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Une vision d'Europe

Article publié dans la revue Géoéconomie n°39 - Automne 2006


 



Géoconomie : Le projet européen a connu dans son histoire des avancées et des périodes de stagnation. Longtemps tête de pont, la France a joué un rôle que son influence relativement diminuée ne lui permet plus de jouer aujourd’hui. Plus d’un an après l’échec du référendum sur la constitution européenne, quel bilan peut-on faire de la place de la France dans le processus de construction européenne ?



Jean-Dominique Giuliani : La France est un Etat fondateur de la Communauté européenne. Elle a eu un rôle moteur dans l’histoire de l’Union. Les impulsions des responsables politiques français ont contribué à rythmer la construction européenne. La déclaration Schuman, les innovations introduites par Valéry Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt (Elections du Parlement européen au suffrage universel, Conseil européen, SME), la présidence de la Commission européenne par Jacques Delors qui a permis la signature de l’Acte unique et la mise en place du marché intérieur, l’Euro : autant d’exemples qui montrent que la France a participé au mouvement collectif d’intégration européenne. Tous ses présidents et tous ses gouvernements, à un titre ou à un autre, à des degrés divers, ont poursuivi une politique pro-européenne.



Pour autant, la France n’a pas entièrement pris conscience de la nature de la construction européenne : l’Union c’est une multitude de partenaires et des décisions obtenues à l’aide de compromis négociés. Ne disposant pas d’une culture de négociation, elle peine face à la multiplication du nombre d’Etats membres. Le passage à 25 Etats membres est pour la France un réel défi et peut expliquer, en partie, le sentiment qu’ont les Français de la dilution de l’influence de la France en raison de l’expansion de l’Europe.



De surcroît, la France n’a pas réellement pris l’habitude de convaincre ses partenaires de sa position, de les rallier pour bâtir une majorité. C’est tout un apprentissage de la négociation, de l’art du compromis et de l’influence qui s’effectue lentement.



Elle défend une vision propre de ce que doit devenir l’Europe. Cette Europe, certains de nos partenaires européens le disent, c’est une Europe à l’image de la France. Au-delà de la diversité des points de vue concernant la finalité de l’Union, la France est majoritairement partisane d’une Europe puissance, qui soit aussi une Europe porteuse de valeurs sociales, garantes d’une forte protection.



Le non français a porté un coup au processus d’ensemble de la construction européenne. Non seulement il a été le fait d’un Etat fondateur, mais en plus d’un Etat fondateur qui, par deux fois, a refusé un approfondissement politique avec des implications en termes de souveraineté.



Le non a incontestablement jeté un doute sur l’engagement européen de la France et porté atteinte à sa crédibilité de grand Etat fondateur et moteur.



Nos partenaires font sentir de manière pressante leur attente d’une proposition de relance française.



Géoénomie : Quelles sont selon vous les conditions d’un rôle français moteur au sein de l’Union et quels sont les contours d’une politique française renouvelée ?



Jean-Dominique Giuliani : Deux étapes sont nécessaires pour que la France retrouve de nouveau un vrai rôle moteur : il lui faut mener un travail d’introspection et, par ailleurs, établir une vraie stratégie européenne.



Pour rétablir le rôle moteur de la France, il faut procéder à une introspection qui, je le regrette, n’a pas eu lieu après le choc du 29 mai 2005. La France doit apprendre à tenir compte de ses 24 partenaires européens, à être présents auprès d’eux, si elle espère pouvoir les convaincre de sa vision de l’Europe du futur. Elle doit s’adapter à un système institutionnel par essence différent de la centralisation française traditionnelle. Pour cela, il serait bon que les affaires européennes soient traitées plus ouvertement ; que le gouvernement rende compte, dans un dialogue continu avec le parlement et les citoyens, de son action européenne.



