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Vers quel type d’Union européenne se dirige-t-on ?

Article publié dans la ""Revue politique et parlementaire" n°1046 - Janvier/Mars 2008

Ratifié, le traité de Lisbonne marquera à la fois un aboutissement et un point de départ. Un aboutissement puisqu’il permet de sortir du débat institutionnel dans laquelle l’Union européenne s’épuisait depuis Maastricht. Mais aussi un point de départ. Relancée, l’Union dispose désormais de nouveaux instruments pour répondre aux nombreux défis qui lui sont lancés. Ils sont internes et mondiaux. L’UE doit répondre aujourd’hui au défi politique qui est celui de la politisation et de la différenciation ; au défi économique, qui est celui de sa compétitivité ; et enfin au défi stratégique, qui est celui de sa place et de son rôle sur la scène internationale. Des réponses apportées à ces trois défis, dépendra « le type d’Union européenne » que nous façonnerons. N’en doutons pas, ce qui est en jeu c’est sa place dans le monde globalisé. 





Le défi politique lancé à l’Union



Une Europe plus politique



Depuis 50 ans, l’Union européenne a fortement évolué. Elle a même changé de nature. Ce changement s’est opéré sous le double effet de son élargissement et de l’extension de ses champs de compétences, de plus en plus « politiques ». Ce changement implique un changement de méthode dans la gouvernance européenne. L’Union doit évoluer vers un système qui donne une plus grande place aux processus de décisions politiques, qui l’emportent sur le consensus systématique ; où le débat politique, arbitré par les électeurs, l’emporte sur la gestion administrative. Un système dans lequel un fil direct relie la ligne politique de l’Union à la volonté des électeurs exprimée lors des élections européennes.

Le traité de Lisbonne encourage cette politisation de l’Union. L’extension des prérogatives du Parlement européen devient cruciale dans le processus de politisation de l’Union puisque le parlement élira le Président de la Commission européenne sur proposition des chefs d’État et de gouvernement et investira le collège des commissaires. Pour obtenir l’aval du Parlement, les chefs d’État et de gouvernement devront se concerter avec lui et tenir compte des souhaits de la majorité qui sera issue des élections européennes. Concrètement, il serait plus difficile de confier la concurrence ou le marché intérieur à un commissaire trop libéral si la majorité au Parlement issue des élections européennes était de gauche ; inversement, il serait délicat de confier l’emploi et les affaires sociales à un commissaire trop marqué à gauche si la majorité parlementaire était à droite. Les électeurs pourront peser directement sur la coloration politique du Président de la Commission et de son équipe. Et il en ira de même ensuite en ce qui concerne les choix politiques du collège.

On comprend toute l’importance de ce poids politique renforcé du Parlement pour tous les citoyens européens à l’approche des prochaines élections européennes de juin 2009… Le Traité de Lisbonne va changer beaucoup de choses. Le Conseil et le Parlement s’en trouve renforcés. Ils vont faire de la politique.

Cette « politisation » de l’Union européenne correspond également aux souhaits du Président de la République française qui en a fait depuis longtemps l’un de ses principaux chevaux de bataille. Nul doute que lors de sa présidence de l’Union, la France aura à cœur de placer cette politisation au cœur de sa démarche.





Vers une Europe à « géométrie variable » ? 



Si le traité de Lisbonne permet à l’Union européenne de se remettre en marche, le défi politique lancé à l’Union est aussi celui de la « différenciation ».

Il n’est plus certain qu’il serait possible d’avancer d’un seul et même pas à 27 dans tous les domaines. Il est nécessaire d’envisager des coopérations entre certains membres de l’Union qui voudraient partager ensemble leurs souverainetés sur certains sujets, pour être plus efficaces.

