Le projet européen est l’une des créations humaines les plus en harmonie avec le message chrétien. En réalité, les fondements même de l’Europe sont personnalistes. C’est la traduction politique la plus achevée du message de justice, de partage et de paix, non seulement pour le continent européen mais aussi pour l’ensemble du monde.
Il traverse une crise très grave qui peut lui être fatal si nous n’avons pas le courage de relever les défis qu’elle nous lance.
Je voudrais faire 3 séries de réflexion très rapidement.
1 - La crise, ses causes, sa nature et ses conséquences
2 - L’Europe, ses choix, sa mission
3 - Notre devoir et nos espoirs
1 - La crise, ses causes, sa nature et ses conséquences
La crise est inédite parce qu’elle concerne pour la première fois les économies développées, pas seulement l’Europe.
Ce sont désormais les dettes des Etats les plus riches qui sont considérées comme n’étant plus sûres. Pourquoi ? Parce que la défiance des investisseurs prospère sur le sentiment que les richesses accumulées, très rapidement pour des montants très importants, pourraient ne pas suffire à rembourser les emprunts qui nous ont permis un niveau de vie particulièrement confortable. Il suffit de sortir des frontières de l’Union européenne pour s’apercevoir combien l’Europe est considérée comme un continent béni des dieux, tellement les conditions de vie y sont favorables.
En Europe, la paix et la stabilité apportées par l’intégration au sein de l’Union européenne ont amplifié ces caractéristiques. Après le Second conflit mondial l’Europe était ruinée et elle n’avait aucune chance de s’en sortir. Il a fallu l’action d’hommes inspirés comme
Aujourd’hui, je mesure mes mots, nous en sommes là, car le basculement du monde vers l’Asie et le Pacifique n’est toujours pas réalisé mais sa seule éventualité, la seule probabilité qu’il advienne, sapent la confiance en nos propres forces. La richesse est toujours chez nous en Europe et aux Etats-Unis, la croissance est ailleurs ; l’espoir est désormais ailleurs, le dynamisme est désormais ailleurs sur le plan économique et parfois même sur les plans social et culturel. Que les autres continents se développent c’est en fait une très bonne nouvelle, très positive pour l’humanité. Or nous, Européens, nous en concevons de la crainte car évidemment sur le plan démographique, l’importance démographique des continents qui se sont mis en développement n’a rien à voir avec
Les excès financiers sont la principale cause de la crise de l’Union européenne aujourd’hui.
La folie des marchés conduit à une grande irrationalité. Aujourd’hui la Grèce est moins bien notée que le Vietnam, le Portugal est moins bien notée que la Jamaïque ! Alors il suffit de se promener dans ces pays pour mesurer combien la sphère financière a largement perdu sa boussole parce qu’elle a perdu de vue son utilité première. Le but premier de la finance c’est de financer l’économie, c'est-à-dire de financer le travail des hommes pour rendre la vie meilleure, de financer la recherche, et de soutenir l’inventivité, pour permettre le progrès de la condition humaine, l’accomplissement de buts supérieurs à notre condition terrestre transitoire.
Et la gravité de ce phénomène ne doit pas être sous-estimée si l’on veut pouvoir l’enrayer ou le corriger. Lorsqu’il est possible de gagner de l’argent en jouant à la bourse plutôt qu’en travaillant, lorsque le rentier est plus riche que le travailleur, lorsque des métiers nouveaux se font une spécialité de la spéculation au motif qu’ils collectent l’épargne accumulée au cours d’années de labeur, on comprend que quelque chose a dérapé quelque part dans l’esprit humain. Pour moi c’est la vraie raison de la crise que nous traversons, tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Les Etats qui se développent, comme la Chine, n’en sont pas à l’abri, bien au contraire, car ils ont porté cette vision parfois jusqu’à des excès que nous n’avions pas osés. Et donc la crise de l’Union européenne, cela a été dit notamment par la COMECE et je l’assume complètement, cette crise est une crise pas seulement économique, pas seulement une crise politique, c’est aussi une vraie crise morale.
Jean-Pierre Jouyet disait récemment devant
La principale conséquence de ces phénomènes est que nous doutons aujourd’hui de notre modèle économique et social, nous doutons tous aujourd’hui de la construction européenne. Ces dérapages et cet emballement financier conduisent nos sociétés vers des fractures nouvelles. Il ne s’agit plus de guerres idéologiques, comme dans le passé, il s’agit d’une incompréhension profonde qui mine même nos propres sociétés. Cette incompréhension est celle de l’évolution du monde, qui suscite la révolte (la révolte des indignés), qui suscite le populisme (les extrêmes) et aussi de nouvelles divisions qui peuvent devenir des fractures fatales. Aujourd’hui en Europe on observe des attitudes que l’on n’aurait pas pu imaginer il y a encore trois ans. Lorsque M. Papandréou est convoqué par Mme Merkel et M. Sarkozy à Cannes et qu’il attend plus d’une heure sous les caméras avant de se faire tancer, cette situation est dommageable à la poursuite d’un projet qui ne peut être qu’un projet mené ensemble. Et même s’il méritait d’être tancé, cela aurait pu être derrière les murs et cela aurait été mieux pour tout le monde à mon avis.
