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Le prochain élargissement

Intervention de M. Jean-Dominique GIULIANI, Président de la Fondation Robert Schuman. Table ronde : The Next EU Enlargment Bled Strategic Forum Slovénie, le 27 août 2007.

Tout le monde a ici présent à l’esprit les réflexions venues de France concernant la politique d’élargissement.



Les déclarations du Président de la Convention européenne, M. Giscard d’Estaing, celles de très nombreux responsables publics, et aujourd’hui les prises de position du président Nicolas Sarkozy, correspondent à une vision de l’Union européenne partagée par les Etats membres fondateurs, celle d’une Union véritablement politique, que beaucoup ont eu tendance à oublier ces dernières années. C’est la raison pour laquelle il convient de bien la connaître, de ne pas se tromper sur ses motivations et son contenu et de la placer au cœur du débat, au niveau qui convient.



L’union économique et monétaire de l’Europe est un succès.



Depuis l’origine elle n’est que le moyen privilégié d’un  projet plus vaste, celui d’une alliance politique d’un type nouveau. Je rappelle que Robert Schuman lui-même parlait de « Confédération européenne », dans sa déclaration du 9 mai 1950.



Jusqu’ici l’élargissement correspondait à l’impératif légitime de réunification politique du continent. Celle-ci ne s’achèvera d’ailleurs qu’avec l’adhésion des pays des Balkans occidentaux qui ont vocation à intégrer l’Union, mais qui ont encore un long chemin à parcourir pour cela.



Or, si l’Union compte beaucoup de réussites à son actif, elle manque d’unité politique entre ses membres comme en attestent ses divisions en matière de politique étrangère, ses insuffisances en matière de défense commune. Premier ensemble économique du monde par le PIB, elle n’a pas encore acquis le poids politique équivalent, indispensable pour défendre correctement ses positions dans un monde qui exige une taille pertinente. Un ensemble économique, si prospère soit-il, n’a pas beaucoup de chances de survie dans un monde globalisé sans unité politique, alors même que nous allons devoir traiter ensemble de sujets pour lesquels nos gouvernements, ne pouvant plus agir efficacement seuls, doivent mettre en commun nos souverainetés nationales : sécurité, immigration, défense, prolifération…



Renforcer l’unité politique de l’Union exige de renforcer l’identité européenne qui repose sur un concept (une méthode unique de coopération), des peuples (qui partagent des valeurs) et un territoire, c’est-à-dire des limites connues et reconnues. C’est la condition pour que l’unification européenne soit soutenue par les peuples. Pour obtenir le soutien populaire, il faut créer un sentiment d’appartenance, une fierté d’appartenance.



Ce passage vers l’Union politique exige que soient fixées à l’Union européenne des limites, connues et reconnues de tous, à commencer par nos propres citoyens. Après tout l’Union a le droit de dire qui a le droit d’adhérer ou non et les critères de Copenhague, à supposer qu’ils soient effectivement respectés, ont montré leurs limites. Désormais, à l’évidence, la politique d’élargissement est pensée en termes plus politiques.



Soyons clairs : L’Union peut s’élargir dans l’espace géographique européen dont elle ne saurait sortir, si les conditions politiques et techniques sont remplies. Je pense aux Balkans occidentaux qui ont vocation à intégrer l’Union dans la mesure où ils prouveront leur volonté d’assumer le passé récent et de le surmonter courageusement. L’Union n’a pas vocation à s’étendre en Asie ou en Afrique. Elle y perdrait son sens et son essence. Il est clair ici que deux conceptions s’affrontent entre une Union à vocation politique avec des institutions communes déjà largement supranationales, qui doit donc avoir des frontières et une Union essentiellement économique dont le contenu politique demeure un concept « en l’air » de valeurs partagées et qui peut s’étendre sans fin.



En revanche, il est évident que l’Union doit inventer une vraie politique étrangère, notamment à ses frontières. L’élargissement ou la politique de voisinage actuelle ne sauraient remplacer un vrai concept stratégique.



L’Union méditerranéenne en est un bon exemple. Cette proposition du président Sarkozy répond à d’urgentes nécessités : 


  • Œuvrer efficacement au développement économique de cet ensemble bien en retard si on le compare à d’autres, par exemple la Mer Baltique,

  • Participer enfin concrètement à la paix au Proche Orient, ce que nous avons été incapables de faire jusqu’ici faute d’unité politique,

  • Marquer notre souhait d’un lien de coopération vers les pays de confession musulmane.


La Turquie peut y jouer un grand rôle à moins qu’elle préfère organiser autour d’elle une Union de l’Asie centrale qui pourrait s’avérer bien utile pour le développement économique et la promotion de la démocratie dans cette région.




Les relations avec la Russie peuvent aussi être calquées sur le même mode, ainsi que celles que l’U.E. doit entretenir avec d’autres ensembles régionaux organisés. Nous devons promouvoir l’exemple européen d’intégration régionale. L’Union européenne a vocation à collaborer à ses frontières avec des ensembles organisés et stabilisés, qui peuvent - pourquoi pas - comprendre certains Etats membres.



Vous l’avez compris, la politique d’élargissement actuelle ne se poursuivra pas sur les mêmes bases. Il n’y aura ni automaticité ni gestion administrative d’un sujet qui exige de notre part de vraies réflexions stratégiques et des décisions politiques à prendre devant et avec l’opinion.



Cette conviction ne correspond évidemment pas à des considérations de politique intérieure ou à la volonté d’exclure quiconque. Nous ne voulons pas rétablir des frontières westphaliennes ; nous demandons seulement des limites politiques pour un ensemble politique doté de sa propre identité et organisant le partage des souverainetés, ce qui relève évidemment du politique et du processus de prise de décision démocratique.



L’avenir de l’Union est un projet politique à l’échelle mondiale, celui d’un ensemble unique de coopération pacifique qui porte ses propres valeurs qu’il doit défendre et promouvoir. N’en doutons pas, nous sommes en train d’inventer quelque chose d’unique, un ensemble démocratique à l’échelon plus grand que la nation et qui respecte les identités nationales. C’est la raison pour laquelle, malgré les difficultés, ces réflexions sont indispensables si nous voulons préserver et développer l’unification européenne.



Soyez certains que cette position, qui est celle du président de la République française, est d’ores et déjà partagée par plusieurs Etats membres et un grand nombre d’Européens.



Elle a le mérite de poser clairement un problème difficile. En cela la France a toujours eu une longueur d’avance, même quand cela ne plaisait pas. Robert Schuman était ministre des Affaires étrangères de mon pays lorsqu’il a déclenché la création de l’Union européenne. Qui aurait pu croire alors raisonnablement que l’Europe en serait ainsi transformée ? Nous sommes dans la même situation aujourd’hui. Ne nous le cachons pas, ne choisissons pas la « langue de bois » ou la facilité et retroussons nos manches pour réussir notre avenir commun.



Nous devons être imaginatifs, francs et courageux. C’est ce qu’attendent les Européens de leurs dirigeants dans ce monde qui change si vite.