Cette « différenciation » existe déjà sous diverses formes, par exemple, les accords de Schengen et plus récemment le Traité de Prüm ou sur le plan stratégique dans le cas de la coopération entre l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France sur la question du nucléaire iranien. Certaines clauses dérogatoires contenues dans le traité de Lisbonne, principalement pour le Royaume-Uni, démontrent que les politiques à venir de l’Union ne mobilisent pas tous les États membres de la même façon. Des « coopérations renforcées » entre certains pays sont donc envisagées – sécurité et justice, fiscalité ou politique étrangère notamment. Le traité de Lisbonne en assouplit les modalités de mise en œuvre puisque les pays « pionniers » pourront représenter seulement un tiers des pays de l’Union, soit 9 États.

Un des secteurs où cette coopération renforcée devrait progresser est indéniablement celui de la défense. De plus en plus sollicitée sur la scène internationale, l’Union européenne doit se doter d’une politique de défense à la mesure de sa taille. Les conditions essentielles pour bâtir cette Europe de la défense sont naturellement une véritable volonté des Européens, mais aussi le soutien des États-Unis et donc une complémentarité des structures de l’UE et de l’OTAN. Certains États membres doivent s’engager davantage, à l’image de l’attitude de certains nouveaux venus dans l’Union. Il ne faut donc pas construire la défense européenne seulement avec ceux qui disposent des plus grandes capacités. Il faut y accueillir le maximum de pays volontaires, quelle que soit leur taille. La volonté de créer une base technologique et industrielle européenne des équipements militaires doit être un critère dans le choix de ce groupe pionnier. Dix ans après le sommet franco-britannique de St Malo, une période favorable s’ouvre pour des avancées de l’Europe de la défense, qui constitue l’une des priorités de la présidence française de l’Union. Une fois encore, en créant des intérêts communs, notamment dans le domaine des industries et de la recherche de défense, qui concernent l’ensemble des secteurs économiques de pointe, l’Union peut progresser, même si c’est à quelques-uns. Des progrès opérationnels peuvent être enregistrés si l’Union, dans l’alliance avec les États-Unis, accepte enfin son rôle mondial. L’Union européenne pourrait donc se retrouver assez rapidement avec l’embryon d’une armée européenne, c’est-à-dire des forces armées mobilisables et un vrai programme de partage de ses capacités en matière de satellites, de transports, de services de santé ou pour ses industries, de coopérations industrielles nouvelles.





Le défi économique lancé à l’Union



L’un des principaux défis lancés à l’Union européenne est celui de sa place dans la mondialisation, et la globalisation économique. Dans cette perspective, le problème que l’UE doit résoudre est celui de sa compétitivité. À cet égard, l’Union et ses Etats membres peuvent agir sur deux registres, interne et externe. 



L’euro et le budget européen



Sur le registre interne, et d’abord à l’échelle nationale, l’amélioration de la compétitivité passe par l’approfondissement de la stratégie dite de Lisbonne, décidée en 2000 et revue en 2005. Le but était de faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » à l’horizon de 2010. Pour ce faire, des objectifs ont été assignés aux États membres qui, pour les atteindre, ont mis en place une « méthode ouverte de coordination » qui passe notamment par un échange de bonnes pratiques afin d’engager les réformes nécessaires à chaque pays. En 2005, la révision à mi-parcours de la stratégie de Lisbonne a conduit à la mise en place de nouveaux instruments, telles que les Lignes directrices intégrées, les Programmes nationaux de réformes ou encore le Programme communautaire de Lisbonne. Toutefois, les résultats restent décevants.

Ainsi, entre 2000 et 2005, dans l’Union, les dépenses de R&D ont stagné à 1,9% du PIB, alors que l’objectif était d’atteindre 3% en 2010. Le taux d’emploi est passé de 62,2% en 2000 à 64,8% en 2006 alors que l’objectif pour 2005 était de 67% et de 70% pour 2010.Une évolution positive est toutefois à noter pour le taux d’emploi des personnes âgées qui est passé à 43,6% en 2006, contre 36,9% en 2000. Enfin, un retard important est encore à déplorer en matière d’éducation : près d’un étudiant sur 6 sort du système éducatif sans avoir achevé ses études secondaires, le taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur dans l’UE n’est que de 58%, contre 83% aux États-Unis et les dépenses annuelles d’éducation par étudiant de l’Union sont légèrement supérieures à 8000 euros pour environ 10 000 euros au Japon et près de 21 000 euros aux États-Unis. Tout d’abord, les États membres doivent accepter d’augmenter le budget consacré aux politiques communautaires de compétitivité, ce qui fera sans doute l’objet d’une discussion lors de la renégociation du budget prévue en 2008-2009. Ensuite, ils doivent faire preuve de davantage de transparence sur la stratégie de Lisbonne, en indiquant explicitement à leurs opinions publiques les objectifs qu’ils se sont fixés. Enfin, il convient de mettre en place, sur la base d’indicateurs clairs, un véritable système d’évaluation annuel des progrès accomplis. 



