fr en de
portrait

POURQUOI L’UNION EUROPÉENNE A-T-ELLE UN AVENIR ?

CONFÉRENCE DONNÉE LE 24 SEPTEMBRE 2012 PAR JEAN DOMINIQUE GIULIANI, PRESIDENT DE LA FONDATION ROBERT SCHUMAN


 



 



L’intitulé de cette conférence  a été choisi pour camper le fil rouge  de la réflexion que la Maison de l’Europe  et le Centre d’Information Europe Direct de Rennes et Haute Bretagne propose  au cours de ce second semestre, car nous cherchons les voies du rebondissement que l’Union européenne a toujoiurs su trouver  dans les situations difficiles. Celle-ci a toujours su dépasser les obstacles qui se dressaient devant elle. Cette réflexion est plus nécessaire que jamais au moment où tant  de nos concitoyens commencent à douter  de la pertinence de l’Europe. La question  posée au Président Giuliani, c’est de savoir si pour dépasser les performances actuelles de notre Union qui se trouve  dans la tourmente,  nous serons capables, comme ces athlètes  des jeux olympiques à Londres qui nous ont éblouis, de mobiliser notre créativité et nos énergies pour continuer d’avancer, même si parfois le temps est gros ?



 


 


 


Vous m’avez posé une question : « L’Europe a-t-elle encore un avenir. Pourquoi en a-t-elle encore un ? » Je vais essayer  de répondre à cette question très large  autour de trois idées. Dans cette période de crise, de doute, de tourmentes économique, sociale, de dégâts économiques, de dégâts sociaux, on voit poindre dans notre pays de nouveaux débats européens. Je fais référence à ce qui va se passer au Parlement dans dix jours autour des débats et du vote sur le Pacte budgétaire, ce nouveau traité européen. On voit, une fois encore, poindre des débats qui, bien sûr, dans le pays des gaulois sont une fois de plus l’occasion de déchirements, d’invectives, d’approximations et je vais essayer sous votre contrôle, et vous me questionnerez autant que vous voulez, de remettre cela en perspective avec la plus grande honnêteté possible et la plus grande objectivité aussi. Ces trois idées sont  les suivantes :


-       La première est que nous avons reçu un succès en héritage, la construction européenne.


-       La seconde concerne aujourd’hui, la crise et ses tourments qui créent chez nous tous des déceptions, des frustrations et nous avons le sentiment que nos difficultés nous enfoncent et on ne voit pas les perspectives.


-       Et enfin la troisième idée est que, je demeure convaincu et je vais essayer de vous le démontrer, dans le monde d’aujourd’hui le seul moyen de compter, de peser, d’offrir à nos concitoyens un avenir, c’est d’afficher la force d’un continent, donc les pays européens ont un avenir ensemble.


Voilà ce que je vais essayer de vous démontrer ce dont nous pourrons discuter ensuite.


 


I - NOUS AVONS REÇU UN SUCCÈS EN HÉRITAGE


 


Nous avons reçu un succès en héritage. Je n’oublie jamais, mais les plus jeunes générations l’oublient souvent, dans quel état était l’Europe en 1945. Continent des guerres, on ne passait pas trente ou quarante ans sans affrontement majeur. Continent ruiné, bombardé, des millions de personnes déplacées, disparues, mutilées et vraisemblablement pour tout observateur à cette époque-là l’Europe n’avait plus d’avenir.


On avait bien vu au cours du 19ème siècle monter la puissance américaine, diminuer l’influence des grands empires britanniques et français qui continuent à s’affronter, Première Guerre mondiale, guerre vraiment fratricide, la première guerre industrielle, le bilan était là pour le montrer, un million de morts en France. On avait vu avec la Seconde Guerre mondiale l’horreur absolue, c’est-à-dire des conflits qui s’en prennent aux civils et plus seulement aux militaires pour montrer quel est le plus fort.


Vraisemblablement, en 45, un observateur extérieur aurait pu imaginer que pour l’Europe c’était fini. Les choses se décideraient ailleurs.


Contrairement à ce jugement, l’Europe s’est redressée en choisissant de rompre avec son passé en réalité, d’instaurer la paix un peu à marche forcée, c’est vrai, parce que la paix c’est la stabilité et parce qu’en matière économique la stabilité c’est la prospérité. Incontestablement, grâce à un modèle social et économique très particulier qui est le fruit de tout notre passé européen et qui allie l’amour de la liberté, y compris en matière économique, à l’exigence de solidarité, de justice, nous avons instauré un modèle économique et social qui, croyez-moi – moi, est très envié partout dans le monde. A nos frontières vous le voyez, souvent les populations moins favorisées votent avec leurs pieds en venant en Europe par tous moyens y compris illégaux. De nombreux Etats veulent adhérer à l’Union européenne en trop grand nombre à mes yeux. Ils veulent tous adhérer à cet espace de prospérité et de justice.


