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Bilan et perspectives en matière de PESC/PESD

Intervention de Jean-Dominique Giuliani à la Journée d’étude de la Fondation pour la recherche stratégique sur le thème : « L’UE, acteur international à la veille de la ratification du traité de Lisbonne et de la présidence française », à la Maison de la Chimie, Paris, le 4 juin 2008

I. LA PESC et la PESD : avant et après le traité de Lisbonne 





A. Quel bilan depuis 10 ans ? 



La politique étrangère et la politique de défense sont traditionnellement placées au cœur des prérogatives régaliennes. La politique de défense s’est développée et transformée au niveau européen depuis plusieurs années. La politique de sécurité et de défense a été institutionnalisée avec le traité de Maastricht sous la forme du « deuxième pilier » intergouvernemental. Les innovations depuis dix ans (sommet franco-britannique de Saint-Malo en 1998) sont substantielles : création de forces européennes, Headline goal, opérations militaires de l’UE, création de battlegroups, Agence européenne de défense, etc. En dépit de cette « européanisation », le cadre national reste le plus structurant, pour l’élaboration des politiques de défense. Dans le droit fil de cette dynamique, et sous l’influence de facteurs externes (impact de la crise du Kosovo en 1999 notamment), la problématique européenne dans ce domaine a évolué avec le lancement en 1999 d’une politique européenne de sécurité et de défense, qui a jeté les bases d’une véritable autonomie de décision politico-militaire dans le cadre de l’Union. 



La question de la politique étrangère et de la politique de défense est intimement liée à celle de création d’une Union d’Etats. Plus précisément, une Union d’Etats, comme l’UE, implique un accord sur la question de la guerre et de la paix et, in fine, l’unité de la politique étrangère : la sûreté extérieure – ou la défense commune – est inhérente à la fondation d’une telle Union. Il est vrai sur ce point que l’Union n’est pas parvenue à un tel degré de consensus sur ces questions épineuses. Ces brèves remarques permettent de mettre en lumière les problèmes épineux sur lesquels bute l’Union européenne pour développer une véritable politique étrangère et une politique de défense, placée au cœur de la souveraineté de l’Etat. A cet égard, on peut dire que l’histoire de la construction européenne peut être appréhendée en opposition de la construction des modèles fédéraux « classiques » à partir du transfert du pouvoir en matière de politique étrangère au profit de l’Union et, à titre d’exemple, le rejet du projet Pleven d’une Communauté européenne de défense (CED) en 1954 peut être interprété comme le refus de constituer l’Europe sur le mode fédéral. 





B. Quelles nouvelles ressources institutionnelles avec le Traité de Lisbonne en matière diplomatique et militaire ? 



Reste à savoir dans quelle mesure les nouvelles ressources institutionnelles du traité de Lisbonne dans ces matières pourraient favoriser la création de tels consensus. D’abord, la création d’un poste de Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité fusionne les postes du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune (Monsieur Javier Solana actuellement) et du Commissaire européen chargé des relations extérieures (Madame Benita Ferrero-Waldner actuellement). Ce représentant extérieur unique de l’Union européenne sur la scène internationale se voit doté d’un service diplomatique européen. Le traité de Lisbonne consacre en outre d’importantes avancées en matière de politique de sécurité et de défense commune. D’une part, il introduit deux clauses : l’une de défense mutuelle et l’autre de solidarité et étend les possibilités d’actions de l'Union à la lutte contre le terrorisme, aux missions de prévention des conflits et aux missions de stabilisation post-conflit par exemple. Ensuite, il introduit la « coopération structurée permanente », ouverte aux États qui s'engageront à participer aux principaux programmes européens d'équipement militaire et à fournir des unités de combat immédiatement disponibles pour l'Union européenne. Enfin, il consacre l'existence de l'Agence européenne de défense, dans la perspective de développer une réelle politique européenne de l'armement et de coordonner l'effort d'équipement des différentes armées nationales. La France pousse, depuis février 2008, à la formation d’une force d’intervention composée à partir des contributions des six Etats les plus peuplés (France, Allemagne, Royaume Uni, Italie, Espagne et Pologne) . 





