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Conférence "Un printemps de l'Europe"

Discours de Valéry Giscard d'Estaing, 27 mai 2008, Théâtre National Bulgare « Ivan Vazov »

Monsieur le Président de la République bulgare, Monsieur le Président Jelev, Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les députés, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs et en particulier bien entendu, l’Ambassadeur de la République fédérale d’Allemagne et l’Ambassadeur de la République française,



Mesdames et Messieurs, je ne vois pas très bien (éclairage dans l’œil) et je ne pourrais pas ainsi vous distinguer un par un ou une par une, je le regrette mais peut-être pourrez-vous signaler tout à l’heure votre existence par vos applaudissements (applaudissements).



C’est un grand honneur pour moi de succéder à la tribune au Président Parvanov et d’intervenir, du moins je le suppose, devant de nombreux ministres et personnalités politiques de premier plan. Votre présence dans ce théâtre cet après-midi montre à quel point votre pays, la Bulgarie, s’intéresse à l’Europe et à son avenir. Et bien sur, je ne peux que m’en réjouir. Les pays fondateurs dont nous sommes, qui avons fondé cette grande aventure il y a maintenant plus de 50 ans, perdent parfois cet enthousiasme pour le projet européen, qui pourtant a amené les ennemis d’hier, des ennemis sanglants, acharnés et qui se sont déchirés pendant deux conflits mondiaux sur notre continent, à dépasser leurs différents et à construire l’extraordinaire espace de paix et de prospérité qu’est devenue l’Union européenne.



Quand on parle à de jeunes européens à l’heure actuelle et que l’on sent chez eux un certain scepticisme, on essaye de leur dire : « Mais vous savez, c’est une aventure extraordinaire : quand nous avions votre âge, on se préparait à la guerre ou on sortait de la guerre ». Et finalement, cela ne les concerne plus. La paix est tellement entrée dans les habitudes d’esprit des nouvelles générations que le fait d’avoir un continent pacifié est une chose qui paraît aller de soi. Et pourtant, c’est une grande aventure historique puisque les dernières cinquante années ont été les seules, depuis de nombreux siècles, où l’Europe n’a pas connu de guerre sur son territoire. Et vous qui êtes nouveaux – vous avez l’ardeur des nouveaux membres, l’enthousiasme des néophytes et j’espère retrouver parmi vous cette ferveur, qui est si nécessaire au progrès de l’Europe. Car l’Europe n’avancera pas dans l’indifférence de ses peuples : elle avancera avec le soutien enthousiaste de ses peuples !



