fr en de
portrait
Agenda

09 avril 2024

Dans le cadre d'une série de seminaires citoyens organisée par Frédéric Petit, Député des Français établis en Allemagne, Europe centrale et Balkans, Jean-Dominique Giuliani tiendra une conférence en ligne sur le sujet des grands défis auxquels l'Union européeenne fait face en vue des élections européennes.

L'Europe du droit est-elle possible?

Jean-Dominique Giuliani a accordé une interview au Journal du Dimanche pour un article sur la place de l'Europe dans le droit international.



https://www.lejdd.fr/Economie/leurope-du-droit-est-elle-possible-3887840



L'Europe du droit est-elle possible ?



Par Chloé Rossignol



Brexit, élections européennes, question des souverainetés, mobilité grandissante des citoyens : l'Europe déchaîne les passions sur tous les plans. À l'aube de leur 115e congrès international, qui se tiendra pour la première fois à l'étranger, les notaires explorent la question juridique et philosophique de la place de l'Europe dans le droit international.



C'est un projet qui a réussi ­au-delà de toutes les espérances, et s'il faut inventer une autre Europe, nous partons d'un succès, non pas d'un échec." La vision de Jean-­Dominique Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman et de l'Institut libre des relations ­internationales, est plus que rafraîchissante dans une société qui a tendance à mettre en doute la puissance politique et économique de l'Union européenne sur l'échiquier ­international, à l'heure du Brexit et de la montée des nationalismes.



Il faut selon lui laisser les souverainetés s'exprimer, ne pas les opposer, tout en reconnaissant une transformation de la souveraineté nationale en droit, et une globalisation du droit, qui suit celle de l'économie et d'une partie de l'opinion. Cet européaniste convaincu cite en exemple l'actualité récente de Boeing, dont l'interdiction de vol des 737 Max a été imposée aux États-Unis et à un Donald Trump réticent sous pression des États européens et de l'opinion publique, portée par des consommateurs anxieux et en colère. Une forme d'hommage rendu aux pères fondateurs de l'Europe, inventeurs du ­processus de fabrication du droit européen, mû par l'interdépendance entre États, le développement des échanges et la création progressive d'une opinion internationale à l'origine de la création de normes juridiques.



Le droit comme instrument de souvraineté



Avec ses 11 traités et sa cascade de règlements, le droit européen vient compléter le droit national et ne l'annule en aucun cas : s'il y a conflit entre un règlement européen et une loi, la loi n'est pas annulée, elle est simplement suspendue en vertu de la règle de la primauté du droit européen, qui ne constitue pas une primauté sur les Constitutions. Le droit ­européen est donc un bonus générateur de droit pour les citoyens, et non une contrainte supplémentaire. Jean-Dominique Giuliani insiste sur cette diversification juridique salutaire : "Les sources du droit ne sont plus seulement nationales, mais internationales, et aussi ­européennes."



Faut-il cette harmonisation tant réclamée à l'échelle européenne dans le domaine fiscal ou politique afin de faire du droit un instrument de souveraineté ? Non, répond ­fermement François Heisbourg, président de l'International Institute for Strategic Studies de Londres et auteur de La Fin du rêve européen, qui s'appuie sur les exemples de grands ensembles fédéraux comme les États-Unis, l'Inde ou le Brésil pour démontrer que l'incomplétude juridique européenne n'est pas rédhibitoire pour avancer. La Commission européenne est l'un des marqueurs de la puissance de frappe juridique de l'Europe à l'international, notamment en droit des affaires : aujourd'hui, une fusion-acquisition entre deux sociétés américaines doit ­passer entre ses mains avant d'être ­approuvée, comme, à l'inverse, une opération entre deux entreprises européennes sera vérifiée par les procédures ­américaines.



L'Europe est désormais aussi ­puissante que les États-Unis dans ce domaine. Mais nos cousins outre-­Atlantique ont un avantage sur nous : leur droit ­intérieur prime le droit ­international et il est utilisé légalement comme un moyen de ­projections extraterritoriales, via notamment ce que les banquiers centraux appellent le droit de seigneuriage, lié au fait que les États-Unis sont les possesseurs physiques du dollar et que dès qu'une société utilise cette ­monnaie, elle tombe sous le coup de la loi américaine. L'Europe a du mal à faire face à cette vision unilatérale, particulièrement depuis l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, qui exprime clairement sa volonté de mener une guerre économique et commerciale aux entités qu'il juge être des concurrents déloyaux des États-Unis, dont l'Europe fait ­partie.



