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Inciter ou interdire

Deux méthodes que divise un océan

[Cet édito est également disponible en ukrainien.]

Les Européens se plaignent de l’adoption par les Etats-Unis le 16 août 2022 d’un vaste plan de soutien à la transformation de leur industrie qui devrait mobiliser 370 milliards $, l’Inflation Reduction Act. Ils ont raison si ces mesures devaient être réservées aux productions nationales, violant ainsi les règles mondiales du commerce.

Mais ils devraient s’interroger sur la différence de méthodes entre les deux rives de l’Atlantique.

L’une fait confiance à la science et aux industriels pour réussir leur mutation écologique et leur apporte un soutien massif ; l’autre privilégie les règles et les interdits.

Ainsi, les Etats-Unis, par des exemptions fiscales d’un montant de près de 40 milliards $ et des subventions massives à la filière des automobiles électriques ou à l’électricité d’origine solaire, encouragent les entreprises à prendre le virage de la mutation écologique en pariant sur leurs capacités d’adaptation. Ils font confiance à la recherche. Ils croient aux progrès scientifiques dont elles déclineront les applications. Ils visent aussi une réduction de leur déficit par un soutien à l’activité.

L’Union européenne quant à elle ne cesse de multiplier les interdits. Elle a interdit la fabrication d’automobiles à moteur thermique à partir de 2035, l’usage d’engrais qui vont faire décliner la production agricole de plus de 12%, obligé les navires marchands à réduire leurs émissions de 80% d’ici 2050 alors que 77% de son commerce extérieur en dépend, interdit les gaz fluorés indispensables aux frigos et aux climatiseurs, banni le phosmet, utilisé partout dans le monde, qui seul permet de protéger les fraises de la mouche ravageuse…etc.

La taxonomie, ce tableau d’activités politiquement correctes au regard de la frénésie verte et moralisatrice qui s’est emparée des Européens, continue ses ravages, avec d’incohérentes décisions qui contestent le nucléaire mais favorisent la destruction des forêts en encourageant la biomasse ou tournent le dos brutalement aux énergies fossiles en demandant que leur prix baisse.

Avec un plan de 0,5% de leur PIB, les Etats-Unis espèrent générer près de 1 700 milliards $ d’investissements dans les technologies d’avenir.

Il est vrai que sous l’impulsion de Thierry Breton et de quelques ministres des Etats membres, la Commission européenne a compris qu’il valait mieux inciter et aider les industriels à réussir leur mutation plutôt que de leur interdire brutalement de poursuivre leurs activités. Aller sur le terrain, rencontrer les entreprises, mesurer leurs besoins et mettre en œuvre des programmes de soutien, c’est ce qu’elle fait pour les puces électroniques, les batteries électriques, les matériaux critiques, et même les obus pour l’Ukraine, en faisant confiance aux industriels et en accompagnant l’innovation.

Mais c’est encore insuffisant. La responsabilité en incombe aux Etats membres qui sont à Bruxelles plus « verts » que dans leurs capitales, mais surtout au Parlement européen le « Monsieur plus » des interdits ! Persuadés d’être dans le vrai et d’incarner l’opinion publique, nos élus européens ajoutent, à chacune de leurs décisions, des contraintes et des obligations. Pour en diminuer l’impact financier ils devraient adopter une règle selon laquelle toute nouvelle obligation sera assortie d’avantages incitatifs. C’est ainsi qu’on réussira les transitions. Dans le cas contraire, l’Europe prendra le risque d’une forte récession et d’une baisse durable du niveau de vie.

Nul ne conteste que nous ayons besoin de règles pour réussir les mutations numériques et environnementales, mais nous avons surtout besoin d’incitation pour un énorme effort de recherche, d’innovation et d’investissements. Les crédits publics sont nécessaires pour orienter et soutenir la recherche mais il faut aussi faire confiance aux acteurs, à leur créativité, leur souplesse.

C’est à ce prix que l’Europe, qui entend incarner l’exemple à suivre en matière d’environnement, réussira sa transformation sans risquer de peser sur son économie jusqu’à l’étouffer.


 

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