La France se doit aussi de remettre en cause sa représentation négative du marché et de ses conséquences. Les Français ont encore une conception colbertiste de l’économie avec un fort interventionnisme de l’Etat. Il faut qu’elle se pose les bonnes questions : Qui réussit en Europe ? Les Etats qui ont, avec succès, procédé aux réformes structurelles nécessaires pour assurer la croissance : le Royaume Uni, l’Allemagne qui entame une relance,… Ne vaut-il pas mieux procéder à des réformes permettant de sauver l’essentiel de notre système de protection sociale tout en rassemblant les conditions du retour à la croissance, plutôt que de se complaire dans un immobilisme funeste à terme ? Le risque qu’encourt la France est de découpler de plus en plus son économie du marché européen.



En un mot, la France doit définir sa stratégie européenne : ce qu’elle ambitionne pour le marché intérieur, quelle conception elle a des limites de l’Union européenne et quelles institutions lui semblent assurer un meilleur équilibre entre efficacité et légitimité ? Quelles politiques et quels projets souhaite-t-elle porter en Europe ?



Géoéconomie : On évoque depuis les premiers pas de la construction européenne l’importance du couple franco-allemand. N’avez-vous pas l’impression qu’une page s’est aujourd’hui tournée et que, finalement, la relation franco-allemande a moins de pertinence aujourd’hui qu’elle n’en avait hier ?



Jean-Dominique Giuliani : Le couple franco-allemand est un élément fondateur et structurant de l’Union européenne. Les deux pays représentent 30% de la population de l’Union et comptent pour 50% du PIB de la zone Euro : ces éléments à eux seuls illustrent le poids de la France et de l’Allemagne dans l’Europe.



Cependant, il apparaît que certains des éléments qui incarnaient le couple franco-allemand tout au long de son évolution sont aujourd’hui fragilisés. Le modèle socio-économique rhénan de la France et de l’Allemagne est en crise. Dans ces conditions, l’Allemagne met en place les réformes structurelles nécessaires et la France rencontre des difficultés à le faire. En outre, l’influence décisive des deux pays décroît au fil des élargissements, notamment en raison de l’augmentation importante du nombre de petits Etats membres, surtout lors de la réunification de l’Europe en 2004. D’un point de vue économique, l’Allemagne et la France n’ont pas respecté le pacte de stabilité et de croissance, alors que l’Allemagne était l’égérie de la stabilité monétaire et de la rigueur budgétaire et que la France avait milité pour la mise en place du pacte lui-même. La France diffère de l’Allemagne dans sa volonté de mettre en place un gouvernement économique de la zone Euro. L’Allemagne, elle,  tient, pour des raisons historiques, à l’indépendance de la Banque centrale.



En outre, le front uni montré par l’Allemagne et la France face à la décision des Etats-Unis d’envahir l’Irak en 2003 n’a pas rassemblé les Etats européens autour des deux grands Etats. L’opposition aux Etats-Unis n’est pas une posture qui convainc à elle seule et l’Allemagne a d’ailleurs modifié sa position depuis, à la suite du changement de majorité.



La croissance, faible durant ces dernières années,  n’était pas pour améliorer la vision qu’ont les nouveaux Etats membres du couple franco-allemand. D’autres Etats, tel le Royaume Uni ou l’Espagne ont eu des taux de croissance bien plus élevés et représentent des modèles bien plus attractifs pour ces Etats. Pour rendre le couple franco-allemand plus crédible, il faut que les deux pays acceptent de faire preuve de plus d’entrain et d’enthousiasme.



Le fait que le Royaume Uni, l’Irlande et la Suède, puis depuis peu l’Espagne, le Portugal et la Finlande aient levé les restrictions à la liberté de circulation des personnes, a envoyé des signaux positifs aux nouveaux Etats. L’Allemagne et la France font figure de retardataires en la matière.



