fr en de
portrait

L'impact des idées de Robert Schuman dans l'Europe

Discours prononcé à Budapest à l'occasion du 15ème anniversaire de l'Institut Robert Schuman de Budapest et du 120ème anniversaire de la naissance de Robert Schuman.
29-30 mai 2006

Au nom de la Fondation française qui porte le nom du Père de l’Europe, permettez-moi de vous remercier d’avoir voulu marquer le 15ème anniversaire de l’Institut Robert Schuman de Budapest en réunissant tant de hautes personnalités engagées depuis longtemps dans l’effort d’unification de l’Europe et donc dans la vie des institutions de l’Union. Vos expériences et vos convictions sont déjà un hommage à l’influence des idées de Robert Schuman dans l’Europe d’aujourd’hui. Il n’aurait pas été dépaysé d’être parmi vous et de réfléchir à l’avenir de l’Union européenne, puisqu’il s’agit bien de ce qui nous préoccupe.



Je voudrais saluer tout particulièrement le Président Valéry Giscard d’Estaing pour sa contribution exceptionnelle à la construction européenne, comme Chef d’Etat puis comme Président de la Convention, le Président Wilfrid Maertens, qui porte haut le pavillon démocrate-chrétien sans lequel il n’y aurait pas eu de Communauté européenne, le Président Pöttering, qui en assure la présence quotidienne et si brillante au Parlement européen, le Premier ministre Aloïs Peterle, qui est un modèle d’Européen, le Président Jacques Santer dont la double qualité d’ancien Président de la Commission et de Luxembourgeois met en évidence son apport et celui de son pays à l’Union européenne, M. Vim Van Velzen qui a assuré, entre autres éminentes fonctions, celle de présider le Conseil d’administration de l’Institut Robert Schuman, enfin d’Erhard von der Bank qui l’a animé depuis l’origine avec un enthousiasme et un professionnalisme jamais démentis.



Je souhaite vous remercier du fond du cœur de vous être réunis à cette occasion.



Vous partagez quatre des principales motivations qui me semblaient animer le Président Robert Schuman : une conviction, une passion, une vision, une détermination.



La conviction de Robert Schuman, fut, que « cela ne pouvait plus durer » ! 5 ans après la fin du second conflit mondial, les pays d’Europe se divisaient de nouveau sur les termes de la reconstruction alors que le continent était un champ de ruines. Il fallait rompre avec le passé.



Sa passion fut celle de la réconciliation et de la Paix. Homme des frontières, il portait dans sa chair et son histoire, les souffrances des peuples d’Europe avec ce que cela signifie de personnel et d’intime pour un Lorrain. Plus que d’autres, mais autant que Konrad Adenauer ou Alcide de Gasperi, il pouvait comprendre la vanité des conflits, l’absurdité des guerres européennes, c’est-à-dire des affrontements fratricides.



Sa vision fut d’emblée celle d’une Europe politique. Son réalisme le porta à choisir une méthode, largement inspirée par Jean Monnet, qui consistait à créer suffisamment d’intérêts communs pour que la division n’ait plus de sens. Mais qu’on ne se trompe pas sur le caractère visionnaire des Pères de l’Europe ; ils lançaient bien la construction d’un ensemble politique, sachant qu’il faudrait surmonter, pas à pas, le rythme lent des hommes, le poids des traditions et la force des habitudes.



Une détermination, elle fut sans faille. Une fois la déclaration du 9 mai 1950 prononcée, elle fut assumée pleinement par Robert Schuman, malgré les réserves voire l’hostilité de ses propres électeurs et nombre de ses soutiens lorrains. Son courage l’honore alors. Il constitue une leçon bien utile pour l’Europe d’aujourd’hui, souvent insuffisamment assumée par ses acteurs les plus autorisés.



Le thème que vous avez choisi pour notre réunion appelle, de ma part, quelques brèves réflexions.



Je laisserai aux éminentes personnalités présentes le soin de mettre en valeur l’influence des idées de Robert Schuman dans l’Europe d’aujourd’hui, à la lumière de leur expérience et de leur hauteur de vues.



Je me contenterai de deux constats simples.



Les principes de fonctionnement de la Communauté, établis par la déclaration du 9 mai, restent d’une étonnante actualité.



Ils nous sont indispensables pour imaginer l’Europe de demain.