Un peu plus d’un an après son adhésion, la Bulgarie est aujourd’hui, un membre à part entière, à l’égale des autres de l’Union européenne. Même si l’adhésion, on l’a dit tout à l’heure et Monsieur le Président Parvanov l’a rappelé, s’accompagne de certaines difficultés, en particulier dans le domaine de ce que l’on appelle la Justice et les Affaires Intérieures, la Bulgarie a pris sans délai dès son entrée toute ses places dans les institutions, à la fois au Conseil, où elle siège, au Parlement européen où elle est représentée et à la Commission. Et je voudrais en particulier souligner le rôle positif et important de la Commissaire Madame Meglena Kuneva ; je vous demande de l’applaudir (applaudissements). Elle m’avait dit hier soir qu’elle serait là. Elle avait été à la Convention européenne et elle n’était pas dans les premiers rangs car c’était classé par ordre alphabétique (et la lettre K était un peu loin). Mais je l’observais (c’était tout d’abord un spectacle charmant) et je pouvais ensuite vérifier son assiduité. Elle m’a dit hier qu’elle avait trouvé les travaux de la Convention européenne aussi intéressants, et peut-être plus intéressant que ceux de la Commission. Mais il est vrai que les travaux européens, les débats européens sont souvent confinés à Bruxelles, à Strasbourg et à Luxembourg, c’est-à-dire après tout assez loin de vous. C’est d’ailleurs sans doute une des raisons du sentiment d’éloignement qu’éprouvent les citoyens à l’égard de l’UE. Je vous en dirai un mot tout à l’heure. On voudrait que l’UE soit plus proche des citoyens, mais comme il y a 500 millions de citoyens, comment voulez-vous que l’UE soit proche individuellement des citoyens ? Ce n’est pas possible. Il peut y avoir un climat de compréhension, d’intérêt, de rapprochement mais naturellement quand on laisse croire que cela peut être une relation individuelle, c’est tout à fait utopique. Mais un grand mérite de la réunion de cet après-midi est d’amener le débat européen à se tenir ici, à Sofia (la capitale la plus excentrée du dispositif européen) et qu’elle va permettre un débat à l’initiative de l’Allemagne et de la France (les deux pays les plus peuplés d’Europe) qui ont choisis de se réunir ici, en Bulgarie. C’est pour cette raison que j’ai accepté d’y participer malgré un rhume que j’ai attrapé dans le centre de la France (et pas du tout en Bulgarie) et je tiens à remercier les ambassadeurs de France et d’Allemagne pour cette initiative remarquable qui nous remet en mémoire les grands personnages qu’on été Robert Schuman et Konrad Adenauer. Nous avons un Ambassadeur des Etats-Unis à Paris qui est extrêmement sympathique et un jour je lui disais : « C’est extraordinaire la manière dont les Etats-Unis à leur origine – 1775 à 1790, on pu réunir un nombre si important de personnalités exceptionnelles. Les Founding Fathers américains ont été des personnalités exceptionnelles. Cet ambassadeur me répondit alors : « C’est vrai ce que vous dîtes, mais nous avions mis toutes nos personnalités exceptionnelles au moment de la fondation et nous n’en avons plus depuis ! ». Alors je ne voudrais pas que pour l’Europe cela soit la même chose. Nous avons eu Robert Schuman, Konrad Adenauer, Monsieur Alcide de Gasperi, on aurait pu citer le belge Paul-Henri Spaak, etc. ; ces derniers étant les fondateurs, il nous faudrait des continuateurs.



Le sujet de cette conférence, c’est un printemps pour l’Europe. Pourquoi ? Tout d’abord, parce que nous sommes au printemps et que c’est une saison d’éveil. Eveil de la nature, éveil des sens, éveil de l’enthousiasme. Ainsi, pour parler d’Europe, il est bon d’en parler au Printemps. C’est aussi parce que nous sommes en cours d’approbation du Traité de Lisbonne. Cette approbation n’et pas achevée comme vous le savez mais la Bulgarie a ratifié à l’unanimité le Traité de Lisbonne malgré les différences qui peuvent exister entre ses partis politiques et il n’y a plus que deux « obstacles » sur la route : la Grande Bretagne, qui s’est engagée à le ratifier par voie parlementaire et qui dispose d’une majorité pour le faire ; l’Irlande, qui s’interroge souvent sur les étapes de l’UE mais dont la population (à 70 %) déclare être pro-européenne. Au total, il me semble que ces obstacles seront surmontés. 