Le couple franco-allemand est pourtant loin d’être mort ; il doit trouver une nouvelle légitimité et s’adapter à la nouvelle configuration. Il demeure indispensable. L’Europe des six, c’était trois grands et trois petits. L’Europe des 25, ce sont six grands et 19 petits. La France doit notamment faire un effort considérable pour prendre en compte tous ses partenaires et rompre avec le discours du noyau dur. Ce serait un bon début d’accorder un peu plus d’importance aux présidences du Portugal, de la Slovénie et de la République Tchèque qui vont se succéder entre deux grands rendez-vous institutionnels: les présidences allemande et française.



Géoéconomie : Il est reconnu depuis longtemps qu’un accord franco-britannique en matière de défense, est une condition de l’émergence d’une Europe de la défense sérieuse et crédible. Quelle est votre analyse de cette question ? Jugez-vous souhaitable, et si oui comment, la constitution d’un éventuel axe Paris-Londres ?



Jean-Dominique Giuliani : La France et le Royaume Uni ont des caractéristiques communes qui expliquent la nécessité de leur rapprochement en matière de défense. Les deux Etats ont une longue histoire coloniale dont l’héritage pèse sur leur vision des relations internationales. La France est une puissance continentale et le Royaume Uni, une puissance maritime : en cela, les deux Etats sont complémentaires. Ce sont toutes deux des puissances nucléaires qui ont un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, ayant des capacités de projection et les deux budgets de défense les plus importants parmi les Etats européens. Ils possèdent les deux premières armées d’Europe. En outre, le passé colonial des deux Etats leur confère une vision mondiale de la politique étrangère et une culture de puissance.



En revanche, les disparités de point de vues entre les deux pays sont nombreuses. Après la crise de Suez, il y a cinquante ans, la France et le Royaume Uni ont pris des options stratégiques divergentes à bien des égards. La France a opté pour l’autonomie nationale  et a choisi l’Europe comme levier de sa propre puissance ; d’où sa vision de l’Europe puissance. Le Royaume Uni a choisi de partager sa puissance au sein d’une alliance stratégique étroite avec les Etats-Unis.



L’Europe de la défense ne peut se passer du couple franco-britannique. Grâce à lui et à l’accord franco-britannique de Saint-Malo, le 4 décembre 1998, l’Union dispose d’outils pour la PESD. Lors du Sommet trilatérale de Berlin à l'automne 2003 ce furent le Royaume Uni, la France et l’Allemagne qui décidèrent la création d'un état-major européen.



Le marché européen des équipements de défense repose, lui, sur un triptyque différent comportant l’Allemagne et d’autres Etats associés  tels l’Italie ou l’Espagne.



Par ailleurs, pour mettre en place une Europe de la défense, il est indispensable de tenir compte du fait que 19 des 25 Etats membres sont membres de l’OTAN. Cet élément prouve bien qu’une Europe de la défense n’est envisageable que si elle se construit avec l’OTAN et non contre elle.



Si l’UE doit avoir une vraie stratégie, elle doit comporter un accord franco-britannique. Le triptyque formé par la France, l’Allemagne et le Royaume Uni est également un pilier de la défense européenne pensée comme un élément de la politique étrangère européenne : ce sont bien ces pays qui négocient avec l’Iran sur le dossier nucléaire. Il est difficile d’élaborer une véritable stratégie de l’Union européenne sans eux ; néanmoins, il convient également de rassembler d’autres Etats membres. Reste à trouver quelle finalité on donnera à cette Europe de la défense, sur quels objectifs géostratégiques elle reposera.



Géoéconomie : A un moindre degré que les relations Paris-Londres, ne vous semble-t-il pas que la France a négligé l’Italie comme partenaire, et qu’une stratégie italienne permettrait d’accroître efficacement l’influence française à Bruxelles ? Quels seraient les sujets autour desquels Paris et Rome pourraient se retrouver et peser dans le concert européen ?



Jean-Dominique Giuliani : L’Italie est un partenaire important pour la France. C’est un pays fondateur, europhile. Le président du Conseil, Romano Prodi, va déployer des efforts importants pour permettre à l’Italie de redevenir un acteur moteur de l’Union européenne. Cependant, cela prendra du temps car la situation économique italienne est préoccupante ; l’Italie affiche parmi les plus importants déficits budgétaires de l’Union (3.8% de déficit budgétaire et 106.4% de dette publique).



