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La France et sa défense : construisons le marché européen de l'armement

Article publié dans le Figaro du 31 octobre 2007.





Alors que commence en France un exercice de revue de notre politique de défense, le souhait d'une véritable politique européenne semble devenir un leitmotiv du débat public et des initiatives françaises « fortes » sont annoncées dans ce domaine.




Il y a peut-être encore des économies à faire dans le fonctionnement de nos armées, déjà très largement réformées, mais l'essentiel demeure notre capacité à les équiper, dans la durée, des matériels nécessaires pour nous protéger. La France ne dépense pour sa défense que 1,7 % de sa richesse nationale, soit 479 euros par an et par Français, juste après le Royaume-Uni (2,1) et la Bulgarie (2,1) et avant la Slovaquie (1,6) ! Les pays de l'Union n'y consacrent que 180 milliards de dollars. Les Américains dépensent plus de 450 milliards de dollars par an (1 483 euros par an et par habitant). Ils consacrent 53 milliards d'euros par an à la recherche militaire ; les Européens, 10. Cette manne financière est utilisée outre-Atlantique pour créer de toutes pièces de véritables filières qui expliquent l'avance technologique américaine. Car, sauf exceptions, il n'y a plus de différences entre technologies militaires et technologies civiles. C'est ainsi que des Français inventent le protocole http au Cern de Genève et que l'agence de recherche du Pentagone (Darpa) en fait le standard mondial d'Internet pour, désormais, plus d'un milliard et demi d'internautes !




Notre sécurité future réside, certes, dans l'organisation de nos forces et dans une doctrine moderne, intégrant la dimension européenne. Elle est surtout dans l'acquisition de technologies dont l'évolution galopante et coûteuse est la version moderne de la course entre l'épée et le bouclier. Or, dans ce domaine, l'Europe a tout à craindre aussi des pays émergents. Une étude de la Commission européenne montre que seules trois entreprises européennes figurent parmi les 1 000 premiers investisseurs mondiaux dans la recherche et le développement. Le nécessaire effort d'investissement européen dans la recherche ne doit donc pas se distinguer de nos efforts d'investissements dans la recherche militaire.




Nous disposons désormais d'une Agence européenne de défense. Le pire serait de lui confier d'ambitieuses visions à long terme ou d'attendre un accord unanime, qui ne viendra pas, sur de grands programmes communs d'armement. En revanche, stimuler la collaboration volontaire des industriels, en la soutenant financièrement, paraît la meilleure possibilité de créer une vraie politique européenne de l'armement. Le rôle de l'AED est de faire le tableau de nos dépendances technologiques, qui s'accroissent, et de faciliter les initiatives palliant nos défaillances. Le programme civil Eurêka, qui existe depuis vingt ans, a ainsi permis à trente-cinq pays de lancer plus de six cents projets de recherche débouchant sur des produits ou des services immédiatement commercialisables.




Cet exemple pourrait nous inspirer une nouvelle méthode permettant aux États, voire à l'Union, de financer dans la durée de grands programmes de recherche structurants pour l'ensemble de l'économie en gardant un contrôle sur la maîtrise des technologies, les industriels ayant alors intérêt à coopérer davantage. Cette procédure permettrait d'accéder aux 53 milliards d'euros de crédits européens de recherche, essentiellement civils, dont on croit savoir que l'Union peine à les dépenser.




Une telle coopération permettrait de sauvegarder et développer nos technologies. Les exemples abondent de savoir-faire qu'il faut ainsi préserver : les avions de combat concentrent ainsi le plus grand nombre de technologies clefs pour l'avenir de nos industries ; mais le raisonnement peut être utilisé pour d'autres secteurs. Les États membres s'inscrivent trop souvent dans une logique de « juste retour », contraire aux intérêts supérieurs de l'économie européenne, comme l'Allemagne pour Galileo. Une véritable politique européenne de défense doit rompre avec ces attitudes qui nous auraient privés d'Ariane et d'Airbus. Misons plutôt sur l'intérêt des industriels.




Bien évidemment, cela exige de protéger le marché intérieur européen de l'armement, qui reste à créer. S'il est un seul domaine où la préférence communautaire, chère au président de la République, a un sens, c'est celui de la défense. Or, à Paris comme à Bruxelles, il faut se persuader de cette dimension réellement européenne : l'ouverture des marchés nationaux de défense doit être réservée aux échanges intracommunautaires. Ce n'est qu'à cette condition que nos armées mettront vraiment en commun des capacités de transports européennes, des moyens logistiques et spatiaux partagés, qui auront été fabriqués en coopération. L'Europe de l'armement pourrait y naître, celle de la défense s'y réveiller.




La présidence française de l'Union est une occasion d'être concrets et pragmatiques, comme le président de la République l'a souhaité en jetant ainsi les bases d'un marché intérieur des industries de défense, tout en oeuvrant efficacement pour la maîtrise et le développement des technologies en Europe. Nos choix nationaux en seraient facilités. L'Europe de la défense n'avancera réellement que par des coopérations concrètes créant des solidarités de fait. C'est la leçon de soixante ans de construction européenne.