Ce projet européen, il faut le prendre pour ce qu’il est : c’est un projet politique. Ce n’est pas un projet bureaucratique ou économique comme on le croit parfois. C’est un projet politique qui essaye de répondre à une question très difficile : comment les 500 millions d’habitants du contient européen, qui sont très différents (par leurs langues, souvent par leurs origines et conditions économiques) vont réussir à vivre ensemble et à se gouverner ensemble ? C’est un projet politique. Et les projets politiques ne se règlent pas par de petites initiatives ou des petits arrangements : ça se règle par une vision commune que l’on finit, à un moment ou un autre, par partager. L’intérêt pour nous (nous avons une sorte de chance historique) est que la première raison de faire l’Europe s’éloigne (bien qu’un peu moins dans les Balkans) : la crainte des violences et de la guerre. Mais dans l’ensemble de l’Europe, cette crainte a disparu. Par contre, il existe une nouvelle aspiration pour le projet européen : l’aspiration de la dimension. Nous sommes dans un monde qui se réorganise, d’ailleurs de façon tout à fait extraordinaire. Il constitue de grands ensembles (comme la Chine, l’Inde, les Etats-Unis d’Amérique). De grands ensembles qui ont été secoués par des catastrophes naturelles et tragiques (le cas de la Chine récemment) dont nous devons nous sentir solidaire. Quant à nous, sur l’extrême pointe de la péninsule européenne, nous sommes 27 pays de taille petite et moyenne qui ne peuvent pas continuer à vivre, à défendre leurs valeurs et voire même à exister au sens fort du terme (à représenter quelque chose pour les autres) s’ils ne mettent pas leurs efforts en commun. Alors, que peut-on faire pour cette Europe unie, puisque c’est la question d’aujourd’hui, un printemps pour l’Europe ? 



Tout d’abord, la première chose consiste à reconnaître la réalité de l’UE. Vous avez vécu les phases un peu difficiles et délicates de l’adhésion. Cela a pris du temps bien entendu. Par ailleurs, pendant ce temps là on a agité des idées (« L’Europe a plusieurs vitesses », « l’Europe d’un noyau dur ») et dans tout cela, peut-être que nous avions perdu ou aperçu la vision véritable de l’Europe : l’Europe unie. Et quand j’ai pris l’avion hier pour venir à Sofia, j’ai survolé l’Allemagne, une partie de l’Autriche, de la République tchèque, etc. et je me disais : « Je suis en Europe » comme jadis quand j’étais étudiant et que j’allais de New York à Houston ou Los Angeles et je voyais défiler les paysages sous les ailes de l’avion ; j’étais aux Etats-Unis d’Amérique. Et là, nous sommes en Europe, en Europe unie. Il faut donc chercher à l’unifier sans l’uniformiser car nous avons différentes identités, sensibilités et cultures et mettre en commun ce que nous avons de plus précieux, c’est-à-dire notre identité et notre culture. 



Le traité de Lisbonne va entrer en vigueur bientôt ; on ne sait pas très bien quand, à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine ; ça n’a d’ailleurs aucune importance. Naturellement, toutes les bureaucraties vont s’agiter mais cela n’a aucune importance sur le fond : que cela soit le 1er janvier ou le 1er juillet, où est la différence ? Il n’y en n’a pas. Cela va donc renter en vigueur l’année prochaine et cela va améliorer fondamentalement le fonctionnement des institutions. La question des institutions, quand on en parle aux citoyens, ils vous disent : « Les institutions, d’abord, on ne les comprend pas très bien et ce qui nous intéressent, c’est plutôt les résultats que les institutions ». Mais ce sont les institutions qui produisent les résultats. Et donc, à partir de l’entré en vigueur de ce traité de Lisbonne, il y aura de fortes améliorations des institutions. Je ne veux pas rentrer dans une querelle d’auteurs, bien que cela m’amuserait de le faire, mais ce Traité de Lisbonne, c’est la Constitution déguisée. Alors, pour ne pas affoler les gens (notamment les français, peut-être les néerlandais), on a pris les articles de la fin et on les a mis au début, on a pris les articles du milieu et on les a mis en tête, etc. C’est le même texte. Et c’est un texte qui comporte des améliorations importantes sur la capacité de l’Europe à agir. Par exemple, il va y avoir en effet, un Conseil européen quatre fois par an doté d’une Présidence stable. Il faudra d’ailleurs améliorer les choses car il faudra le doter d’un Bureau car un conseil avec 27 membres ne peut pas fonctionner. On a besoin d’un Bureau comme dans les conseils municipaux ou les conseils d’administration. Ce Conseil européen deviendra l’instance de décisions politiques du système. Et la Présidence sera dotée d’un Président élu pour 5 ans, où plutôt pour deux ans et demi renouvelable une fois. S’il est bon, s’il est accepté, il sera probablement Président pour 5 ans. Et là on voit apparaître un problème : vous avez dit tout à l’heure, Monsieur le Président, qu’il fallait rapprocher l’Europe des citoyens. Regardez la différence qu’il y a entre l’élection du Président des Etats-Unis par les citoyens américains et la désignation du Président du Conseil européen par le Conseil européen. Aux Etats-Unis, tout le monde participe. Il y a des réunions gigantesques, il y a des débats à la télévision, tout le monde est informé, tout le monde se sent concerné et d’ailleurs intervient dans le processus du choix. Il faudrait que l’élection du Président du Conseil européen ait un peu ce caractère. En effet, nous ne pouvons pas nous contenter à mon avis d’avoir le Président le moins bien élu du monde. Nous devons avoir un homme ou une femme, qui soit choisi après un débat, qui se soit exprimé devant les citoyens au travers d’émissions télévisées ou de débats avec les journalistes et que les citoyens européens aient eu l’occasion de connaître et d’évaluer. Si bien que je souhaite pour ma part et je crois que l’on va dans cette direction qu’on ne procède pas tout de suite à cette désignation mais que l’on retienne une proposition qui a été faite par la chancelière Angela Merkel et par le Premier ministre belge : qu’il y ait d’abord un débat sur la fonction, l’aptitude à exercer la fonction, le profil du Président ou de la Présidente et puis ensuite un autre débat pour choisir ce candidat. 



