constitution et d’un dynamisme retrouvé doit faire la preuve d’une volonté plus forte d’assurer sa présence sur la scène mondiale.


 


La France est bien placée pour y assumer sa place et y développer son action.


Au cours des derniers mois, contrairement à certains commentaires, elle l’a fait avec brio.


On doit à Valéry Giscard d’Estaing et à une délégation française de très grande qualité, le succès de la Convention européenne, c’est-à-dire un projet de Constitution pour l’Europe.


On doit à Jacques Chirac une posture internationale moralement inattaquable et des décisions courageuses dans la crise irakienne qui justifient notre engagement pour une Europe écoutée et respectée dans le monde.


On doit à Michel Barnier, notre ministre des affaires étrangères, une forte orientation pro-européenne de notre diplomatie et de notre politique extérieure, dont on peut beaucoup attendre.


 


A tel point qu’il est fortement probable que nous assistions, au cours des mois qui viennent, à un véritable réveil politique de l’Europe.