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Technologies, défense et croissance économique

Article publié dans "Le Figaro", 15 mai 2008

Jean-Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert-Schuman, considère que la redéfinition de notre outil de défense est nécessaire, mais qu'elle doit s'accompagner d'un effort accru d'investissement dans la recherche militaire.



Dans le différend américano-européen sur l'aéronautique,la Commission européenne a démontré que Boeing avait perçu près de 23,7 milliards de dollars d'aides déguisées de la part de la Nasa et du Pentagone entre 1990 et 2004. Le nouveau bébé de la firme de Seattle, le Dreamliner 787, bénéficie ainsi de technologies des agences gouvernementales américaines dans les domaines essentiels des matériaux composites, de l'aérodynamique et des systèmes électriques.



Maîtriser les technologies aéronautiques et spatiales est, avec les sciences du vivant et la biotechnologie, un impératif catégorique pour la compétitivité de demain. C'est aussi un défi européen. De ces domaines dépendent les activités économiques du futur. C'est évident pour la recherche médicale. Cela l'est aussi pour les biotechnologies qui seront demain ce qu'ont été hier les technologies de l'information, c'est-à-dire une véritable révolution. Mais cela semble mystérieusement plus problématique pour l'aéronautique et le spatial. Malgré nos succès, qui permettent à l'Airbus de conquérir la moitié du marché mondial et à l'Union européenne d'envoyer une mission sur Mars, nous ne sommes pas assez mobilisés pour assurer le futur de ces deux secteurs clés.



Or, ils concentrent la quasi-totalité des technologies de demain. 80 % des black programs américains, ces crédits votés en secret par le Congrès américain, concernent l'aéronautique militaire qui «tire» les technologies des logiciels, du cryptage, des nouveaux matériaux. L'US Air Force recevrait à ce titre 25 milliards de dollars en 2008, dont vont directement et discrétionnairement pouvoir profiter les industriels américains.



En France, un cinquième des dépenses publiques civiles de recherche est consacré à la recherche-développement militaire. C'est nettement insuffisant pour un secteur dont dépend notre souveraineté technologique, mais surtout qui irrigue toute l'économie en crédits dont la valeur se multiplie en emplois à forte valeur ajoutée et non délocalisables, en exportations potentielles, en technologies civiles indispensables. Alors que l'aéronautique civile cherche à produire en zone dollar pour réduire ses coûts, un effort d'investissement dans la recherche du secteur militaire et spatial aurait pour effet de fixer sur le territoire national et européen des activités essentielles pour l'économie.



La redéfinition de notre outil de défense est sans doute nécessaire, à condition qu'elle s'accompagne d'un effort accru d'investissement dans la recherche militaire. Il en va de notre croissance économique et future, tant les technologies concernées profitent à terme à l'ensemble de notre économie avec en corollaire des centaines de milliers d'emplois industriels stables. La présidence française de l'Union européenne peut être une occasion de prise de conscience. C'est un message qui pourrait être européen et que la France devrait porter. Bien sûr en étant elle-même exemplaire.