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Présidence française de l'UE : un nouvel élan pour l'Europe de la défense?

Article publié dans la revue "Confrontations", n°83, Juillet-septembre 2008

1998-2008 : dix ans se sont écoulés depuis la signature de l’accord franco-britannique de St-Malo qui permettait les premiers fondements d’une Politique étrangère et de sécurité commune (PESD). En l’espace d’une décennie, le contexte stratégique a fortement changé : montée de la violence au Proche-Orient, aggravation des tensions avec la Russie, érosion du prestige et de la puissance des États-Unis, sans parler des menaces plus transversales que constituent la prolifération nucléaire, le réchauffement climatique ou encore l’approvisionnement énergétique. Les Européens sont confrontés à un environnement plus menaçant suscitant de véritables interrogations pour l’avenir de leur sécurité collective. 



Face à cette situation, il est plus nécessaire encore que les États membres partagent une vision commune du monde et progressent dans la mise en place d’une véritable politique européenne étrangère de sécurité et de défense. Selon l’Eurobaromètre publié en septembre 2007, 75% des Européens interrogés soutiennent la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) tandis que 68% d’entre eux appuient la politique étrangère et de sécurité commune (PESC)[1].



Le président français, Nicolas Sarkozy, espère donc profiter de cette opinion favorable pour amener les gouvernements européens à assumer plus ouvertement les responsabilités internationales d’une Europe qui ne peut se contenter d’être seulement économique. Elle doit être à même d’assurer sa défense et sa protection pour défendre sa place dans le monde, ainsi que ses intérêts et ses valeurs. 



Pour Nicolas Sarkozy, « Face à l’ampleur des menaces et des crises, le développement d’une Europe de la défense efficace est une nécessité stratégique »[2]. Il est donc logique que la France ait fait du développement de l’Europe de la défense l’une des priorités de sa présidence du Conseil de l’Union européenne, au second semestre 2008. Elle est bien placée pour donner un nouvel élan à cette politique. 



La France, qui participe à toutes les politiques de l’Union, possède une culture de puissance, des capacités importantes sur le plan militaire ; elle est présente dans de nombreuses opérations menées dans le cadre des Nations Unies, de l’OTAN mais aussi de la PESD. Enfin, la France possède l’arme nucléaire et un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies. Depuis le début de la construction européenne, elle a toujours cherché à susciter l’émergence, sur la scène internationale, d’une Europe indépendante, à même de tenir son rang aux côtés des deux autres grandes puissances. Elle est généralement parvenue à combiner deux visions différentes de « l’Europe » : l’Europe des « Pères fondateurs », visant à mettre en commun les intérêts des États membres pour créer un intérêt européen et celle de l’Europe « multiplicateur de puissance », chère au Général de Gaulle[3]



Au fil des élargissements et de l’approfondissement de l’Union européenne, mais aussi après la fin de la Guerre froide, on a assisté à une érosion de la relation transatlantique et l’échelle mondiale est devenue incontournable. Néanmoins, les nouveaux États membres de l’Union européenne ont continué à considérer les États-Unis, par le biais de l’OTAN, comme la garantie de leur sécurité collective. Plusieurs États considèrent d’ailleurs que l’Alliance atlantique a une fonction politique d’équilibre entre les États européens. L’opposition entre les États européens sur la question de la sécurité s’est fortement manifestée lors de la guerre en Irak en 2003 : elle avait permis de montrer la divergence des positions européennes en matière de politique extérieure et le « télescopage » entre le projet de réconciliation continentale et celui « d’Europe puissance ». Toutefois, les gouvernements européens prennent peu à peu  conscience du fait qu’ils doivent se doter de moyens de défense propres pour protéger leurs intérêts sur la scène mondiale et renforcer leur influence politique sur les enjeux internationaux. A cet égard, une relation plus constructive entre l’OTAN et la PESD est possible.



Nicolas Sarkozy fait le pari que le rapprochement avec l’OTAN est la condition sine qua non d’une relance de la politique de défense commune : « Je souhaite que dans les prochains mois nous avancions de front vers le renforcement de l’Europe de la défense et vers la rénovation de l’OTAN et donc de sa relation avec la France. Les deux vont ensemble. Une Europe de la défense indépendante et une Organisation atlantique où nous prendrions toute notre place »[4]. Il est allé le dire au Congrès des Etats-Unis qui l’a acclamé. Pour lui, l’Europe de la défense ne doit pas être perçue comme un contrepoids à la puissance américaine et il a fait valoir les complémentarités stratégiques fonctionnelles et opérationnelles de l’Union européenne et de l’OTAN. L’Alliance atlantique doit être réservée aux interventions les plus lourdes qui dépassent le cadre géographique européen. L’Union européenne doit quant à elle être privilégiée pour les opérations sur le continent européen, où elle a vocation à remplacer l’OTAN, et pour les opérations civilo-militaires pour lesquelles elle dispose d’une plus grande expérience. Par ailleurs, les gouvernements européens doivent prendre conscience du fait que l’Europe n’est plus une priorité stratégique des États-Unis : leur sécurité ne peut donc plus reposer uniquement sur la présence américaine et sur une stratégie d’alignement passive. Ce rapprochement de l’OTAN et de l’Union européenne doit se faire parallèlement à un rapprochement de la France vers l’OTAN. La réintégration de la France dans la structure de commandement intégré lors du 60ème sommet de l’OTAN en 2009, lèverait ainsi nombre d’incompréhensions qui ne sont plus de mise et créerait un climat nouveau favorable à un effort européen. 



