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portrait

L’Europe, la coopération et les réalisations concrètes


A la tête du Deutsch-Französisches Institut pendant 22 ans, Frank Baasner est un exemple d’engagement passionné pour les relations franco-allemandes, pour l’Europe et, au-delà, pour le concept même de coopération entre les peuples.


Souvent, les plus grands accomplissements sont discrets, voire silen- cieux. C’est son cas.


Il œuvre depuis tant de temps au rapprochement des citoyens en Eu- rope qu’il mérite non seulement notre hommage, mais aussi celui des plus hautes autorités.


Elles le lui ont signifié à plusieurs occasions en visitant l’établisse- ment de Ludwigsburg, après bien d’autres personnalités, Robert Schu- man en 1955, le général de Gaulle en 1962 et depuis, une liste ininter- rompue de présidents et de Premiers ministres.


Son parcours et ses méthodes sont un exemple pour ceux qui, nom- breux en Europe, plaident et agissent pour le renforcement de la coopé- ration entre les Etats et surtout entre les peuples. Trois leçons peuvent en être tirées : Pour obtenir une coopération efficace, c’est-à-dire qui peut revendiquer des résultats concrets, il faut apprendre à connaître ses partenaires, il faut savoir échanger et partager avec eux, il faut enfin parvenir à proposer et à construire des liens nouveaux entre les acteurs.


Fort de son expérience d’enseignant, « Monsieur Frankreich », tel que le surnommait en février 2023 le Stuttgarter Zeitung, a su développer une méthode et des pratiques qui ont mis en œuvre ces préceptes. Il est ainsi un exemple pour tous ceux qui souhaitent développer le dialogue et la coopération et une personnalité incontournable de la relation franco-allemande.



 



Connaître ses partenaires


 


Cela nécessite une curiosité inlassable et un travail méthodique.


L’Institut franco-allemand de Ludwigsburg a été créé pour implanter en Allemagne un lieu d’expertise sur la France. Il joue pleinement ce rôle autour d’une bibliothèque très riche et d’activités très nombreuses. Sé- minaires pour journalistes et sessions de formation pour responsables économiques ne cessent d’animer les activités du dfi. Frank Baasner est ainsi devenu une référence qu’on interroge et invite sur les ondes, pour, en Allemagne, mieux comprendre la France et en France mieux connaître l’Allemagne. Enseignant les « Etudes romanes », qu’on nomme en alle- mand « philologie romane ou romanistique », il était tout indiqué pour expliquer et comprendre l’autre partenaire national.


Entre la France et l’Allemagne, dont les peuples se sont réconciliés, les différences ne cessent de s’exacerber alors qu’à l’échelle du monde elles ne sont que des nuances. Elles tiennent à l’Histoire, bien sûr, mais aussi aux institutions, fédérales d’un côté, centralisées de l’autre, à la culture et à la composition démographique des deux peuples.


Comment sortir de cet aveuglement qui oppose en permanence les deux pays en sacralisant des éléments finalement secondaires de leurs cultures et de leur histoire alors qu’ils sont parfaitement complémen- taires pour agir ensemble sur la scène internationale? C’est le défi que Frank Baasner, comme d’autres avec lui, s’efforce de relever.


Le message de Robert Schuman, inclus dans sa déclaration du 9 mai 1950, reste, plus que jamais d’actualité : « L’Europe ne se fera pas d’un coup ni dans une construction d’ensemble, mais par des réalisations concrètes créant, d’abord, une solidarité de fait ». Cette phrase, restée célèbre comme le fondement de la méthode communautaire, est de la main même de R. Schuman qui l’a préféré à une formule que Jean Mon- net lui proposait : « …/… L’Europe doit être organisée sur une base fédé- rale ». La sagesse de l’homme politique a tempéré, comme souvent, l’ins- pirateur créatif ; cela explique les succès de la construction européenne et, jusqu’à aujourd’hui, sa méthode de fonctionnement si singulière.


C’est par la coopération concrète qu’on parvient à surmonter les obs- tacles nationaux ou « les bulles de communication nationales cloison- nées » telles que les a qualifiées Frank Baasner. C’est ainsi que les acti- vités du dfi privilégient les rencontres d’acteurs des deux sociétés.



 



Plus récemment, ces manifestations se sont opportunément élargies à l’Italie, manifestant ainsi leur engagement européen. Alors que pour la France, il s’agit d’un acte volontaire et douloureux de mutualisation des moyens pour préserver un statut de grande puissance, pour l’Allemagne, la construction européenne est toujours un outil indispensable pour dé- passer un passé lourd et encombrant. Elle est à l’aise avec la pratique fédérale, sur laquelle elle a été rebâtie en 1949, elle ménage la diversité des opinions internes, mais elle comporte aussi des limites. Tiraillée par de nouveaux défis, on la sent hésitante et souvent maladroite.