À l’échelle communautaire, cette amélioration de la compétitivité passe par une réflexion sur le budget et sur la monnaie commune.

Le budget communautaire s’élève en 2008 à 129 milliards d’euros, soit moins de 1% de la richesse communautaire, ce qui est très peu pour financer l’ensemble des politiques européennes. Malgré les engagements pris au Conseil européen de Lisbonne en mars 2000, les dépenses de R&D restent limitées à 5,5 milliards d’euros alors que près de 43 milliards d’euros sont affectés à la PAC et environ 46 milliards aux politiques de cohésion et de développement régional. Cette limitation des crédits destinés à améliorer la compétitivité est liée au fait que les États membres se refusent à augmenter les recettes du budget communautaire, en vertu du « principe de constance » visant à éviter toute augmentation de la charge du contribuable. Les recettes communautaires proviennent essentiellement des contributions nationales des États membres (64,7%) contre 15,9% pour les « ressources propres » basées sur la TVA, 12,5% pour celles basées sur les droits de douane, 5,6% pour les ressources diverses ou provenant de l’exercice précédent ou encore 1,3% pour celles issues des droits agricoles et des cotisations « sucre ». Afin de rééquilibrer les contributions nationales et la part des « ressources propres » et in fine d’augmenter les recettes, trois options pourraient être envisagées : les recettes de l’Union pourraient provenir des impôts sur les sociétés, ce qui impliquerait une harmonisation des bases fiscales, de la TVA sur les échanges intra-communautaires ou encore de taxes liées aux économies d’énergie et à la lutte contre l’effet de serre. L’option TVA semble toutefois être la plus simple et la plus facile à mettre en œuvre. 



Cela fait maintenant presque dix ans que la monnaie unique est entrée en vigueur et le bilan est positif : l’inflation a été stabilisée à un niveau proche de 2%, les taux d’intérêt ont été maintenus à un niveau très bas afin de ne pas compromettre son objectif de croissance et d’emploi et l’euro a réussi à s’imposer comme une monnaie de réserve crédible aux yeux des investisseurs. Toutefois, la gouvernance économique de l’Union européenne, qui repose sur  l’articulation de la politique monétaire et des politiques budgétaires reste à améliorer. Ainsi, sur le plan monétaire, la présidence de l’Eurogroupe pourrait être renforcée. Sur le plan budgétaire, le Pacte de Stabilité et de Croissance pourrait être complété d’une directive sur un code de responsabilité budgétaire, sur le modèle britannique, afin que les États soient plus respectueux de leurs engagements. Sur le plan international, la monnaie unique est là encore un succès, malgré les nombreuses critiques dont elle fait l’objet. Depuis 2004, elle est la première devise mondiale sur les marchés obligataires (47% contre 30% pour le dollar). Sa part dans le libellé des échanges internationaux est croissante, notamment grâce à l’importance des échanges de l’Europe avec son voisinage. Enfin, l’euro compte désormais pour 25% des réserves officielles de change, devenant ainsi la deuxième monnaie mondiale après le dollar tandis que 40 pays ont établi un lien monétaire officiel avec l’euro. Reste alors à inventer une « diplomatie de l’euro ».  Il est indispensable que les grandes économies de la planète se concertent pour garantir une certaine stabilité sur les marchés financiers internationaux, notamment en matière monétaire. L’Europe de l’Euro doit en faire une antienne et une revendication forte.