Dans ce Traité de Lisbonne, il y a d’autres éléments très importants : d’abord, le Parlement européen devient un parlement de plein exercice. Le Parlement européen vient d’une structure qui était modeste au début : en effet, c’était une assemblée consultative dans le traité de Rome. Donc on le consultait plus ou moins. Elle a étendue ses compétences et désormais on lui donne la fonction législative complète. Donc les citoyens européens auront des lois élaborées suivant la procédure parlementaire normale. 



Les décisions importantes de l’Europe seront prises à la double majorité. Qu’est ce que cela veut dire ? A l’heure actuelle, nous sommes 27 pays. Il y a les plus grands (le plus grand étant l’Allemagne fédérale, avec il me semble 83 millions d’habitants à l’heure actuelle ; vous ne voulez pas me contredire, Monsieur l’Ambassadeur Geier ?) et il y a le moins peuplé qui doit être Malte ou Chypre je crois, aux alentours de 300 000. C’est à dire que nous avons une Union européenne, dans laquelle notre plus grand pays est plus grand que n’importe quel Etat des Etats-Unis (l’Allemagne est plus peuplée que la Californie ou New York) et le plus petit est moins peuplé que le plus petit des Etats des Etats –Unis. Cela fait une structure qui est assez difficile à gérer. Car si l’on prenait des règles de majorité simple, les grands écraseraient les petits. Et si l’on prenait des règles simplement du vote par les Etats, les citoyens de seraient plus représentés, puisque le nombre des petits Etats l’emporterait sur le nombre des Etats plus peuplés. Alors nous avons adopté une règle qui est une innovation, intitulée la règle de la double majorité, et les décisions européennes, pour être approuvées, devront recueillir la majorité des voix des Etats (et même plus exactement 55 % des voix des Etats). Ce qui veut dire que la Bulgarie devra compter dans cette majorité ou éventuellement dans l’opposition. Et il faut que ces Etats représentent 65 % de la population de l’Union de façon à ce que ses citoyens aient le sentiment que ces décisions ne sont pas prises contre eux. Vous voyez que cette rénovation des institutions va créer des opportunités considérables si on les saisit : cela sera un vrai système politique qu’on pourra comprendre, faire jouer, dont on pourra se servir et que l’on pourra critiquer ou contester.