Les dirigeants allemands se sont ainsi affranchis un peu vite de la dimension européenne en matière énergétique ou d’immigration. Ils ten- tent de le faire en matière de défense en préférant les Etats-Unis à la France, première puissance militaire européenne. Ils ont basé leurs dé- cisions sur les fragiles équilibres internes et ont préféré la dimension nationale à l’ambition européenne. Ce sont les caractéristiques d’une société fragile et vieillissante qui redécouvre le confort d’une pensée na- tionale dont les Français étaient plutôt jusqu’ici le modèle parfait ! C’est fort dommage dans les deux cas, car assumer une « souveraineté euro- péenne » et accepter de « gérer en commun » c’est faire le constat que nos Etats ne parviennent pas, seuls, à relever tous les nombreux défis qui les assaillent, mais qu’il est possible de les surmonter en addition- nant les atouts de nos deux pays.


Plus que jamais les rencontres, le partage d’expérience, la mise en commun de visions différentes, mais aussi la volonté de résoudre en- semble des difficultés réelles, sont nécessaires à la relation franco-alle- mande pour que ce constat s’impose comme une évidence.


L’expérience de l’épidémie de Covid en est l’illustration parfaite : le premier réflexe allemand a été de fermer des frontières pourtant ou- vertes depuis si longtemps, avant de les rouvrir sous la pression des ci- toyens, de manifester une solidarité réelle avec ses voisins français et italiens et d’accepter de mutualiser nos commandes de vaccins en les préfinançant dans un cadre européen.


Pour la relance post-Covid, Emmanuel Macron a su convaincre Angela Merkel de ne pas renouveler les erreurs commises lors de l’épisode grec de 2008-2011, qui ont précipité la zone euro dans la crise.



 



Face aux défis actuels, il est plus urgent que jamais de multiplier les occasions de dialogue entre les deux rives du Rhin. Sur le plan écono- mique et monétaire comme en matière européenne l’heure est à l’au- dace et l’innovation, pas au maintien des règles anciennes ou aux disci- plines traditionnelles et encore moins aux préjugés moraux et aux cari- catures envers certains partenaires, par exemple du sud de l’Europe.


Si les règles de l’Union monétaire étaient indispensables au départ ; elles sont désormais largement des obstacles qui ont déjà produit des effets négatifs. Le PIB américain, fort d’une politique audacieuse, a dé- passé le PIB européen et le revenu des Européens a stagné pendant que celui des citoyens américains a cru de plus de 60%. Il sera difficile de trouver un consensus franco-allemand sur ce constat et sur les solutions économiques et monétaires à mettre en œuvre, mais c’est une tâche prioritaire et un Frank Baasner y sera bien utile.


 


Utiliser tous les ressorts de la coopération


 


Savoir partager les visions nécessite en effet une expérience concrète de la coopération efficace. Bien évidemment cela passe par une politique de communication basée sur la connaissance, l’expertise et le sérieux. Avec une moyenne de plus de 200 interventions médiatiques par an, le dfi démontre son caractère indispensable dans les relations franco-alle- mandes. Décrypter, contextualiser, expliquer les raisons de décisions et explorer les racines profondes des sentiments populaires est un travail que les institutions européennes ne savent pas faire.


Pousser les portes des instances décisionnelles, entretenir un réseau d’amitiés et d’expertise au-delà des frontières, parler les langues et voya- ger le plus souvent possible, font partie des recettes de Frank Baasner. Le faire par plaisir, par goût naturel, en famille, à titre privé comme pour des raisons professionnelles, voilà bien la marque de fabrique d’un arti- san efficace les relations franco-allemandes. Grâce à lui le dfi a acquis une réputation et une crédibilité qui lui permet de dépasser les seules missions prévues par ses statuts.


Il a réussi à rassembler autour de lui des soutiens puissants, au ni- veau fédéral comme au niveau de son Land ou de sa commune. Il a ex- ploité tous les ressorts des traités signés entre l’Allemagne et la France, le Traité de l’Élysée bien sûr avec ses institutions comme l’Office franco-



 



allemand de la jeunesse, dont F. Baasner est administrateur, mais aussi le Traité d’Aix-La-Chapelle, qui tente de le raviver et de l’étendre à d’autres secteurs.


Ces actes juridiques ont ouvert la voie à une multitude de coopéra- tions concrètes, souvent quotidiennes, entre ambassades, administra- tions, acteurs privés comme publics. Aucune autre relation entre deux pays ne peut se comparer aux liens que la France et l’Allemagne ont tissés. Ils sont permanents et très profonds. Des nationaux de nos deux pays siègent dans les institutions du partenaire, jusqu’au Conseil des ministres ou dans les ministères régaliens. Le dfi de Frank Baasner a systématiquement encouragé ces développements en les promouvant, voire en les organisant ou en les élargissant à des sujets difficiles, comme la défense.