Une Union compétitive dans le commerce mondial



Si l’on compare la compétitivité des 27 États de l’Union à l’échelle mondiale, on constate de fortes disparités. Certains pays comme le Royaume-Uni (10ème rang mondial) ou les pays scandinaves (Finlande : 2ème ; Suède : 3ème ; Danemark : 4ème) sont bien plus compétitifs que les États-Unis (42ème). Toutefois, l’environnement économique général de l’Union est moins compétitif que celui des États-Unis (6ème) ou du Japon (7ème). Cette différence s’explique notamment par la moindre flexibilité du travail, par la plus grande difficulté à créer une entreprise, par une fiscalité plus lourde et par la performance insuffisante du système de recherche et de formation.

Sur le plan commercial, l’Union européenne est le premier exportateur mondial, avec 16,9% des exportations de marchandises contre 11,5% pour les États-Unis et 10,7% pour la Chine et 27,9% des exportations de services commerciaux contre respectivement 19,7% et 4,1%. Avec le commerce intracommunautaire, l’Europe c’est 40% du commerce mondial. Bien que la zone Euro dégage un excédent commercial, l’Union reste déficitaire et ses équilibres commerciaux demeurent fragiles. L’Union est le principal acteur de la mondialisation et elle aurait tout à perdre à s’orienter vers une préférence communautaire, « définie comme le droit pour l’Europe de protéger ses produits, ses entreprises et ses marchés »1 . En effet, celle-ci ne repose sur aucun fondement juridique dans les traités et serait sanctionnée dans le cadre de l’OMC, qui vise à une réciprocité des efforts d’ouverture commerciale. Alors que l’Union européenne s’est développée comme un espace de libre-échange sans barrière protectionniste mais fondée sur des règles communes, elle doit adopter la même approche à l’échelle mondiale.

La mondialisation est bénéfique pour l’Union européenne. Ainsi, depuis 1999, alors qu’émergeaient la Chine et l’Inde, les exportations européennes vers le reste du monde ont augmenté en moyenne de 11% par an, tandis que le nombre d’emplois dans la zone euro a augmenté de 15 millions, soit un taux d’emploi qui s’est accru de 11,6%, passant de 59,7% à 64,5%. Toutefois la mondialisation conduit à une évolution de la structure productive et de la spécialisation des pays et donc à des restructurations qui inquiètent. Une étude Eurobaromètre de 2003 sur la perception de la mondialisation par les Européens révélait qu’un quart d’entre eux estimaient que l’Union européenne n’est pas assez protectionniste. La mondialisation s’est ainsi vue imputer l’augmentation des inégalités et la destruction des emplois industriels peu qualifiés. C’est particulièrement le cas en France. Pourtant, les délocalisations n’expliquent que 7% des 487 000 suppressions d’emplois décidées en 2006 dans l’Union européenne dans le cadre d’opérations de restructurations des entreprises de plus de 100 salariés.

Dans ce contexte de mondialisation, les économies européennes ne peuvent pas rester immobiles : elles doivent s’adapter à l’évolution de cet environnement concurrentiel. C’est en cela que l’État a un rôle important à jouer : c’est à lui que revient la tâche d’assurer la solidarité entre les gagnants et les perdants par le biais d’une protection sociale généreuse. Celle-ci implique notamment un soutien des personnes concernées par le chômage et en quête d’un emploi et une amélioration de son système de formation tout au long de la vie.

L’Union européenne, géant économique, première économie de la planète, doit maintenant s’affirmer sur la scène mondiale. Pour cela, elle pourrait bien se retrouver plus unie dans les enceintes internationales, représentée par exemple par le président de l’Eurogroupe au Fonds monétaire international. Elle pèserait ainsi politiquement un poids plus conforme à la force de son économie.





Quel rôle pour l’Union européenne dans le monde ?



Le défi du changement d’échelle



L’Union européenne s’est construite sur la base d’une réconciliation entre des pays s’étant plusieurs fois déchirés, passant d’une communauté de 6 États à une Union de 27, qui pourrait encore accueillir les États des Balkans occidentaux. Cet élargissement de l’Union européenne met désormais l’Union au contact de grandes puissances internationales telles que la Russie.