Et il y a un point central sur lequel nous avons énormément besoin d’avancer : la claire perception des compétences. Savoir qu’est ce qui est de la compétence européenne et qu’est ce qui est de la compétence nationale. Qu’est ce qui reste de la compétence de la Bulgarie dans ce nouveau système  et qu’est ce qui devient de la compétence de l’Union. Cette perception est tout à fait brouillée. En effet, les Etats membres ont l’habitude de dire, quand un problème les ennuie ou qu’ils n’arrivent pas à résoudre, que c’est l’Europe. Et lorsqu’ils obtiennent des résultats favorables en matière de politique économique et sociale, ils disent « C’est nous ». Mais ce n’est pas le partage des compétences. Le partage des compétences, ce sont d’un côté les décisions qui intéressent le continent européen dans son ensemble (les compétences de l’Union) et de l’autre côté, les compétences qui intéressent la vie sociale des Etats membres restent des compétences nationales. Il faudrait arriver à ce que les citoyens le comprenne quand ils voteront l’année prochaine par exemple ; vous craignez des abstentions, Monsieur le Président Parvanov et je partage votre crainte. Il faudrait qu’ils ne se trompent pas. Ils ne voteront pas sur la situation intérieure de la Bulgarie mais sur ce que peut devenir l’Europe concernant ses compétences fondamentales. 



Enfin, dans cet avenir du printemps pour l’Europe, il faudrait sélectionner quelques grandes réalisations européennes. Nous sommes en effet dans une époque dans laquelle les gens veulent des résultats, c’est une image qu’ils ont. Et il faut qu’ils puissent se dire (comme on se le dit dans certains pays) : « L’Europe a fait quelques chose pour nous ». Dans certains nouveaux Etats membres qui ont bien géré l’aide qui leur a été apportée au titre de la transition (par exemple l’Espagne ou le Portugal), ils ont construit un réseau de transport tout à fait remarquable et établit des infrastructures tout à fait performantes. Donc l’Europe pourrait établir un réseau de transport européen rapide, économe d’énergie et permettant de circuler dans toute l’Europe. L’Europe pourrait aussi, et nous en avions parlé tout à l’heure à l’occasion du déjeuner, essayer de définir une politique ou une attitude commune vis-à-vis de l’énergie. Nous sommes, comme vous le savez, un continent privé d’énergie ; nous sommes 500 millions assemblés sur un espace qui n’est pas gigantesque et où il n’y a pas de sources d’énergie locale. Il faudrait ainsi regarder comment traite-t-on ce problème pour avoir une certaine indépendance énergétique, une certaine sécurité dans les approvisionnements et une certaine diversification de nos sources de production, y compris par le recours si nécessaire à l’électricité nucléaire.

Il faut aussi que nous soyons dans les grandes aventures scientifiques de notre époque. J’ai fait mettre dans la Constitution (et on le retrouve heureusement dans le Traité de Lisbonne) le fait que l’Europe devrait s’intéresser à l’espace. Vous me direz que ce n’est pas très pratique et nous n’avons pas grand chose à en faire sur le plan de la vie quotidienne mais c’est le support d’énormes développements scientifiques et technologiques et vous avez vu l’importance que les Etats-Unis d’Amérique et la Russie attachent à leur politique spatiale. Il faudrait assurer, dans les trois années qui viennent le financement de ce que l’on appelle l’Agenda de Lisbonne. Nous nous étions fixés comme objectif d’être en 2010 le continent le plus performant en matière de technologie et de recherche scientifique. Alors, comme on l’avait en l’an 2000, on pouvait avoir l’air de l’annoncer. Mais nous sommes en 2008 et nous avons parcouru à peine un quart du chemin. Il faudrait donc retrouver l’énergie nécessaire pour réaliser cet agenda de Lisbonne. 