2 - L’Europe, ses choix, sa mission
Pour moi l’Europe demeure un vrai projet de société. C’est une entreprise unique dans l’humanité d’avoir voulu unifier de manière pacifique un continent fait de nations anciennes, sans conflit, sans guerre et sur la base du volontarisme par le moyen privilégié du droit. Ces objectifs et cette mission restent vraiment d’actualité et un immense espoir pour l’avenir. Je vous rappelle l’article 2 du traité sur l’Union européenne : « L’Union est fondée sur les valeurs du respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’état de droit, ainsi que du respect des droits de l’homme y compris du droit des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »
Il est vrai que dans le passé récent, l’Union européenne comme d’autres sociétés développées, a quelque peu trahi ses engagements en faveur d’une économie sociale de marché. C’est vrai que la logique libérale au sens français du terme s’est imposée au cours des années 90 quand certains croyaient que l’effondrement du communisme constituait la fin de l’histoire et que désormais un camp avait gagné contre l’autre. Cette logique libérale existe encore aujourd’hui au sein des institutions européennes où elle est développée par des convertis. C’est vrai aussi que les Etats qui nous ont rejoints dont beaucoup de cadres ont été formés par le communisme sont aujourd’hui beaucoup plus favorables à un libéralisme de « laisser-faire » qu’à une économie régulée, organisée qui découle en quelque sorte de l’enseignement de l’église que personnellement j’ai suivi et de la lecture toute simple de Jacques Maritain. Si l’Union européenne a quelque peut trahi ses engagements elle n’a pas été
3 - Ce qui a été accompli depuis 60 ans mérite réellement notre fierté et notre engagement.
Retrouver la confiance en ce que nous avons fait, en ce que nous faisons avec l’Europe, c’est réformer l’Union européen sans mettre en cause ses règles fondamentales. C’est évidemment se retrousser les manches mais aussi être fiers de nos accomplissements déjà réalisés. On peut s’interroger sur le fait de savoir si l’Europe doit être à plusieurs vitesses, si on ne l’a pas trop élargie, s’il ne faut pas arrêter de l’élargir. Toutes ces questions sont posées, mais en réalité ce qui est sûr, c’est que l’Europe doit rester une communauté au sens le plus spirituel du terme et que si l’Europe doit être à plusieurs vitesses, la vitesse du noyau dur, de ceux qui veulent refonder l’Europe, ce doit être la vitesse que montrent les Etats les plus exemplaires. Et pour être très précis, si la France et l’Allemagne, comme cela semble être le cas aujourd’hui, veulent s’atteler à refonder l’Europe, elles doivent être deux fois plus exemplaires que les autres et ainsi entraîner de nouveau une relance du mouvement d’intégration européenne.
Nous devons avoir conscience de l’enjeu du combat en cours.
La survie, la défense, mais aussi la promotion du modèle européen méritent un vrai militantisme, plus actif et plus accepté. La démocratie sociale c’est l’alternative au totalitarisme politique ou à la dictature des marchés. Il y a là un objectif susceptible de constituer un espoir au sein de sociétés à la recherche d’un destin collectif. Je rappelle que Jacques Delors dès 1992 affirmait à juste titre qu’il fallait « une âme à l’Europe » sinon elle risquait un jour de rencontrer des difficultés. Je crois qu’il fixait le terme à une décennie. Nous y sommes. Et c’est pourquoi nous devons aujourd’hui faire preuve de conscience, de confiance mais aussi de courage pour aller au plus près des femmes et des hommes, pour affronter les circonstances présentes.
Nous devons nous engager pour le combat européen.
C’est vrai qu’il ne fait plus rêver parce que si longtemps l’Europe a été un rêve, aujourd’hui elle est une réalité, administrative, politique, un peu technocratique, diplomatique. Les fondements de l’Europe restent un véritable rêve qu’il est tout à fait opportun et noble de défendre pour le monde de demain. Les églises l’ont réaffirmé à plusieurs occasions, la COMECE l’a fait avec beaucoup d’activisme ces deux dernières années : le projet européen non seulement est compatible avec leur enseignement et leur message mais c’est la traduction humaine de leur message le plus profond. Alors, comme toute création humaine elle est pleine d’erreurs, elle est insuffisante, il faut savoir la rénover, c’est cela que nous devons faire aujourd’hui. Il n’empêche, à mes yeux, que les chrétiens doivent être à l’avant-garde du combat pour la réussite de l’unification et son redressement. Pour moi c’est un vrai projet de civilisation et seule une vraie conviction chrétienne peut d’ailleurs nous aider à ne pas nous contenter de commenter la situation présente mais à la replacer dans une vraie perspective historique, géographique et spirituelle. Telles sont les raisons pour lesquelles, je crois que vous êtes parfaitement en harmonie avec le combat européen, mais il faut que nous soyons encore plus actifs car ce qui est en jeu est beaucoup plus important que les simples difficultés présentes. C’est même, je le crois une partie de l’avenir de l’humanité qui s’écrit aujourd’hui. Si l’Europe n’existait pas, vraisemblablement il manquerait quelque chose au monde de demain.