L'Europe est désormais aussi ­puissante que les États-Unis dans ce domaine. Mais nos cousins outre-­Atlantique ont un avantage sur nous : leur droit ­intérieur prime le droit ­international et il est utilisé légalement comme un moyen de ­projections extraterritoriales, via notamment ce que les banquiers centraux appellent le droit de seigneuriage, lié au fait que les États-Unis sont les possesseurs physiques du dollar et que dès qu'une société utilise cette ­monnaie, elle tombe sous le coup de la loi américaine. L'Europe a du mal à faire face à cette vision unilatérale, particulièrement depuis l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, qui exprime clairement sa volonté de mener une guerre économique et commerciale aux entités qu'il juge être des concurrents déloyaux des États-Unis, dont l'Europe fait ­partie. L'Europe est désormais aussi ­puissante que les États-Unis dans ce domaine. Mais nos cousins outre-­Atlantique ont un avantage sur nous : leur droit ­intérieur prime le droit ­international et il est utilisé légalement comme un moyen de ­projections extraterritoriales, via notamment ce que les banquiers centraux appellent le droit de seigneuriage, lié au fait que les États-Unis sont les possesseurs physiques du dollar et que dès qu'une société utilise cette ­monnaie, elle tombe sous le coup de la loi américaine. L'Europe a du mal à faire face à cette vision unilatérale, particulièrement depuis l'arrivée de Donald Trump au pouvoir, qui exprime clairement sa volonté de mener une guerre économique et commerciale aux entités qu'il juge être des concurrents déloyaux des États-Unis, dont l'Europe fait ­partie.



L'Euro, une arme extraterritoriale efficace



Comment résister à cette ­extraterritorialité ? L'une des pistes évoquées par François Heisbourg est d'utiliser avec plus de dureté les instruments juridiques dont l'Union européenne dispose déjà. Un processus en cours avec par exemple la manière dont l'Union européenne taxe les Gafa en matière de violation du droit de la concurrence, ou encore le règlement général sur la protection des données (RGPD), l'une des récentes réussites législatives de l'Union européenne qui atteint même le puissant PDG d'Apple, dont l'appel à la création d'un système similaire aux États-Unis a surpris la sphère économique mondiale et flatté l'ego de ­l'Europe. Pour François Heisbourg, Tim Cook ne fait qu'anticiper la volonté de protection du peuple américain, qui devrait suivre celle des citoyens européens. Cette ­faculté de tenir compte du droit des consommateurs est unique, propre à l'Europe, et il s'agit désormais de mieux la valoriser au niveau mondial.



Le symbole ultime d'une Europe du droit est la monnaie unique, qui, malgré les crises successives et toutes les tentatives de déstabilisation, s'est imposée en dix ans comme la deuxième monnaie mondiale, un défi pour les Américains. "Nous sommes des ennemis et nous n'en avons pas conscience", ­explique Jean-­Dominique Giuliani, qui affirme que l'euro s'est imposé dans les caisses de la Réserve fédérale américaine, raison pour laquelle économistes, banquiers et journalistes financiers américains font tout pour l'affaiblir. Mais l'euro subsiste en vertu de sa nature ­politique, et aucun euroscepticisme – qu'il soit grec, italien ou ­français – ne parvient à avoir raison de ce qui est désormais considéré comme un acquis par les citoyens européens.



L'Europe est donc capable ­d'imposer sa vision sur la scène internationale et son droit est protecteur. Les notaires y croient, et participent activement à cette construction perpétuelle au ­quotidien, aussi bien dans leurs études que dans leur corporation : le prochain congrès, qui a pour thème l'international, se déroulera en juin pour la première fois depuis sa création hors des frontières hexagonales, à Bruxelles, comme pour affirmer au monde l'existence incontestable d'une Europe du droit.