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L’Europe et les crises : atouts et défaillances

Il est de bon ton de regretter l’absence de l’Europe dans le déroulement des crises internationales. Les évènements récents au Moyen-Orient confirment ce retrait et la voix de l’Europe manque.

Que ce soit en Irak, en Libye, au Yemen ou en Afghanistan, les Européens ne sont pas les acteurs globaux que certains souhaiteraient.


En raisonnant par l’absurde on pourrait se demander légitimement ce que les mêmes commentateurs aimeraient que l’Europe fasse. Les plus grandes puissances elles-mêmes dirigent-elles vraiment le cours des choses ? Les Européens voudraient-ils se lancer dans des conflits par l’envoi de troupes ou des actions de vive force ? Seraient-ils prêts à s’opposer au révisionnisme russe ou à l’agressivité turque en usant de forces armées ? Voudraient-ils être les gendarmes d’un monde qui n’en compte plus ? Rien n’est moins sûr, si tant est que ce soit approprié ou efficace !


Il n’en demeure pas moins que l’Europe est par trop effacée sur la scène internationale. Et qu’elle risque donc de se voir imposer des situations contraires à ses intérêts ou ses principes. Tentons objectivement d’en mesurer les inconvénients et les avantages.


Le risque est grand pour l’Europe de ne pas savoir répondre à la politique du fait accompli, désormais pratiquée par son principal allié et ses rivaux avérés ou potentiels. Russie et Turquie semblent rivaliser dans des actes agressifs, limités mais rendus possibles par le désintérêt américain. Notre grand allié regarde ailleurs, oublie jusqu’à notre existence, décide au mépris de nos intérêts quand ce n’est pas ouvertement contre eux. La Chine n’est pas en reste avec l’occupation d’espaces maritimes, pourtant déclarée illégale par la Cour internationale de justice. L’ordre international se déconstruit alors que l’unification européenne s’est bâtie sur le droit. De nouveaux rapports de force se font jour, plus primaires et plus brutaux, qui exigent certainement un peu plus de « virilité » dans l’expression d’une politique européenne plus affirmée. L’opportunisme semble l’emporter sur des stratégies construites dans la durée.


L’avenir du monde ne se décide plus uniquement en Europe depuis déjà plusieurs décennies ; c’est un regret, mais c’est un fait. La posture européenne a néanmoins quelques avantages.


Incontestablement l’Europe occupe une place à part. Elle n’est pas que le jouet d’évènements qui se décident ailleurs. Son Soft Power reste puissant et financièrement généreux, ses messages, ses valeurs et ses principes continuent à attirer sur une planète où l’opinion publique compte désormais davantage. Sa stabilité est une force. Elle est prévisible et sûre.


L’Europe est appréciée des peuples, surtout à l’extérieur et plus désespérante pour les dirigeants des Etats qui la composent, car ils raisonnent encore trop souvent à l’échelle nationale. Il est vrai qu’elle fascine plus à l’extérieur qu’à l’intérieur. On veut y vivre et on y immigre volontiers. Elle protège les personnes, cultive une forme de démocratie enviable, met en œuvre une solidarité qui fait de son modèle l’un des lieux de la planète où il fait bon vivre, quoi qu’en dise les éternels mécontents qu’elle abrite !


Construite contre l’idée même d’empire, elle peine à s’affirmer dans un monde de puissances, mais cela lui donne un avantage. Elle a moins d’ennemis que tous les autres protagonistes et peut s’exprimer sur tous les sujets, même les plus difficiles ; sa faiblesse en fait parfois une référence à défaut d’être une voix écoutée. Elle est peut-être seule, mais elle plaide unie pour une issue pacifique à la crise nucléaire iranienne, pour une solution politique en Libye, pour des négociations qu’elle seule organise entre la Russie et l’Ukraine, etc. 


Ce qui lui manque le plus, ce n’est pas la force militaire, la puissance économique, ou le savoir-faire diplomatique, c’est sa capacité à unir ses principaux Etats membres pour prendre vite des décisions fortes et courageuses.


Les crises du moment, loin de marginaliser les Européens, les placent dans la situation de pouvoir les apaiser, contribuer à les résoudre ou s’y opposer juridiquement ou moralement. Pour peu que les principales puissances européennes soient unies, elles sont en mesure d’incarner une vision d’un monde pacifique, multilatéral, fondé sur le droit, qui, sans elles, n’auraient plus de défenseurs et d’ainsi peser, plus qu’on ne le croit, sur des situations délicates. La raison voudrait que les Européens cherchent à d’abord valoriser cet atout, en se montrant plus unis à l’international, avant que de tenter de retrouver une place que le monde ne leur fait plus. C’est à ce prix que leurs intérêts seront le mieux défendus et que leurs convictions seront le mieux promues. C’est à ce prix qu’ils se rendront indispensables.

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