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L'influence de la France au sein de l'Union européenne

Article publié dans le Figaro du 21 avril 2004 sous le titre "Des eurodéputés français en quête d'influence".

Le 21 avril 2004, Jean-Dominique Giuliani publiait dans le Figaro un article "Des eurodéputés français en quête d'influence" dans lequel il s'inquiétait du manque d'intérêt des Français pour le Parlement européen et du poids insuffisant de nos représentants au Parlement européen. Suivie d'une étude de la Fondation Robert Schuman et d'un rapport parlementaire confirmant ces analyses, cette prise de position devait peser sur la campagne pour les élections européennes et devenir l'un des thèmes importants du débat politique. Depuis, les Français ont commencé à renforcer leur participation dans les instances parlementaires européennes; ils occupent quatre présidences de comissions et deux Vice-Présidence. Il faut les en féliciter. Il y a encore beaucoup à faire.



Des eurodéputés en quête d'influence



L’élargissement de l’Union européenne et sa réforme institutionnelle devraient permettre à la campagne pour les élections européennes du 13 juin prochain de s’emparer de vrais sujets européens et le nouveau découpage électoral inciter à « dé-nationaliser » au maximum le débat qui va s’ouvrir à cette occasion.



La France en a vraiment besoin.



Le constat est connu : l’influence française au sein des institutions européennes régresse. Masqué par une diplomatie nationale très active et par le statut acquis par le Président de la République en Europe et dans le monde, il ne peut rester sans réaction de notre part.



Les intérêts français sont insuffisamment pris en compte au sein des institutions européennes non intergouvernementales (Parlement et Commission), la France est trop absente des débats intellectuels purement européens qui sont localisés à Bruxelles, le fossé se creuse entre notre logique politique et administrative nationale et les décideurs européens, le coût économique et financier de cette situation commence à se faire sentir ; elle a pour contrepoint une réelle méconnaissance française du fonctionnement et des règles de l’Union.



Les échéances à venir aggravent ce constat. L’élargissement va compliquer le jeu diplomatique et réduire notre présence relative au sein des institutions et services de l’Union. De nombreux postes de fonctionnaires européens seront réservés aux ressortissants des nouveaux Etats-membres. La nouvelle Constitution va renforcer le Parlement européen. Le Conseil devra dialoguer davantage avec le Parlement et les mouvements politiques vont jouer un rôle accru. L’élaboration des nouvelles orientations de l’Union européenne (perspectives budgétaires, politique régionale) prend une vraie dimension politique.



L’évolution économique nécessite que soit mieux relayée la voix de la France dans le concert d’interrogations européennes. Des mésaventures récentes ont, en effet, placé la France en difficulté (Bull, Alstom, EDF, France-Télecom, Aventis, etc…).



Tous les Français intéressés au bon fonctionnement des politiques européennes en conviennent: la France doit réagir.



La défense et la promotion des intérêts français en Europe doivent faire l’objet d’une action mieux coordonnée et plus méthodique et d’une campagne efficace.



Il ne servira à rien de ressasser les « vieilles lunes » de débats archaïques (pour ou contre l’Europe). Toutes les études d’opinion montrent que les Français considèrent l’Union de l’Europe comme un acquis. En revanche ils s’interrogent sur le contenu de ses politiques et sur ses méthodes d’action. Ils attendent qu’on leur en parle. Ils ont raison.



La campagne doit donc être concrète. Exemples et propositions précis doivent être privilégiés en se tournant vers l’avenir plus que vers le passé.  Les thèmes de la sécurité intérieure et extérieure, de la relance économique par l’innovation, de la solidarité financière européenne, de l’environnement, devraient ainsi, parmi d’autres, être davantage mis en discussion. Et s’il y a débat, tant mieux. Les Français choisiront.



Mais quel que soit les résultats du scrutin, nous aurons à faire face à une nouvelle configuration européenne dans laquelle notre poids relatif sera mécaniquement diminué. Nous ne pouvons plus nous contenter de nous occuper d’Europe qu’au moment des élections européennes. Beaucoup des décisions prises à Bruxelles et Strasbourg sont plus importantes que nos décisions internes. Elles doivent être plus systématiquement intégrées dans la politique intérieure française, être débattues, contestées ou approuvées.



Une véritable stratégie de présence accrue au sein des institutions européennes est pour cela nécessaire. Elle exige le développement de Think Tanks français à Bruxelles, qui soient capables de rivaliser avec ceux qui occupent aujourd’hui tout l’espace. Elle nécessite l’implication de responsables politiques français plus engagés pour travailler sur les véritables enjeux européens à Bruxelles et Strasbourg comme à Paris.



Le choix des futurs parlementaires européens est déterminant alors que notre nombre de députés va passer de 87 à 78 pendant que, par exemple, celui de nos partenaires allemands va croître de 87 à 99.  De surcroît, ce chiffre passera à 72 lorsque la Bulgarie et la Roumanie seront intégrées à l’UE. L’organisation des Français au sein des institutions européennes est indispensable au prolongement des débats de politique intérieure française.



Les candidats aux élections européennes, quel que soit leur bord, doivent être renouvelés, compétents, intéressés et organisés.