Sur un plan concret, le service européen pour l’action extérieure, sous l’égide du Haut représentant, devra regrouper des services issus de la Commission (Direction Générale des Relations extérieures, une partie de la DG développement) et du Secrétariat du Conseil ainsi que le réseau des 134 délégations de la Commission européenne dans le monde qui deviendront des délégations de l’Union. La répartition des postes fera sans nul doute l’objet d’une négociation complexe entre la Commission, le Conseil et les Etats membres qui peuvent y nommer le tiers des agents, dans un nouveau service qui sera formé selon une montée en puissance progressive à partir de 2009 mais qui à terme modifiera les conditions d’exercice des diplomaties nationales, en poussant à une fusion des fonctions consulaires dans l’UE et à des regroupements d’ambassades sur le modèle franco-allemand, et permettra à l’Union de s’affirmer comme un acteur global de manière plus visible. En matière de défense, l’introduction de la double clause de solidarité et de défense mutuelle est une avancée significative, dans un domaine où l’opinion publique soutient un engagement européen plus déterminé . On relève que les forces armées européennes sont déjà engagées dans 33 opérations extérieures, dont 12 au titre de la PESD. 





II. La défense européenne : entre différenciation et coopération intergouvernementale





On l’a vu plus haut, le traité de Lisbonne crée de nouveaux instruments susceptibles de favoriser l’européanisation des politiques de défense. Toutefois, si le nouveau traité marque à cet égard une nouvelle avancée de l’intégration politique européenne, il faut cependant souligner que le vote à l’unanimité demeure requis dans les domaines de la politique étrangère et la politique de défense. 



Concernant les modalités de contournement des contraintes liées au maintien de la règle de l’unanimité, le traité de Lisbonne reprend les dispositions prévues par la « Constitution européenne » en matière de « coopérations renforcées » et assouplit le recours à ce type de coopérations Ce mécanisme, déjà prévu par le traité d’Amsterdam mais non utilisé depuis lors, doit permettre aux pays volontaires d’engager ensemble une action commune dans tel ou tel domaine, tout en laissant la porte ouverte à ceux qui souhaiteraient les rejoindre ultérieurement, comme c’est déjà le cas pour l’euro ou « l’espace Schengen ». L’ensemble de ces éléments confirment que la construction européenne s’est désormais engagée dans des perspectives politiques nouvelles qui touchent à la souveraineté des Etats et aux consensus sociopolitiques nationaux, et pour lesquels il est d’autant plus délicat pour les gouvernements européens (notamment ceux qui ont recouvré leur souveraineté en même temps que la démocratie en Europe centrale et orientale) de se dessaisir de leur « droit de veto ». Il faut donc prendre acte de l’hétérogénéité des intérêts au sein d’une Union à 27, tout en ménageant un espace pour des perspectives d’actions communes et notamment en matière de défense : c’est aussi le grand mérite du traité de Lisbonne de le reconnaître .



Toute avancée européenne est, par construction, le résultat d’un compromis entre intérêts nationaux et entre visions nuancées de l’avenir de la construction européenne. Il n’est donc pas illogique que des sujets lourds fassent l’objet de divergences. En outre, tous les Etats ne participent pas en même temps aux politiques de l’Union. C’est vrai de l’appartenance à la zone euro, au dispositif Schengen, mais aussi aux opérations militaires extérieures. Du reste, la majorité des avancées sont, à l’origine, initiées hors traité, par un petit groupe d’Etats en ayant le besoin, la volonté et les moyens. La mutualisation vient ensuite. Il est probable, effet du nombre, que cette « différenciation » ira en s’accentuant à mesure que la politique européenne de défense sera consolidée.