Désormais, l’horizon de l’Union n’est plus le continent, mais l’échelle internationale et l’Union doit donc en tirer les conséquences tant dans ses objectifs que dans ses politiques.

La politique d’élargissement continue à s’inscrire dans le cadre de la réconciliation du continent. En revanche, la politique de voisinage conduit à repenser la politique avec les voisins orientaux et méridionaux de l’Union, tandis que le partenariat stratégique avec la Russie amène à positionner l’Union face à l’une des grandes puissances mondiales qui est désormais son voisin direct.

Elle doit en outre développer une position commune pour trouver sa juste place dans le monde globalisé parmi les grandes puissances telles que les États-Unis mais aussi les puissances émergentes que sont notamment les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine). 





L’Union : une « puissance par la norme » ? 



L’Union européenne joue un rôle croissant dans la mondialisation des échanges, mais aussi par l’influence de ses normes, considérées comme un « processus consenti d’harmonisation des préférences d’acteurs en vue de la réalisation d’un intérêt conjoint au travers du respect contraignant d’un certain nombre de règles »2 . Selon Z. Laïdi, c’est en effet par les normes, qu’elle exporte à grande échelle, et non par les armes, ainsi que par l’existence de son marché unique que l’Europe apparaît aujourd’hui comme une véritable puissance sur la scène mondiale. L’Union européenne est en outre considérée comme « un acteur hyper régulateur » cherchant à généraliser les normes, ce qui conduit parfois à la considérer comme un « empire normatif »3  car elle cherche à étendre ses normes au-delà de ses frontières, sur la base d’un rapport de forces et par le biais de règles stables et contraignantes. La norme européenne affecte donc le reste du monde à plusieurs titres.

Trois domaines sont particulièrement concernés par la puissance normative européenne : l’environnement, la concurrence et la gouvernance mondiale. C’est en matière d’environnement que l’influence européenne est la plus forte ; en étant le premier ensemble à prendre des engagements pour l’après-Kyoto, elle fixe une norme qui servira de base à la négociation internationale. Toutefois, l’Union européenne ne doit pas se contenter de proclamer des objectifs, elle se doit de les respecter et de montrer l’exemple. Elle doit par ailleurs parvenir à faire adopter cette démarche environnementale par les pays émergents, mais également par les États-Unis. Du fait de son poids dans le commerce mondial, les règles concurrentielles qui s’imposent à l’Europe sur son marché intérieur s’appliquent également à sa politique commerciale avec les pays tiers. Il s’agit pour l’Union d’un enjeu important car ses normes étant souvent plus strictes que dans les autres régions du monde, elle devient moins concurrentielle par rapport à des pays aux normes moins élevées tels que la Chine et l’Inde. Enfin, si la gouvernance mondiale tient à cœur aux Européens, ils n’ont pas toujours tenu leurs promesses lorsqu’il s’agissait de mettre en place, par exemple, une Agence mondiale de l’environnement ou en accordant une meilleure représentation aux pays émergents dans les instances internationales telles que le Conseil de sécurité, le G-7 ou encore le FMI. 





Vers un nouveau type de puissance



Si la puissance normative et commerciale de l’Union européenne ne fait aucun doute, il est légitime de s’interroger sur sa puissance politique.

Depuis la fin de la bipolarisation du monde consécutive à l’effondrement du bloc communiste, l’environnement international ne cesse de se transformer, plus particulièrement encore depuis le 11 septembre 2001. Les menaces multiples que sont notamment la prolifération des armes de destruction massive, le terrorisme, la criminalité organisée, les « États déliquescents » ou les conflits régionaux ont conduit l’Union européenne à adopter en décembre 2003 une Stratégie européenne de sécurité intitulée « Une Europe sûre dans un monde meilleur ». À ces menaces explicites, il convient désormais d’ajouter la concurrence pour les ressources naturelles, la dépendance énergétique et la pression migratoire.