Il est inutile de rappeler l’importance de parler différemment de l’Europe, en termes simples et compréhensibles. Il faut des députés jeunes, concernés par l’avenir et non toujours les mêmes. Rien ne serait pire à cet égard que de considérer le scrutin européen comme un rattrapage pour des recalés du suffrage universel ou comme compensation à la perte de quelque fonction officielle. Les Français sanctionneraient une telle attitude.



Par ailleurs, les candidats doivent s’engager à ne pas cumuler leurs fonctions avec d’autres mandats. Ils doivent être des élus à plein temps. La France en a besoin. Aujourd’hui 51% des députés européens français détiennent un autre mandat, contre 14% pour les Allemands et 6% pour les Britanniques !…



La compétence des futurs élus est essentielle pour l’influence de la France en Europe. Elle doit d’abord s’exercer dans les matières économiques et financières, auquel le discours politique français est trop souvent étranger. Nos entreprises souffrent de ne pas pouvoir compter sur des soutiens solides au Parlement européen. Il en va de même des syndicats. Nos débats sont trop souvent vains pendant que s’élaborent sans nous des règles strictes qui dessinent l’économie et la société de demain. Il est indispensable de corriger cette anomalie. Est-il normal que les députés français s’inscrivent en moins grand nombre que les Britanniques et bien sûr que les Allemands, au sein de la Commission économique et monétaire ou de la Commission de l’Emploi et des Affaires sociales ? Dans toutes les Commissions dont le travail est important pour l’économie française, le nombre de Français est inférieur à celui des Allemands et des Britanniques. Cette place ne correspond pas à notre ambition pour la France. Elle marque un désintérêt coupable.



Nos députés doivent être intéressés aux développements européens. Ils doivent pouvoir prendre part aux débats européens essentiels – quelle politique industrielle, monétaire, de concurrence, de la recherche ? - et être en mesure de contrôler l’Exécutif européen. Ils doivent être présents. L’absentéisme français nous place à l’avant-dernier rang (14 sur 15) du Parlement européen. Souvent, quand il y a 50 Britanniques en séance, il n’y a que 10 Français ! Le peu d’intérêt manifesté en France pour les sujets européens ne peut être combattu que par des élus actifs qui participent aux travaux et en rendent compte à nos concitoyens. Expliquer l’Europe, la vivre, y participer c’est lui permettre de se réformer. Cela  aussi est nécessaire.



Nos députés doivent s’engager à s’organiser dans la discipline et l’efficacité pour peser au Parlement et dans les institutions européennes. Les députés européens français n’ont présenté qu’un tiers du nombre de rapports rédigés par les Britanniques. Or la fonction de rapporteur est essentielle au vote de la loi européenne. Notre faible implication dans le processus politique européen se paie ainsi d’une mise en cause de la réalité française.



La dispersion, le désintérêt et le relatif amateurisme dont ont fait preuve dans le passé les mouvements politiques français envers le Parlement européen, ont causé de grands torts aux intérêts de notre pays. A quelques exceptions près, nos députés européens ont pesé de peu de poids. On connaît le nom de ceux qui ont fait exception et hommage leur soit rendu. Mais force est de reconnaître que la France doit rompre avec ces pratiques si elle veut participer véritablement à ce qui se décide désormais à Bruxelles et Strasbourg, c’est-à-dire 60% de nos lois.



Mieux coordonner l’action de tous ceux qui, à un titre ou un autre, y sont présents, pourrait redonner du poids à la présence française en Europe. Cela implique nécessairement les Pouvoirs publics en charge des affaires européennes, mais aussi les formations politiques, les Think Tanks, les lobbies français de toute nature, le patronat et les syndicats, la presse. Un travail commun doit être entrepris, dont  tous ceux qui connaissent la vie européenne mesurent l’urgence.



En pesant de toutes nos forces au sein des grands groupes du Parlement européen, nous devons mieux assurer la représentation des intérêts français plutôt que de nous disperser dans des groupuscules sympathiques mais inefficaces. Une vie politique européenne est en train d’apparaître. Il nous faut y participer, avec des amis, des alliances. Nous ne devons pas rester les derniers Gaulois à résister dans notre camp retranché où nous ne décidons, seuls, que de plus grand-chose.



La campagne doit être vraiment européenne en faisant appel à des personnalités d’autres pays de l’Union. Nous devons aussi être présents en dehors de nos frontières nationales et prendre parti dans les débats d’autres pays. Nous y aurions un grand intérêt politique.



Au moment où les formations politiques élaborent leur stratégie et leurs listes pour les élections du 13 juin prochain, elles doivent prendre en compte ces aspects déterminants de la défense de l’influence de la France au sein des institutions européennes. Ils exigent de rompre avec les pratiques du passé : le scrutin européen n’est pas une empoignade nationale de plus, c’est le mode de désignation de députés qui doivent nous défendre, assurer la représentation de nos intérêts, faire progresser l’Europe. C’est plus utile que jamais. Cela impose aux partis français des thèmes de campagne à la hauteur des enjeux, le choix de candidats sérieux et crédibles et l’organisation future du travail de véritables parlementaires européens, élus désormais dans de grandes régions et dont les pouvoirs ne vont pas cesser de s’accroître. On dira que je plaide pour ma paroisse ! Non, pour la France et pour l’Europe !