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Allocution du 7 novembre 2006

Allocution de Jean-Dominique GIULIANI en réponse à M. Raymond BARRE, Ancien Premier ministre, qui lui remettait les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur
Salon de l'Horloge - Ministère des Affaires étrangères

Mesdames et Messieurs les ministres,



Monsieur le Premier ministre,



Mesdames et Messieurs les Parlementaires,



Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,



Mesdames et Messieurs les Présidents,



Chers Amis,



Je voudrais vous remercier tous du fond du cœur, de votre présence ce soir. Elle me touche profondément. Parce que je pense qu’au-delà de l’amitié, vous êtes aussi ici pour soutenir et encourager la Fondation Robert Schuman. C’est une marque de reconnaissance à laquelle je suis particulièrement sensible.



Je ne sais pas si le savoir et la connaissance sont révolutionnaires, mais je sais que l’ignorance n’est pas démocratique. Aider à la formation des jeunes dans les nouvelles démocraties, travailler sur l’union de l’Europe, ses politiques, ses insuffisances comme ses succès, développer l’analyse comparative, publier et diffuser des faits avant les commentaires, les confronter à la réalité, tout cela relève de l’intérêt général. C’est cela le travail de la Fondation Robert Schuman.



Je suis très fier et très heureux d’incarner ces efforts, mais j’ai parfaitement conscience que cette tâche dépasse ma modeste personne et que cet honneur doit être partagé par tous ceux qui concourent à notre action.



Mes remerciements vont bien sûr à M. le ministre des Affaires étrangères, mon Cher Philippe, d’avoir bien voulu donner à cette cérémonie tant d’éclat. J’y vois la marque renouvelée d’une amitié ancienne et profonde, mais aussi celle du véritable engagement européen qui est le tien. Ils s’adressent aussi à Catherine Colonna, si compétente et efficace ministre des Affaires européennes. A toutes les personnalités que j’aperçois, à mon ami Charles Aznavour, à celles qui représentent leurs pays, avec une mention particulière aux membres de notre Conseil d’Administration. Leur soutien rend possible le travail d’une équipe jeune et dynamique à laquelle je souhaite rendre hommage.



Je voudrais en profiter pour saluer à travers vous tous les responsables du Ministère des Affaires étrangères avec lesquels nous entretenons des relations à la mesure de la qualité de leur expertise et de leur savoir.



Mais vous comprendrez que je souhaite tout spécialement remercier M. le Premier ministre Raymond Barre de l’honneur qu’il me fait.



M. le Premier ministre, vous êtes pour nous un exemple du sens de l’Etat, de l’intérêt général et de l’action au service de notre pays. Votre expérience de l’Union européenne, de la conduite des affaires de la France et votre regard sur le monde, vous confèrent une rare autorité qui dépasse les frontières de l’Europe. Ils constituent pour moi une référence que vous avez la bonté de transformer parfois en conseils. Je voudrais vous en remercier et vous redire publiquement mon admiration. Grâce à vous, je puis tenter d’insuffler en permanence à notre action le plus haut niveau d’exigence, qu’impose la prétention à vouloir étudier et publier sur les affaires de la France et de l’Europe.



J’ai eu la chance, aux côtés du Président René Monory, de parcourir le monde. Je lui dois beaucoup et d’abord un formidable appétit de connaître, de comprendre et de transmettre. Je lui dois aussi quelques règles de vie et de travail qui me sont utiles tous les jours. Je pense par exemple à l’une d’entre elles que René Char a magnifiquement résumée : « Imite le moins possible les hommes dans leur énigmatique maladie de faire des nœuds ». Plus les questions sont complexes, plus il faut avoir l’esprit clair. Cela permet d’aller à l’essentiel, avec rigueur et ténacité, modestie et courage. C’est indispensable pour approcher les questions européennes et bien plus revigorant qu’une certaine morosité qui se termine souvent par le cynisme ! Cela me conduit à expliquer souvent à nos collaborateurs un principe de vie, qui est d’ailleurs un principe de survie dans la sphère publique : « Ou tu fais partie du problème, ou tu fais partie de la solution ». Ceux qui ont l’esprit clair trouvent toujours des solutions ; ceux qui sont compliqués dans leur tête ajoutent souvent leur pierre à la difficulté des problèmes.



Etudier l’Union européenne avec cette perspective est évidemment assez original par les temps qui courent, mais tellement plus efficace.



Enfin, l’engagement et les convictions sont d’un grand secours. Le Sénateur Louis Jung, mon prédécesseur, nous a communiqué cette passion de l’Europe, lui qui a vécu dans sa chair ses déchirements passés et porté avec d’autres les espoirs qui l’ont relevée. Nous y serons fidèles.



Mesdames, Messieurs, Chers Amis,



Je voudrais profiter honteusement de l’occasion pour vous livrer deux réflexions.



Plus je parcours l’Europe et plus je l’aime.