Enfin, une charte européenne de l’immigration et de l’asile politique. Alors cela vous paraîtra de quelque chose de très théorique ou éventuellement de répressif mais ce n’est pas le cas. Nous appartenons (la Bulgarie pas encore mais un jour sans doute vous y appartiendrez) à ce que l’on appelle l’espace de Schengen. L’objectif de cet espace est de pouvoir circuler librement, traverser les frontières sans contrôles des visas. Actuellement, 13 pays font partie de l’espace de Schengen, tout le centre et l’ouest de l’Europe. A partir du moment où l’on peut circuler librement, les conditions d’entrée sur le continent européen devraient évidemment être harmonisées car sinon les gens entreront par un endroit et se rendront dans les autres. 



Pour terminer ce printemps pour l’Europe, il faudrait avancer en direction d’une entité politique européenne. Lorsque Robert Schuman a fait sa déclaration en 1950, il a dit : « Première étape vers une fédération européenne ». Nous sommes 58 ans plus tard et nous n’avons pas beaucoup avancé dans cette direction. Cela ne veut pas dire que la solution se trouve dans la fédération européenne. Il me semble que la solution est celle que nous proposons dans le Traité de Lisbonne ou dans la Constitution : une union d’Etats qui garde leur identité, la Bulgarie gardant la sienne, la France la sienne, l’Italie la sienne, etc. mais qui mettent en commun certaines compétences et qui exercent ces compétences sur le mode fédéral. C’est cela le modèle intellectuel que nous devons poursuivre et il faudrait avancer en direction de cette entité politique européenne pour que dans le monde qui vient (qui sera probablement un monde assez tourmenté ; le développement des grands espaces peuplés ne se fera pas sans secousses, il y aura à un moment ou à un autre des convulsions ou des changements de rythmes de croissance), l’Europe existe et qu’elle puisse se faire entendre, défendre ses valeurs et affirmer ses intérêts. Cela voudrait dire qu’il faudrait souder peu à peu – vous l’avez dit tout à l’heure Monsieur le Président, la politique extérieure et de sécurité commune. Car nous avons un texte (Traité de l’Union Européenne ou Traité de Maastricht), qui est par ailleurs un beau texte, qui dit que nous avons une politique extérieure et de sécurité commune, mais nous ne l’avons pas. Face à tous les événements qui se produisent, les Ministres des affaires étrangères de principaux pas européens partent aussitôt chacun dans leur direction et prennent des positions qu’ils estiment devoir prendre. Non ! Il faut avancer en direction d’une politique extérieure et de sécurité commune. 



Il faudrait également démocratiser progressivement le système. Je crois que ce n’est pas raisonnable de croire que l’on gardera un système peu démocratique pendant longtemps. Ou bien les gens s’en désintéresseront en se disant que ce n’est pas pour eux et que cela ne les intéresse pas, ou bien d’une manière ou d’une autre, ils exprimeront leur mécontentement. Je prends le cas très simple de la désignation du Président : le Président va être désigné par 27 personnes. Aux Etats-Unis, il est désigné par 240 millions de personnes. On ne peut pas naturellement passer tout de suite à l’élection au suffrage universel (qui serait réaliste en Europe), mais on peut, peu à peu, élargir le Collège et ainsi avoir un Collège de plus en plus représentatif en associant, par exemple, aux décisions suivantes, le Parlement européen et les parlements nationaux.



Enfin, il faudrait faire émerger une citoyenneté européenne. Quand on vous demande qui vous êtes, là où vous êtes, vous répondez que vous êtes bulgare ; vous n’avez pas l’idée de dire que vous êtes européen. Mais en réalité, sur le fond des choses, vous êtes aussi européen que bulgare mais la citoyenneté européenne n’est pas encore apparue, elle n’est pas encore là. Je l’ai personnellement ressenti en étant Président de la Convention européenne et jusqu’à là non. Comme j’étais conduit à parcourir l’Europe pour aller voir les capitales des différents Etats membres, à force de sillonner l’Europe, j’ai compris que j’étais européen et que j’étais devenu un Français européen.

Et bien je souhaite que cette citoyenneté continue à progresser en Europe et qu’en particulier le printemps, saison de l’optimisme fasse de vous des Bulgares européens ! 



Je vous remercie.