Je  rappelle cela, parce que dans les difficultés actuelles qui frappent comme chaque fois qu’il y a une crise économique, d’abord les plus pauvres, les moins protégés, les plus déshérités ou les plus faibles, nous avons tendance – évidemment nous qui sommes un peuple généreux et ouvert sur les autres – à regarder tout ce qui ne va pas. Les inégalités se sont accrues, certes, mais si vous comparez avec tous les continents du monde, c’est en Europe qu’elles se sont le moins accrues. Une étude vient de paraître aux Etats Unis qui montre que là-bas, aux Etats Unis première puissance du monde, les inégalités aujourd’hui sont supérieures à ce qu’elles étaient en 1774 avant la création des Etats Unis. Ce n’est pas le cas en Europe. Au contraire, je passe sur le modèle que nous avons, solidarité sociale, aide aux personnes en difficulté, santé, solidarité inter générationnelle, le droit à la retraite, des choses qui n’existent ni en Chine, ni en Inde, ni bien sûr en Afrique et aux Etats-Unis regardez les difficultés que le président Obama a eu pour réformer le système de santé pour essayer qu’il n’y ait pas comme aujourd’hui 50 millions d’Américains sans protection sociale sur les 300 millions.


Tout ceci a été réalisé au moyen de quelques actes politiques courageux qui ont été facilités, c’est vrai, par l’horreur dont nous sortions au lendemain du second conflit mondial et qui a inversé, en quelque sorte, les relations entre les Etats européens, alors que, comme nous le faisons aujourd’hui, on se disputait encore au lendemain de la guerre. L’Allemagne a-t-elle le droit de se reconstruire ? Peut-elle produire de l’acier avec lequel elle peut faire des armes. ? La France inquiète de l’Allemagne. Le Royaume Uni hostile à l’Allemagne.  Finalement, quelques hommes des frontières :


-       Robert Schuman né au Luxembourg qui choisit la France devient avocat à Metz,


-       Alcide de Gasperi élu à l’assemblée du Trentin Haut Adige, c’est-à-dire en réalité Autrichien qui devient Italien au lendemain de la guerre.


-       Konrad Adenauer, résistant au nazisme, maire de Cologne destitué par les nazis, emprisonné pour cela,


tous animés d’un idéal, et disons-le aussi, tous chrétiens pratiquants, tous parlant l’allemand, décident en quelque sorte d’un complot du bien en disant, « plutôt que de nous disputer sur les quotas de charbon et d’acier, mettons les en commun et peut-être en créant ces intérêts communs, si cela dure suffisamment longtemps entre nos nations, entre nos pays, ce paletot d’intérêts communs va créer des réflexes un peu plus naturels de coopération entre les Européens plutôt que d’opposition systématique ».


            C’est le fondement. Si je le rappelle, c’est que c’est toujours la règle selon laquelle fonctionne l’Union européenne. Il faut savoir qu’elle puise toujours dans ses racines de ce moment-là, mais qu’elle fonctionne toujours de la même manière. La presse donne des informations montrant les Européens  divisés : vous entendez cela tous les trois jours, dès qu’il y a un sujet : « division en Europe », « les Européens ne sont pas d’accord ». Oui, mais c’est justement pour cela qu’on a instauré l’Europe. C’est parce qu’a priori nous ne sommes pas d’acord sur tout. On est même plutôt en désaccord sur tout parce que nous sommes dans des pays dits « vieux », très anciens, avec des traditions qui sont attachées à leur identité et lorsqu’on veut fusionner EADS et British Aerospace, il y a mille et une raisons de ne pas le faire…


C’est pourquoi l’Union européenne, a prévu des procédures, des lieux et des institutions où l’on peut en discuter pour essayer de trouver un accord. Il est donc normal que l’Europe soit divisée. Elle est toujours divisée. La France est la France, elle entend bien rester la France mais elle entend aussi et c’est dans tous nos états européens, y compris le Royaume Uni, un acquis de cette époque, partager avec ses partenaires ses différences pour voir si on ne peut pas trouver un terrain d’entente. Bien sûr, cela dépend de l’urgence des sujets, cela dépend de la qualité des hommes et des femmes qui nous dirigent, mais vous pouvez regarder, vous pouvez constater que la plupart du temps, prenons le couple franco-allemand, il n’y a pas d’accord immédiat sur tous les sujets. Mais, plus encore qu’au sein de l’Union européenne, entre la France et l’Allemagne, parce que nous sommes les responsables d’au moins trois guerres complètement fratricides, nous avons décidé de renforcer encore cette union, et chaque fois qu’il y a un point de vue différent du partenaire, nous avons des procédures, des lieux, des experts, des institutions qui nous permettent de partager nos différences, essayer de les amoindrir.