Avec le recul, l’histoire de la naissance de l’Europe paraît simple. Elle l’était pourtant beaucoup moins à l’époque.



Il fallut des circonstances favorables.



Il y eut aussi des hommes de haute inspiration.



La naissance de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier semble aujourd’hui aller de soi. Qu’on s’imagine pourtant le courage qu’il fallut pour oser la proposer. Les circonstances étaient favorables sur le plan économique parce que la nécessité semblait l’imposer.



Mais sur le plan politique ? Jusqu’en 1950, il n’y avait pas eu d’exemple d’une institution se plaçant au dessus de la souveraineté nationale : celle-ci continuait à être considérée comme inviolable. Partager ce qu’on se dispute, la ressource naturelle déjà, c’est une idée révolutionnaire en 1950. Je crois qu’elle le reste en 2006. Mettre en commun des souverainetés au nom desquelles on a créé tant de morts, savoir aller au-delà des nationalismes faciles, c’était encore plus dangereux. Combien ce fut déterminant ! Combien ce serait utile aujourd’hui pour développer les politiques communes qui nous manquent, en matière de sécurité et de défense, dans le domaine des réformes économiques, pour affronter des défis spécifiques : le vieillissement de la population, les grandes migrations, ou l’accès aux ressources énergétiques.



L’opinion la plébiscita parce qu’elle représentait la paix dans une Europe lassée des horreurs de la Guerre qui avaient atteint des niveaux inégalés. Mais on ne lui demanda pas son avis par référendum, même pas au moyen de sondages qui n’existaient pas alors. Des hommes politiques ont pris leurs responsabilités, puisant leur légitimité dans leur élection, et les ont assumées devant l’opinion.



« Un homme se lève et parle…. Et le monde est transformé » !



C’est bien cela la « révolution  Schuman ». 



Sans des leaders inspirés et déterminés, décidés à œuvrer concrètement et courageusement pour le bien de leurs peuples, l’Europe n’aurait pas vu le jour. Ils n’étaient pas des « suiveurs », ils n’étaient pas de grands communicants, ils savaient rester modestes, mais ils étaient des décideurs d’avenir, des bâtisseurs, des visionnaires, des hommes de bien.



Telles sont les raisons pour lesquelles je pense que la méthode reste utile pour imaginer l’Europe de l’avenir.



Les commentateurs estiment que l’Europe est en crise. Et il est vrai qu’elle est traversée des doutes de l’opinion et des réticences des responsables nationaux. En réalité nous vivons l’une des plus formidables mutations que le monde ait connue. Du même niveau que celle qu’a suscitée, à la fin du XIXème siècle, l’arrivée des Etats-Unis d’Amérique dans le concert mondial.



Le continent s’est réunifié grâce à la fin d’une des pires idéologies de l’histoire, le communisme. De nouvelles puissances émergent sur la planète et accèdent aux richesses : la Chine, l’Inde, le Brésil, Etats et continents à la fois.



Et nous voudrions continuer comme par le passé ?



C’est tout simplement impossible.



Il appartient aux responsables politiques de le dire aux Européens, de réfléchir aux actions concrètes, nécessaires pour relever les défis qui nous sont lancés, de proposer les décisions qui s’imposent, notamment par de nouvelles politiques européennes communes et d’ensuite les assumer.



Il semble que, parfois, en Europe, on oublie comment doit fonctionner une Démocratie.



Si on demande toujours aux citoyens ce qu’ils veulent, rien de grand ne peut être réalisé.

Si des leaders dignes de ce nom, c'est-à-dire exemplaires et bénéficiant de la confiance de leurs mandants, s’engagent, nombreux seront ceux qui les suivent parce qu’il savent que leur inspiration est pure et certaine leur volonté de faire le bonheur de leurs peuples.



Voila les quelques enseignements que je tire de la fabuleuse initiative de Robert Schuman.



Je suis convaincu que l’unification de l’Europe reste la meilleure réponse aux grandes questions qui nous sont posées. Je suis persuadé que la méthode reste la bonne.



Encore faut-il la foi, la force des convictions et une vraie modestie.



Si Robert Schuman était parmi nous, il nous communiquerait son enthousiasme qui a su vaincre des siècles de cynisme et de fatalité.



L’unité de l’Europe reste bien l’un des plus formidables projets de l’humanité.