Si la grande affaire pour l’UE, au moins depuis le traité de Maastricht, semble être de faire émerger une puissance européenne capable de peser au niveau international sur le plan diplomatique et militaire, pour nombre des pays de l’UE, la construction européenne a avant tout vocation à établir un espace de paix et de prospérité sur le continent, pas nécessairement à faire naître une nouvelle puissance. Le fait que nombre de nouveaux pays adhérents à l’UE se soient prononcés en faveur des positions américaines aura même douloureusement illustré le télescopage entre projet de réconciliation continentale et projet d’ « Europe puissance », traditionnellement porté par la France. Repartir de l’avant suppose dès lors de dissocier clairement ces deux projets et de défendre le second en tant que tel, sur la base d’une stratégie spécifique qui rompe définitivement avec l’illusion que la promotion d’une Europe comme « acteur global » pourrait mobiliser l’ensemble des pays de l’UE, et continuer à encourager la mise en place de coopérations renforcées et autres « groupes pionniers » pour progresser en matière diplomatique et militaire sous des formes qui peuvent être variables : poursuivre la mobilisation en faveur de la mise en œuvre concrète d’opérations militaires (exemples des Balkans et du Congo) et du lancement d’initiatives diplomatiques (exemple de l’Iran), qui pourront progressivement donner corps à l’« Europe puissance », mais aussi étendre les coopérations au niveau industriel, en approfondissant la coordination des commandes d’équipements militaires tout en œuvrant à l’émergence de fabricants européens. 





III. La présidence française et la nouvelle politique européenne de la France 





La France est la plus qualifiée des Etats membres du continent pour relancer l’Europe de la Défense, de par la taille de son outil militaire, de sa capacité nucléaire, en sa qualité de membre du Conseil de Sécurité de l’ONU. Il est donc de son devoir de s’y atteler.

Pour Nicolas Sarkozy l’Europe ne peut pas se contenter de la situation présente, dangereuse à terme. Première zone de production de richesse dans le monde avec 21% du PIB mondial (USA 17%, Chine 8%, Russie 2%), première puissance commerciale, attirant les convoitises et tous les regards, elle se mettrait en danger à ne pas assurer sa propre sécurité.



La volonté du président de la République est de tourner la page de relations conflictuelles avec l’Alliance atlantique, pour tirer les conséquences des évolutions factuelles de la défense européenne, tout en exigeant la constitution d’un véritable pilier européen de défense. Cela nécessite l’accord américain, qu’il a obtenu. Cela rassure nos partenaires qui se rapprochent de plus en plus de la France. Cela correspond surtout à nos besoins de défense et de sécurité dans un environnement mondial plus incertain.



La relance de l’Europe de la défense est donc possible et la présidence française de l’Union européenne en est une occasion importante. La France souhaitera développer les capacités de l’Union en matière de réflexion stratégique, de planification et d’opérations extérieures en mutualisant les moyens et en renforçant le marché des équipements de défense.



La volonté politique de progresser est présente. L’intérêt des partenaires de la France est manifeste, y compris chez les nouveaux Etats membres comme en témoigne les résultats de la dernière visite du président français en Pologne.





Conclusion :



L’Europe de la défense est le symbole des progrès concrets de l’Europe depuis 10 ans. Les institutions jouent un rôle important pour qu’émerge réellement une « Europe de la défense » ; à cet égard, la reconfiguration institutionnelle qui sera induite par le traité de Lisbonne ouvre des voies d’actions communes dans ce domaine. Reste qu’au-delà de la question des moyens institutionnels, il faut poser aussi la question des objectifs politiques assignés à l’Europe de la défense en formation.

In fine, il s’agit de mettre les nouveaux dispositifs institutionnels au service d’une stratégie politique claire. Pour avoir une chance d’être consolidée, l’Europe de la défense doit être au service d’une véritable vision stratégique. De ce point de vue, la volonté actuelle, portée par la France, de réévaluer la « Stratégie européenne de sécurité » adoptée en 2003 par les Chefs d’Etats et de gouvernement doit être saluée.

Il s’agit de faire preuve de volonté politique. La France, en l’occurrence, n’en manque pas.