Pour avancer, l’Europe de la défense sera confrontée à un deuxième obstacle, celui des capacités[5] : les Européens ne dépensent pas suffisamment pour leur sécurité. « Nos deux budgets de défense [britannique et français] représentent les deux tiers du total de ceux des 25 autres pays de l'Union, et nos budgets de recherche de défense, le double. […] On ne peut pas continuer avec quatre pays [Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni] qui payent pour la sécurité de tous les autres »[6]. L’une des solutions pour inciter les États à augmenter leurs budgets de défense consisterait à créer des objectifs chiffrés, comme ce fut le cas pour l’Union économique et monétaire, dans le cadre des « coopérations structurées permanentes ». Ces objectifs seraient plutôt « à la carte » qu’ « au menu », de manière à saluer les efforts des pays les plus petits ou les moins riches. 



Le président Sarkozy pourrait également saisir l’opportunité de la présidence française de l’Union européenne pour lancer l’actualisation de la Stratégie européenne de sécurité de 2003, afin de mieux prendre en compte les évolutions actuelles de la situation internationale, et d’améliorer la capacité de planification européenne.



Cette volonté de faire progresser la PESD pourra s’appuyer sur les nouveautés du Traité de Lisbonne. D’une part, l’Union européenne disposera d’un représentant extérieur unique sur la scène internationale, le Haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, qui bénéficiera d’un service diplomatique européen et des capacités administratives et financières de la Commission. D’autre part, le nouveau Traité introduit deux clauses, l’une de défense mutuelle et l’autre de solidarité, et étend les possibilités d’actions de l’Union européenne. Par ailleurs, il introduit une « coopération structurée permanente », ouverte aux États qui s’engageront à participer aux principaux programmes européens d’équipement militaire et à fournir des unités de combat immédiatement disponibles pour l’Union européenne. Il consacre en outre l’existence de l’Agence européenne de défense, dans la perspective de développer une réelle politique européenne de l’armement et de coordonner l’effort d’équipement des différentes armées nationales. Enfin, le vote à l’unanimité restant requis, il assouplit les modalités de recours au dispositif des « coopérations renforcées » en matière de défense, qui consacre le principe de différenciation[7]



Restera aux Etats membres le chantier des équipements militaires. Dans ce domaine, il faudra certainement faire preuve d’imagination et de novation. L’ouverture des marchés de défense doit ainsi être réservée au marché européen. Il serait suicidaire, en termes de recherche et de technologies, d’ouvrir le marché au-delà des frontières de l’Union. Ce serait mettre en péril ses savoir-faire technologiques, pour lesquels il n’est plus possible de faire la différence entre civil et militaire. Toutes les technologies issues de la recherche militaire, notamment en matière aéronautique et spatiale, ont des débouchés civils qui dopent la recherche et donc l’économie toute entière. Une vraie réflexion doit être conduite qui manque pour l’instant. L’Agence européenne de défense peut en être le cadre pour peu qu’elle privilégie la coopération entre les industriels du secteur plutôt que l’intégration européenne pure qui nécessite un budget dont elle ne dispose toujours pas. Des exemples existent déjà qui sont prometteurs comme le programme Neuron d’avion sans pilote.



Dix ans après l’accord de St-Malo, toutes les conditions semblent donc réunies pour que l’Europe de la défense puisse prendre un nouvel essor, permettant ainsi à l’Union européenne de peser davantage sur les affaires du monde. C’est une question de volonté politique, de vision prospective. C’est même un devoir pour l’Union.






[1] Commission européenne, Eurobaromètre 66. L’opinion publique dans l’Union européenne, septembre 2007, 481 p.



[2] N. Sarkozy, Vœux aux corps diplomatiques, Paris, 18 janvier 2008, http://www.elysee.fr/documents/index.php?mode=cview&press_id=907&cat_id=7&lang=fr



[3] Voir T. Chopin, Q. Perret, « Le retour de la France en Europe… pour quelle vision de l’Europe dans le monde ? », Questions d’Europe n°62, Fondation Robert Schuman, 21 mai 2007




[4] Discours de N. Sarkozy lors de l’ouverture de la 15ème Conférence des ambassadeurs, Paris, 27 août 2007, http://www.elysee.fr/download/?mode=press&filename=embassadeur-27-08-07.pdf



[5] Voir J. Vaïsse, « Sarkozy au volant de l’Europe : ce qu’il faut attendre de la présidence française de l’Union européenne », juillet-décembre 2008, Questions d’Europe n°102, Fondation Robert Schuman, 9 juin 2008, http://www.robert-schuman.org/question_europe.php?num=qe-102



[6] Discours de Nicolas Sarkozy lors de l’ouverture de la 15ème Conférence des ambassadeurs, Paris, 27 août 2007, http://www.elysee.fr/download/?mode=press&filename=embassadeur-27-08-07.pdf



[7]Pour des éléments plus précis sur ce point, cf. T. Chopin, « Traité modificatif. La relance institutionnelle de l’Union européenne », in T. de Montbrial et P. Moreau-Defarges (dir.), Ramses 2008, (Dunod – IFRI, 2007).