La France n’a pas avec l’Italie les relations qu’elle devrait avoir compte tenu de nos liens et de nos intérêts communs.



Il est vrai que la France doit s’appuyer davantage sur ses partenaires du Sud de l’Europe. Une stratégie espagnole de la France aurait, par exemple, beaucoup de sens. En effet, en Espagne, le taux de chômage a été divisé par deux en dix ans. L’Espagne peut ouvrir à la France de nouvelles perspectives notamment en ce qui concerne les relations extérieures, avec le Maghreb, avec l’Amérique du Sud. La France a beaucoup à apprendre d’une Espagne qui a acquis de l’expérience notamment en matière d’immigration. L’Espagne et l’Italie nous permettent également de recentrer notre attention sur l’espace méditerranéen, pour faire de la Méditerranée une véritable mer européenne.



Géoéconomie : La Turquie reste un sujet sensible. Quelle est votre analyse des positions française et européenne ? Ne vous paraît-il pas qu’un discours plus réaliste, de vérité, serait bienvenu, celui qu’ont suggéré plusieurs responsables politiques, notamment VGE ? A savoir que la Turquie a vocation à être un partenaire privilégié de l’UE mais n’est pas destinée, dans un futur prévisible, à s’asseoir au Conseil de l’UE ? Un tel discours n’éviterait-il pas de dangereuses déceptions et des malentendus dommageables à la stabilité politique en Méditerranée ?



Jean-Dominique Giuliani : La Turquie est aux portes de l’Union ; elle est un pont entre deux continents. En tant que telle, l’Union européenne se doit de construire avec cet Etat une relation suivie. Ni le rejet de la Turquie, ni l’adhésion ne sont des solutions satisfaisantes pour l’Europe. Je crois qu’il en est de même pour la Turquie qui commence à le comprendre. C’est pour cela qu’on parle de partenariat privilégié ; partenariat que la Turquie rejette comme une « sous-adhésion ». Nous avons voulu amarrer la Turquie à l’Occident et nous y avons réussi. Nous avons aidé la Turquie à se stabiliser, à se séculariser. Mais je crois qu’elle éprouverait elle-même beaucoup de difficultés avec l’Europe parce qu’elle reste nationaliste par essence, par construction et que l’Union européenne est le contraire du nationalisme. Notre relation doit davantage être bâtie sur le fondement de nos intérêts  et de ceux de la Turquie. Certains sont communs, d’autres non, mais nous pouvons trouver des terrains d’entente positifs, notamment au Moyen-Orient et en Asie centrale.



Un discours plus réaliste serait, en effet, celui qui consisterait à parler clairement des intérêts des parties prenantes d’un point de vue géostratégique, car ce n’est pas l’économie qui pose problème ; l’économie turque est d’ores et déjà liée à l’Union par une zone de libre échange depuis le 31 décembre 1995 et des échanges commerciaux importants (En 2003, 58.1% des exportations turques sont à destination de l’UE ; 52.4% des importations turques viennent des pays de l’UE). Ce qu’il convient de faire c’est instaurer un dialogue politique et de négocier des accords sur une vision commune en termes de voisinage par exemple ou une politique méditerranéenne commune. Les républiques turcophones (l'Azerbaïdjan, le Kirghizstan, le Kazakhstan, le Turkménistan et l'Ouzbékistan) sont une zone d’influence turque et ne doivent pas être négligées, notamment parce qu’elles doivent être partie intégrante d’une politique européenne de diversification des sources d’approvisionnement énergétique.



Géoéconomie : L’énergie est aujourd’hui au coeur des problématiques européennes. La question de la sécurité d’approvisionnement énergétique fait débat, notamment à la lumière du rôle croissant pris par la Russie en ce domaine. Quelle est votre vision des choses ? Quel peut-être le rôle de la France dans cette problématique ?



