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17 avril 2024

La Licra organise un débat autour des questions de l'extrémisme en Europe à Sciences Po Aix auquel Jean-Dominique Giuliani participe en tant qu'un des intervenants de la table ronde.

"L'Europe des coopérations volontaires"

Préface de Jean-Dominique Giuliani ; P. Fauchon et F. Sicard, "L'Europe des coopérations volontaires ou comment donner une nouvelle impulsion à l'Europe...", Note n°47, Fondation Robert Schuman, Mai 2010

S’il est un acquis précieux de la construction européenne, c’est la coopération entre les Etats.



Volonté politique sans faille depuis les origines, elle fait désormais partie intégrante de l’action des gouvernements ; elle s’incarne dans des institutions et des règles communes.



Certaines des compétences européennes sont exercées en commun, à un niveau qu’on doit qualifier de fédéral. Les autres, plus nombreuses, sont partagées entre les Etats membres et les institutions européennes ou demeurent de la seule compétence exclusive des Etats.



Imaginé à six, ce délicat équilibre a évolué, au fil de sept traités majeurs et d’une pratique correspondant au souhait pragmatique de coopérer quand la nécessité s’en est fait sentir.



Il a aussi beaucoup changé avec l’agrandissement de l’Europe communautaire. Depuis 1950, elle a multiplié le nombre de ses Etats membres par quatre, de ses ressortissants par trois et de sa superficie par près de quatre. Dans le même temps les champs d’intervention communautaire s’élargissaient à toute une série de domaines nouveaux.



Autant dire qu’il est difficile au citoyen de s’y retrouver dans une mécanique de plus en plus complexe qui correspond, en réalité, à la nécessité dans laquelle les Etats européens se trouvent placés de coopérer toujours davantage, ne serait-ce que pour parvenir à exercer leurs prérogatives régaliennes, tempérée par la volonté de limiter les transferts de souveraineté à des institutions communautaires dont la légitimité par l’élection directe n’est toujours pas envisagée, à l’exception notable du Parlement européen.



Peut-être trouve-t-on là l’une des raisons de la désaffection populaire pour la construction européenne.



Il n’en demeure pas moins qu’il est de plus en plus difficile, en l’absence de volonté politique forte et affichée de poursuivre l’intégration comme par le passé. Modifier les traités exige l’unanimité des Etats membres et le dernier exercice de cette nature en a montré les limites. Trois référendums, des vetos nationaux, de dures négociations interminables ont porté à plus de dix années le délai nécessaire pour modifier les traités fondateurs, les regrouper en deux seuls textes et permettre enfin une réforme institutionnelle qui reste bien timide.



Pourtant l’intégration a continué, moins spectaculaire peut-être, moins assumée politiquement, plus intergouvernementale sûrement, mais bien réelle.



L’étude de Pierre Fauchon et de François Sicard a l’immense mérite de l’identifier, point par point à des traités ou accords précis qui permettent une vue d’ensemble plus juste du degré de coopération auquel sont parvenus les Etats européens. Mais elle présente surtout l’intérêt de s’interroger sur la méthode. Jusqu’ici la méthode communautaire était le credo incontournable des Européens convaincus, gardiens de l’inspiration originelle de Jean Monnet et de Robert Schuman : la dévolution de compétences étatiques à des institutions européennes indépendantes des pouvoirs nationaux, édictant des règles de valeur supérieure aux droits nationaux. Le développement de ce qu’ils appellent à juste titre les « coopérations volontaires » a permis des avancées notables, comme les accords de Schengen ou l’euro. Elles étaient tolérables parce que destinées à réintégrer un jour le fonctionnement communautaire, c’est-à-dire à faire intervenir la Commission européenne et désormais le Parlement, instances indépendantes des Etats. Mais ils nous rappellent que d’autres coopérations, qui fonctionnent, sont restées purement intergouvernementales, comme l’Office européen des Brevets, le CERN ou l’Agence européenne de défense. Ils nous indiquent aussi que les Etats continuent, sur la base du volontariat et poussés par la nécessité, à conclure des accords hors traités quand ils en ont besoin, comme les Accords de Prüm du 27 mai 2005 destinés à l’échange d’informations sur la menace terroriste.



Dès lors, face aux difficultés politiques et institutionnelles que constitue la modification des traités, se développe des coopérations volontaires en dehors d’eux ou dans leur cadre, comme essaye de l’instaurer le Traité de Lisbonne avec les coopérations renforcées.



L’idée est d’insuffler dans les comportements et les pratiques européennes « une liberté de faire pour certains et l’impossibilité de l’empêcher pour les autres », d’imaginer que des Etats membres puissent aller plus loin dans l’intégration avec ceux qui en sont d’accord sans que d’autres puissent s’y opposer par leur droit de veto, freinant alors l’ensemble des progrès communautaires. Cette « différenciation », qui existe déjà, fait l’objet de nombre de réflexions et de propositions. Doit-elle n’être que temporaire ou pourrait-elle être plus durable sans mettre à mal la construction communautaire ? Le travail de Pierre Fauchon et de François Sicard explore cette problématique, à partir d’un rapport que le Sénateur du Loir-et-Cher, juriste émérite qui a su démêler, par ailleurs, nombre de nœuds gordiens intouchables comme la responsabilité pénale des élus, avait fait adopter par la Commission des Affaires européennes du Sénat.



Il s’inscrit dans une démarche, celle des auteurs comme celle de la Fondation Robert Schuman, qui entend œuvrer de toutes ses forces pour que se poursuive, s’amplifie et s’améliore la construction d’une Europe plus unie et plus forte.



Il n’élude aucune des difficultés de l’exercice, dont la lecture peut paraître ardue aux non-initiés, mais bien utile à ceux qui ont pour tâche de conduire l’Europe, seul exemple dans l’histoire de coopération volontaire d’Etats souverains en vue de leur unification.