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Il n'y a plus d'Europe de l'Est

Article paru dans le "Figaro" du 25 novembre 2003

Le 25 novembre, l’Assemblée nationale examine le traité d’adhésion de 10 nouveaux membres de l’Union européenne.



14 ans après la chute du mur de Berlin, c’est la réunification de l’Europe qui se concrétise. Qui sont ces Etats qui nous rejoignent ? Ce sont des pays profondément européens dans leurs cultures, leurs modes de vie et de pensée, dans leur conception du monde. Au-delà des différences diplomatiques, qui tiennent à la vie normale des Etats, il nous faut ouvrir les yeux. Ici, comme ailleurs, notre méconnaissance peut en effet être cause de malentendus, voire de peurs bien injustifiées. Sans la parenthèse du communisme et de l’impérialisme soviétique, ces pays n’auraient jamais été écartés de l’Europe constituée. Ils en sont membres culturellement et historiquement, comme Malte et Chypre.



L’histoire de notre continent s’est écrite autour de l’Europe centrale, cœur géographique d’un vrai brassage de peuples qui ce sont longtemps artificiellement divisés, mais qui partagent les mêmes valeurs, le même mode de vie, les mêmes règles d’organisation de la société. Nous formons avec eux une vraie communauté de culture. Le développement des sciences en Europe s’est appuyé sur un réseau d’universités qui ne connaissaient pas les frontières. Au 14ème siècle, on allait de Cracovie, fondée en 1348, à Vilnius, Tartu ou Pecs (1367), à Paris, Pise ou Bologne, pour échanger, enseigner et apprendre. Les cours d’Europe centrale ont inventé le mécénat et permis la Renaissance.

Pendant que les Seigneurs guerroyaient, les savants, philosophes, chercheurs et artistes, protégés et respectés, se connaissaient et travaillaient ensemble. C’est ainsi que s’est propagée la réforme et que la flambée des Lumières a embrasé l’Europe du 19ème siècle. C’est sans doute la raison pour laquelle il existe un art européen. Modigliani était-il français ou italien ? Quelle était la nationalité de Rilke ? Franz Liszt appartient-il seulement à la Hongrie et Chopin, ne revendique-t-on pas un peu de son génie ou de son œuvre, Victor Hugo est-il uniquement français ? La liste est longue des créateurs qui avaient pris mesure de l’Europe avant de revendiquer une étiquette nationale. Ces pays partagent avec nous les mêmes valeurs de Liberté et de Démocratie. Ils l’ont prouvé depuis 1990 puisque leurs élections se sont toutes tenues à terme normal (à deux exceptions près, prévues par les textes), que les alternances ont achevé de fortifier la démocratie renaissante et que les efforts économiques et réglementaires faits pour rejoindre l’Union ont démontré une volonté et des capacités d’adaptation hors du commun. Ces 10 pays ont accepté en 10 ans toutes les règles européennes que nous avons élaborées en 40 ! Qu’en est-il de leurs économies ? Doit-on craindre leurs retards et la faiblesse relative de leur niveau de vie ? L’exemple de l’Irlande dont le revenu par tête s’élevait à 40% de la moyenne communautaire en 1973, avant son adhésion et atteint aujourd’hui 115%, devrait rassurer les inquiets. Certains agitent le spectre des délocalisations. Pourtant si l’on délocalise en Europe, c’est chez nous, au sein du même marché unique. Nous en touchons immédiatement les bénéfices et très vite le niveau de vie des ces nouveaux arrivants égalera le nôtre. A ces nouveaux clients, la France vend déjà chaque année plus de 15 milliards d’Euro. Chez eux, elle investit près de 7 milliards. En 1989, ils faisaient 10% de leur commerce avec l’Union, aujourd’hui c’est plus de 50 ! Nos intérêts économiques rejoignent ceux des pays de l’Europe centrale et puisque nous cherchons de nouveaux gisements de croissance, sachons qu’il y en a un chez les nouveaux membres dont l’augmentation annuelle du PIB est de deux points supérieure à la nôtre.  Ceci se fait, d’ailleurs, à moindre coût pour nous car l’Union n’a pas dépensé beaucoup pour aider les nouveaux venus. A la différence de l’Est de l’Allemagne, ils se sont réformés par eux-mêmes. 5 € par Français et par an entre 1990 et 2003, 14,8 € entre 2004 et 2006, voilà ce que nous avons dépensé pour les aider à se mettre à niveau ! C’est ensuite dans le cadre du budget européen qu’ils bénéficieront des procédures de droit commun, celles-là mêmes qui ont permis à l’Espagne, la Grèce, le Portugal et l’Irlande de rejoindre le peloton européen. En revanche, l’élargissement représente de formidables opportunités pour l’Europe et pour notre pays. Avec 475 millions d’habitants, l’Union est désormais le premier marché de consommation du monde, la première puissance commerciale et la deuxième puissance économique. Si le développement attendu est au rendez-vous, c’est-à-dire si les 10 nouveaux  rejoignent rapidement la moyenne européenne, le PIB de l’Union égalera celui des Etats-Unis. Pour notre pays, c’est aussi un formidable pari qu’il faut faire avec davantage d’enthousiasme. A quelques kilomètres de chez nous, s’ouvre une nouvelle frontière et d’immenses possibilités.



On objectera alors que ces peuples ne partagent pas notre vision du monde. Pour sillonner ces pays en tous sens et sans cesse, je sais que cela est faux.  Sur l’approche pacifique qui fut la nôtre lors de la crise irakienne et qui symbolise une démarche mondiale exemplaire, il n’est pas impossible d’obtenir assez rapidement un consensus européen. C’est déjà l’avis des peuples. Ce peut être un jour celui des gouvernements. On voit bien alors l’urgence d’institutions européennes réformées qui le permettraient. Mais cela est une autre histoire. Sans sous-estimer les défis que nous lance l’agrandissement de l’Union européenne, nous devons nous montrer plus volontaires pour en faire un succès. Si nous voulons construire une Europe puissance, une vraie entité politique, c’est cette Europe réunifiée qui en sera la base. A nous de nous en servir comme il faut. Car il n’y a plus, désormais, d’Europe de l’Est. Il y a l’Europe  qui se retrouve. Il faut d’abord s’en réjouir.