Jean-Dominique Giuliani : Jusqu’à présent la question énergétique était abordée sous deux angles : l’angle économique et l’angle environnemental. La crise russo-ukrainienne a révélé aux Européens la nécessité de parler de l’énergie en termes stratégiques et de sécurité.



La dépendance stratégique des Etats européens démontre leur intérêt à traiter en commun la question de l’énergie.



La France ne peut agir seule. Elle doit agir avec ses partenaires européens qui sont comme elle au sein d’un marché intégré de l’énergie. Seule une négociation groupée peut conférer le poids suffisant aux arguments européens pour pouvoir porter. La France peut, il est vrai, promouvoir le développement de l’énergie nucléaire, technologie qu’elle maîtrise particulièrement bien et qui permet de remplir l’un des critères de la sécurité énergétique : la diversité des sources.



Cependant, elle doit avant tout s’inscrire dans une politique européenne commune pour l’énergie.



La négociation avec la Russie peut trouver une issue dans la mesure où les deux côtés ont des besoins auquel l’autre peut subvenir. L’Europe a besoin d’un approvisionnement énergétique, notamment en gaz, fiable et sécurisé, à des conditions commerciales négociées. La Russie va avoir très vite besoin d’investissements importants, dont elle n’a pas les moyens, pour soutenir son rythme de production et elle a dans tous les cas besoin des débouchés que lui offrent les Européens. La relation commerciale est beaucoup plus équilibrée qu’on le croit. Qui du vendeur ou du client est le plus dépendant ? Pourquoi ne pas négocier et investir dans une industrie de transformation du brut sur le territoire européen afin de concilier les intérêts russes et européens?



Géoéconomie : La Russie est un grand pays européen qui se sent, à tort ou et raison, rejeté par ses voisins. N’aurions pas intérêt à jeter les bases d’un vrai partenariat stratégique avec Moscou ? Quels pourraient en être les axes ?



Jean-Dominique Giuliani : Les rapports de l’UE avec la Russie reposent encore trop sur les relations bilatérales entretenues par les Etats membres. Il est certain que la Russie mérite que l’UE développe une politique extérieure commune à son égard.



En tant que puissance majeure de la périphérie de l’Europe, la Russie doit être un partenaire stratégique de l’Union. Si l’Europe espère pouvoir sécuriser les zones frontalières notamment les anciennes républiques de l’Union soviétique (Caucase, etc.), elle doit envisager sa relation avec la Russie de manière géostratégique en ayant en tête ses intérêts et en comprenant ceux de son partenaire. La Russie doit faire de même. C’est un travail ardu tant le choc de l’effondrement du communisme a été fort. Mais la Russie doit montrer qu’elle a tourné la page et se réconcilier avec son passé.



Ainsi, les nouveaux Etats membres ont également un rôle important à jouer dans la normalisation des relations avec la Russie. A l’exemple de la présidente lettone qui s’est rendue à la commémoration du 9 mai 2005, à Moscou, en hommage à la victoire des armées alliées. La normalisation des relations passe par de tels actes symboliques.



L’Union européenne doit rester vigilante sur les évolutions du régime russe et engager un “dialogue critique” comme la proposé Angela Merkel. Il ne faut en aucun cas marginaliser la Russie, mais il ne convient pas non plus de fermer les yeux sur les politiques qu’elle mène.



Géoéconomie : Avec la montée en puissance de la Chine, l’émergence maintenant de l’Inde entant qu’acteur global, n‘avez-vous pas l’impression que l’Europe, fait figure d’acteur économique et politique de second rang ?



Jean-Dominique Giuliani : L'Union européenne est la première puissance commerciale au monde. Elle maintient largement cette position avec 20% des échanges mondiaux (pour seulement 6% de la population mondiale). Les États-Unis en réalisent 18%, le Japon 10%.

