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La Turquie doit faire l'effort de comprendre ce qu'est l'Europe

Publié dans "Le Figaro" du 2 décembre 2006

Ainsi les diplomates européens ont échoué à convaincre la Turquie de revenir sur son refus de reconnaître un État membre de l'Union. Ce blocage a des conséquences concrètes sur les discussions ouvertes entre l'Union européenne et son grand partenaire d'Asie mineure : la Commission européenne recommande la suspension des négociations. Puisse ce moment difficile être l'occasion d'une remise à plat de nos relations.



Depuis le début, celles-ci reposent en effet sur de fausses bases. L'Europe et ses États membres ont maintes fois confirmé leurs bonnes intentions à l'égard de la Turquie, un partenaire pourtant difficile. La Turquie, emmenée par des élites de grande qualité, tournées vers l'Occident et l'Europe, s'est laissé emporter par son élan et a trop attendu de l'Union une aide, jamais refusée, pour moderniser un pays de grande taille, fragile, traversé de divisions, toujours à la recherche d'une identité vraiment stabilisée. Ou alors, comment expliquer cette sensibilité exacerbée, ce nationalisme d'un autre âge, généralement utilisé par les pays en mal d'unité ou menacés de l'extérieur ? Personne ne menace la Turquie. C'est ainsi que naquit l'idée de l'adhésion à l'Union européenne. Idée saugrenue, qui heurte le bon sens élémentaire : peut-on imaginer que le principal pays d'Europe par la population et la taille soit situé sur le continent asiatique ?



Les États de l'Union, comme les dirigeants turcs, ont manqué dans le passé à leurs devoirs premiers : la diplomatie a ses règles mais aussi ses limites : on ne peut aller trop loin sans le soutien des peuples. On ne peut pas aller contre le bon sens populaire. La politique d'adhésion à marche forcée aboutit au résultat exactement inverse à celui recherché : elle oppose les peuples au lieu de les rapprocher. Il est temps d'arrêter la casse.



La Turquie et l'Europe ont beaucoup à faire ensemble. Chacun de son côté a suffisamment de problèmes à régler pour ne pas les additionner. La Turquie doit prouver sa modernité qui est en marche. Le chemin est long, qui lui permettra d'être en bons termes avec tout son voisinage, de régler la question des minorités et d'instaurer une laïcité consensuelle plutôt que contrainte. L'Europe, quant à elle, doit enfin régler la question de son territoire. Elle n'est pas seulement un grand marché ni un ensemble de valeurs partagées. Elle est une entité politique de plus en plus attendue et sollicitée. Comme telle, elle a aussi un territoire délimité par les mers, au nord, à l'ouest, au sud et des confins variables à l'est. C'est à cette condition qu'elle pourra acquérir toute sa dimension politique dont le monde a besoin.



Aucune de ces exigences n'exclut la coopération, l'amitié, les échanges et les bonnes relations. Au contraire, elles devraient permettre des liens plus forts basés sur l'acceptation des différences. Toute autre voie, notamment celle de l'adhésion, aura immanquablement pour effet l'affrontement des modèles, des cultures et des peuples. La Turquie voudra négocier toutes les règles du Club auquel elle prétend adhérer. Elle a déjà commencé. L'Europe ne faiblira pas sur ses principes. Elle ne pourra aller trop loin sans remettre en cause sa propre existence, c'est-à-dire les règles qu'elle s'est données. Il est donc urgent d'agir. La Commission européenne, en charge de l'intérêt général de l'Union, serait bien inspirée d'assumer ses responsabilités plutôt que de s'en remettre à d'autres en, arrêtant sa mécanique d'élargissement basée sur des critères au profit d'une réflexion stratégique et politique qui fait défaut. Les États membres pourraient, à l'image de la chancelière Angela Merkel, proposer d'autres formes de relations privilégiées à la Turquie. Ce serait sage et utile. La Turquie doit comprendre aussi ce qu'est l'Europe et cesser de l'instrumentaliser à des fins de politique intérieure. C'est à elle, en grand pays, de prendre l'initiative de régler les affaires chypriotes, de renouer avec l'Arménie. C'est toujours au plus fort de faire le premier geste.



C'est aussi une leçon européenne. Nous l'avons fait en surmontant notre histoire, en bannissant les nationalismes et en dépassant nos affrontements passés. Nos amis doivent pouvoir le faire.