Plus récemment, les changements de majorité en Allemagne et les développements de la politique intérieure française, ont entrainé un re- lâchement de la concertation franco-allemande. Les deux pays s’esti- ment souvent plus efficaces à opérer seuls sur la scène internationale. Ils s’affrontent même à Bruxelles et Strasbourg, au sein des institutions européennes, par exemple à propos du nucléaire. L’Allemagne n’aime pas être dépassée par la France comme c’est le cas en matière de lutte contre le réchauffement climatique ou de politique énergétique ; la France n’aime pas recevoir des leçons de bonne gestion de l’Allemagne qui dispose d’une puissance financière et économique à la hauteur de sa rigueur, mais aussi d’une dette identique à la sienne.


Plus que jamais la solution de ces oppositions repose dans une com- plémentarité assumée entre les deux pays. Plutôt que de rivaliser dans tous les domaines, les deux premières économies de la zone euro se- raient bien inspirées de rechercher les complémentarités qui leur fe- raient jouer les tous premiers rôles sur la scène mondiale. En matière diplomatique, militaire, économique ou encore monétaire, il n’y a pas de place pour des divergences accrues qui ne feront qu’affaiblir les deux pays.


 


Construire des liens utiles pour permettre du concret


 


Par ses recherches et ses publications Frank Baasner a contribué à tra- cer de nouvelles pistes de coopération. Elles passent par les entreprises,



 



les citoyens, acteurs ou électeurs des deux Etats. Sur le terrain se nouent des liens ou des projets, souvent plus précieux que tous les traités.


Parrainés par des institutions ou des entreprises convaincues par les développements européens, les échanges, voyages et séminaires orga- nisés par le dfi ont montré comment l’on pouvait concrètement cons- truire une Europe des citoyens, solidifiée par la connaissance et l’étude et confortée par les relations personnelles.


L’étude des opinions publiques est indispensable aux décideurs. Elle l’est spécialement en matière franco-allemande. Les citoyens sont moins embarrassés que leurs gouvernements par les questions de souverai- neté. Ils réclament l’efficacité et celle-ci se trouve souvent dans la coo- pération. C’est particulièrement vrai en matière de relations transfronta- lières où la frontière démontre souvent son absurdité. Frank Baasner s’y est beaucoup investi et a mis en évidence des complémentarités qui ont par la suite entrainé des conséquences positives.


De la même manière l’attention portée aux journalistes s’est révélée fort utile dans le rapprochement entre les deux sociétés.


Beaucoup reste à faire encore pour que ces rapprochements se tra- duisent par des « réalisations concrètes » au sens de Robert Schuman.


Mais la demande des citoyens, leur initiation à des projets communs nouveaux et parfois audacieux, sont indispensables pour que les chefs d’Etat et de gouvernement puissent ensuite prendre des décisions cou- rageuses.


La France et l’Allemagne manquent aujourd’hui de projets concrets, qui seraient pourtant rendus possibles par un contexte et des opinions publiques favorables.


La défense est certainement le domaine le plus décevant à cet égard et les projets élaborés par la Chancelière Merkel et le Président Macron se délitent les uns après les autres sous la pression des traditionnels réflexes nationaux. Pour les surmonter il faudra une action politique ré- solue, des décisions d’autorité transcendant les oppositions et la révi- sion de certaines certitudes, par exemple l’addiction allemande aux seuls réflexes otaniens. Force est de reconnaître qu’on ne les voit pas venir et qu’il faudra encore beaucoup de travail de conviction pour y par- venir.


C’est toute la noblesse de l’action des Think Tanks, ces laboratoires d’idées où peuvent librement être imaginés des projets de toute nature,



 


parfois visionnaires, parfois trop ambitieux, mais toujours portés par la volonté de servir l’intérêt général.


Pour autant, souvent dans un cadre européen, la relation franco-alle- mande réussit parfois à s’élever au niveau des enjeux. C’est le cas en matière de lutte contre le réchauffement climatique, dans la mise en œuvre du Pacte vert européen. Une Alliance pour les batteries est née, ainsi que des textes législatifs favorisant la sécurité des approvisionne- ments, le contrôle des investissements étrangers ou la régulation de l’In- ternet et de ses grands acteurs mondiaux.


Forte de tous ses efforts de réseaux, de contacts, de réflexions com- munes, pour lesquelles le dfi œuvre sans relâche avec ses partenaires et ses homologues, la coopération franco-allemande et, au-delà, le prin- cipe même de la coopération entre partenaires européens, gagnent sans cesse du terrain. Dans les esprits, dans les cœurs et sur le terrain.


Puissent ces enseignements conduire à davantage encore de projets communs pour les progrès d’une Europe plus unie et plus efficace au profit de ses citoyens !