Elle est la première exportatrice de services, loin devant les États-Unis, ce qui n'est pas négligeable dans un monde où le secteur tertiaire tient une place de première importance.

L'UE constitue par ailleurs un pôle économique de toute première importance avec un PIB supérieur à celui des Etats-Unis.



De plus, la naissance de l’Euro, son affirmation croissante comme monnaie d’échange concurrente du dollar et du yen et son appréciation quasi continue face à la monnaie américaine à partir de 2002 traduisent la force économique de l’Union.



L’Euro est la seconde monnaie de réserve internationale après le dollar. Avant l’introduction de l’Euro, 80% des réserves étaient en dollars; la proportion est maintenant de moins de 66%. Cinquante Etats ont lié leur taux de change à l’Euro. L’Euro représente 25% des réserves de change et cette proportion atteint 29.2% dans les pays en développement.



L’Union européenne est donc un acteur de premier rang dans le domaine économique. Elle l’est aussi en termes d’influence normative comme en témoigne le protocole de Kyoto sur la réduction des gaz à effet de serre.

Lorsque l’on parle de la puissance de l’Union, il est nécessaire de distinguer de quelle Europe on parle. L’Europe dans le monde n’a pas la même influence dans le domaine économique et dans celui des relations extérieures ou encore de la sécurité.



Dans ce dernier domaine apparaît très clairement le besoin d’unité des Etats européens. Chaque Etat ne peut plus garantir sa sécurité individuellement ; en revanche, l’action commune se prête fort bien à la lutte contre les menaces nouvelles.



L’Europe est une puissance civile importante mais elle a pour vocation de développer sa puissance sur la scène internationale, de devenir un acteur majeur sur tous les plans.



La France défend ce projet de l’Europe puissance mais elle doit avant tout définir ce qu’elle entend par là : quelle Europe puissance ? Quel type de puissance ?



L’Europe doit donc se penser sur la scène internationale comme un acteur stratégique, définir ce qu’elle veut pour ses relations avec les Etats-Unis, la Chine, le Moyen Orient, l’Amérique latine… Lorsqu’elle saura quel projet elle a pour eux, elle pourra déterminer sa politique extérieure et jouer alors un rôle majeur dans les relations internationales. N’est influent que celui qui a une vision!



Géoéconomie : La Fondation Robert Schuman, que vous présidez, joue un rôle central dans la promotion des idéaux européens mais aussi dans la promotion des intérêts de la France auprès de nos partenaires de la « nouvelle Europe ». Quel bilan faire de votre action ? Quelles sont vos principales priorités à moyen terme ?



Jean-Dominique Giuliani : La Fondation Robert Schuman est devenue le think tank français de référence en matière européenne. Nos études sont lues sur tous les continents, dans plusieurs langues. Notre lettre électronique hebdomadaire d’information, qui fournit un compte rendu complet de l’actualité européenne, est l’une des toutes premières en Europe.



Elle demeure également présente sur le terrain, au sein de l’Union, parmi les autres organisations semblables, mais aussi à l’extérieur, aux frontières de l’Union, notamment pour contribuer à consolider l’ancrage de la démocratie et préparer le terrain pour un rapprochement avec l’Union.



La Fondation diffuse une vision de l’Europe en France et entretient le débat sur les grands sujets européens qui touchent la vie des Français. Elle se fait l’avocat d’une Europe concrète, à Paris comme à Bruxelles.



La Fondation s’est fixé comme priorité d’approfondir les problématiques européennes pour préparer le sursaut qui ne manquera pas de se produire. A défaut de se réaliser par la mise en application d’une vision, l’Europe se fera par nécessité, sous l’empire des circonstances. Forcés de s’unir pour faire face aux évolutions extérieures, les Etats verront en l’Europe une planche de salut.



La Fondation se fixe pour tâche de travailler sur les sujets qui pourront faire l’objet d’une politique commune, de diffuser une information continue qui familiarise les citoyens avec les actions de l’Union et d’entretenir le débat sur toutes les questions européennes.