Plus j’aime la diversité de ses paysages, de ses peuples, de ses cultures, de ses identités, faites de nuances douces ou de contrastes plus violents, d’histoires mêlées qui dessinent son immense richesse. C’est vraiment un pays de Cocagne ! Les linguistes hésitent sur l’origine de ce mot. J’en retiens l’étymologie germanique qui serait une déclinaison de Kuchen (gâteau), le pays de Cocagne étant proprement le pays des friandises !



D’ailleurs, lorsqu’on s’éloigne du continent européen, c’est son unité qui nous rassemble dans un monde qui change si vite. De Chine ou des Amériques, d’Afrique ou d’Océanie, on voit l’Europe et sa culture, son histoire et son mode de vie comme une perle rare dans un monde en mutation.



Si le BNB ; le Bonheur national Brut servait à mesurer la richesse des Nations, c’est-à-dire le PIB plus la qualité de vie, l’Europe serait plébiscitée par la statistique. Elle l’est déjà par les peuples. Tout le monde veut y venir, les plus riches comme les plus pauvres. Je ne voudrais pas dire que si on votait avec les pieds, il n’y aurait plus d’eurosceptiques ! Je souhaite seulement dire qu’il n’y a pas de raison que cette Europe, qui suscite tant d’espoirs à l’extérieur, provoque le désespoir à l’intérieur.



De Tallinn la Teutonique jusqu’à Tirana la méditerranéenne, nous avons bâti sur, les ruines des temples grecs et romains, les plus incroyables édifices, organisé les sociétés les plus différentes, accumulé toutes les expériences. L’Europe est aujourd’hui une sédimentation séculaire de cultures politiques et de civilisation. Son attraction n’a pas d’égale dans le monde. Elle est enviée, copiée, désirée. Et nous pouvons être fiers de ce que nous avons fait jusqu’ici en la rassemblant.



Si nous ne devons pas bouder ce plaisir, nous devons nous mobiliser pour qu’elle reste dans l’avenir, non pas le continent des friandises, mais celui du progrès, de la performance et du savoir. Je n’appartiendrai donc jamais aux Europhiles pessimistes. Je respecte le doute et je comprends que mon pays en ait, comme d’autres, à la veille de choix importants. Mais je préfère contribuer à le lever plutôt qu’à le creuser.



Quand j’étais tout petit, je rêvais de vivre une de ces périodes historiques qui changent le monde, celle de la découverte de continents nouveaux,  de progrès scientifiques inattendus qui scande les grands tournants de l’humanité, .



Depuis 1989,  je sais que nous vivons une telle période.



La chute du Mur de Berlin a libéré les énergies captées par les affrontements idéologiques et a coïncidé avec l’explosion de nouvelles technologies.



Jamais le monde n’a autant été fascinant par la vitesses de ses transformations.



Jamais autant d’habitants de la planète n’ont eu autant de chances d’accéder au développement.



Jamais les échanges n’ont été aussi importants entre les peuples.



Jamais la croissance mondiale n’a été aussi forte, durable et partagée.



Alors, oui c’est vrai, il y a mille et une questions angoissantes qui peuvent être soulevées. Il y en a toujours.



La voie du courage, c’est celle de l’optimisme qui n’interdit pas la lucidité.



Un monde nouveau naît. Nous devons nous en réjouir et tout faire pour nous y adapter.



L’Europe est pour nous l’une des réponses aux nouveaux défis. Ce n’est certes pas la seule, mais c’est peut-être notre meilleur atout. Après tout, n’allons-nous pas fêter bientôt le cinquantième anniversaire du traité de Rome ? Etait-ce si évident il y a 50 ans ? Et combien de « crises » insurmontables avons-nous surmontées ?



Il se peut que ma passion m’égare et que mes convictions européennes, comme une aurore boréale, masquent d’un beau voile la difficulté des temps. Mais on ne se refait pas.



Nous croyons que la fin de l’Europe n’est pas écrite, comme la fin de l’histoire ne l’a jamais été. L’histoire s’écrit tous les jours et l’Europe se bâtit pierre à pierre. Que de changements déjà accomplis, combien encore à réussir !



Lucien Febvre affirmait, en 1945, dans l’une de ses leçons au Collège de France : « Le problème de l’Europe dépasse l’Europe d’aujourd’hui. L’Europe, s’il faut la faire, c’est en fonction de la planète ». Cette analyse reste valable.



Comptez sur nous pour y mettre toute notre énergie avec le souci de suivre une ligne dont la rectitude ne s’apprécie ni en heures ni en jours, mais en années, voire en décennies.



Cette énergie, c’est celle de toute l’équipe de la Fondation Robert Schuman.



La ligne droite c’est celle que choisit en son temps celui dont notre Fondation porte le nom ! Celle du rapprochement et de la coopération entre les peuples au service de notre pays.



Pour ce qui me concerne, je partage le constat de ce proverbe japonais « La seule chose permanente en ce monde est le changement ». Il est rapide. Il s’accélère. C’est extraordinaire. Il n’y a rien que j’aime autant.



Vous l’aurez compris, pour moi,… nous vivons une époque formidable !