La stratégie européenne repose sur trois caractéristiques : elle privilégie le multilatéralisme, elle accorde la priorité à son voisinage immédiat et elle apporte une réponse militaire mais aussi civile4. Si le bilan général de cette stratégie reste relativement limité, la volonté des Européens de jouer un rôle croissant en matière de sécurité à l’échelle mondiale est réelle, comme en témoignent les avancées du traité de Lisbonne dans ce domaine. On peut notamment citer la création d’un poste de Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui fusionne les postes du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (Monsieur Javier Solana actuellement) et du Commissaire européen chargé des relations extérieures. Ce représentant extérieur unique de l’Union européenne sur la scène internationale se voit en outre doté d’un service diplomatique européen. Le traité de Lisbonne consacre en outre d’importantes avancées en matière de politique de sécurité et de défense commune. Il introduit deux clauses : l’une de défense mutuelle et l’autre de solidarité et étend les possibilités d’actions de l'Union à la lutte contre le terrorisme, aux missions de prévention des conflits et aux missions de stabilisation post-conflit par exemple. Ensuite il introduit la « coopération structurée permanente », ouverte aux États qui s'engageront à participer aux principaux programmes européens d'équipement militaire et à fournir des unités de combat immédiatement disponibles pour l'Union européenne. Enfin, il consacre l'existence de l'Agence européenne de défense, dans la perspective de développer une réelle politique européenne de l'armement et de coordonner l'effort d'équipement des différentes armées nationales.

Ces avancées, insuffisantes mais nécessaires, dans la voie de la constitution d’un « hard power » apparaissent indispensables compte tenu de la dégradation de l’environnement international actuel. La multipolarité et la course à l’arme nucléaire obligent l’Union européenne à devenir une véritable puissance politique et militaire. Certes, compte tenu de son histoire, l’Union européenne peut difficilement n’être qu’une puissance militaire, mais elle peut combiner les volets militaire et civil pour assurer au mieux la sécurité du monde. C’est précisément sa capacité à développer une politique de défense commune, d’une nature nouvelle, qui lui permettra de rendre plus crédible le rôle de puissance internationale qu’elle entend jouer désormais. Ce sera l’une des priorités de la présidence française de l’Union.






***




Au cours de ses cinquante ans d’existence, l’Union européenne a su prouver son rôle commercial et sa capacité d’influence sur le reste du monde. Toutefois, dans l’environnement international incertain que nous connaissons, cela ne suffit plus et elle doit renforcer sa puissance politique.

Le traité de Lisbonne prévoit plusieurs dispositions qui devraient permettre d’accroître le rôle de l’Union européenne sur la scène internationale et de faciliter son ancrage dans la mondialisation. Sur le plan économique d’abord, pour conserver sa compétitivité interne et externe, elle doit impérativement mettre en œuvre les réformes prévues dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. Pour asseoir son rôle politique, les États membres doivent ratifier le traité de Lisbonne afin qu’il puisse rapidement entrer en vigueur et le mettre en œuvre rapidement. Le fonctionnement de l’Union en sera amélioré. Enfin, ses États membres doivent faire preuve d’une réelle volonté d’agir en commun à l’extérieur si l’Europe veut réellement jouer un rôle international, à la mesure de ce qu’elle est aujourd’hui.   Cette phase de l’intégration européenne est donc particulièrement importante. L’Union se transforme pour affronter le XXIème siècle et tourner désormais son regard en priorité vers le monde.





1 
J.-F. Jamet, « La préférence communautaire ou les illusions du protectionnisme européen », Question d’Europe n°64, Fondation Robert Schuman, 11 juin 2007, http://www.robert-schuman.org/question_europe.php?num=qe-64 



2   Zaki Laïdi, « Les conséquences inattendues de la puissance européenne », Centre d’études européennes de Sciences Po, décembre 2007.

3 Z. Laïdi, idem.


4  
Selon l’expression utilisée par M. Lefebvre dans son article « La ‘Stratégie européenne de sécurité’ à l’épreuve des faits » in L’état de l’Union 2007. Rapport Schuman sur l’Europe, Éditions Lignes de Repères, 2007.