 C’est, dans le monde actuel qui subit tellement de transformations, un acquis absolument incroyable. Regardez ce qui se passe entre la Chine et le Japon aujourd’hui. Ils se disputent pour des petits îlots qui ne sont peut-être pas si petits que cela, qui recèlent du pétrole ou d’autres richesses, mais ils n’ont pas de procédures, ils n’ont pas de lieu, ils n’ont pas soldé le passé, résultat ils s’affrontent et il y a de réels dangers de dérapage de la situation actuelle. On voit des Chinois envoyer des bateaux, les Chinois dans les rues protester plus ou moins spontanément contre les Japonais. Les Japonais qui portent un lourd passé en Chine pour avoir commis tant d’horreurs et qui ne savent pas comment s’y prendre, qui veulent que l’identité de leur territoire soit respectée. Nous n’avons plus ceci en Europe et c’est un acquis absolument formidable que la plupart du temps nous sous-estimons.


C’était le premier point que je voulais rappeler parce qu’il explique en partie mes deux autres points.


 


II – NOUS SOMMES AU CŒUR D’UNE CRISE QUI OBSTRUE NOTRE HORIZON


 


Dans la crise et ses tourments, nous avons la plupart du temps un grand sentiment de déception à l’égard de cette Europe inachevée qui n’a pas pu se montrer suffisamment efficace pour nous éviter cette crise économique. Nous pensions qu’elle n’était plus possible compte tenu de la prospérité, des règles que nous nous étions données, de l’image que nous avons de l’Europe et que nous projetons encore sur le monde bien qu’il change beaucoup. On sent un peu partout des frustrations à l’égard du projet européen en tant que tel.


 


1°/ D’OÙ VIENT LA CRISE ?


Pour cela, je voudrais m’arrêter un seul instant sur l’explication de la crise..


Je suis convaincu et je ne suis pas le seul à le penser, que cette crise n’est pas une crise européenne. C’est une crise mondiale qui a commencé d’ailleurs aux Etats Unis en 2007-2008. D’abord, elle s’est matérialisée par l’effondrement de tout un système financier. Souvenez-vous les subprimes, ces prêts qu’on faisait à tous les foyers américains pour pouvoir se loger, ce qui est le rêve de tous les Français comme de tous les Américains, au mépris des règles financières de saine gestion. Le capitalisme financier débridé américain a laissé libre cours à toute une série d’excès et il était devenu à la mode de distribuer du crédit sans limite parce que tout le monde y trouvait son intérêt. D’abord les intéressés, mais aussi tous les intermédiaires d’une finance mal régulée et pour laquelle le profit passe avant le respect des règles, voire souvent avant le respect des personnes à qui l’on prête de l’argent. Cette crise a révélé, quand elle s’est déclenchée en 2007, qu’en réalité tout l’Occident, tous les vieux pays développés vivaient beaucoup à crédit avec des règles qui leur étaient propres et qu’ils avaient inventées pour continuer par l’endettement et la distribution, voire l’impression de monnaie, à continuer à imposer un système financier au monde.


Or, le monde a beaucoup changé. La balance démographique fait qu’aujourd’hui la France ne représente qu’un pour cent de la population mondiale. C’est une grande différence par rapport à il y a cent ans, voire deux cents ans. L’essentiel de la population se trouve en Asie et en Afrique. Et ce qui a le plus changé, c’est que désormais ces zones du monde qui étaient jusque dans les années 70-80, rappelez-vous, qualifiées de pays sous-développés, sont aujourd’hui en développement et bien évidemment n’entendent pas se faire imposer des règles du vieux monde ou de l’ancien monde qui pourraient remettre en cause leur développement. Donc, la conjonction de cette crise avec les basculements du monde a obligé les vieux états occidentaux à remettre en cause leur système. Ils auraient pu le faire avant, s’ils avaient été raisonnables, mais ils ne l’ont pas fait et la crise a éclaté aux Etats Unis avec des milliers, des milliards de dollars qui du jour au lendemain sont partis en fumée. Crise boursière. Faillite de banque. Lehman Brothers, une des plus grandes banques d’affaires, le 15 septembre 2008. Donc, un coup d’arrêt aux excès de la finance qui bien sûr a eu immédiatement des répercussions sur l’Europe parce que, ne l’oublions pas non plus, l’économie transatlantique entre les Etats Unis et l’Europe demeure le moteur de l’économie mondiale et représente plus de 50 % des richesses produites dans le monde chaque année.


 


2°/ LES EFFETS DE LA CRISE ?


 


Evidemment, une fois le vent du boulet passé aux Etats Unis,  ceux-ci ont répondu à cette crise à leur manière, qui à mon avis n’est pas la meilleure car très dangereuse et qui va leur causer beaucoup de difficultés : c’est-à-dire « j’imprime de la monnaie parce que je suis le pays de référence du monde et de toute façon je suis le plus fort parce que j’ai la première armée du monde et donc vous pouvez placer vos économies chez moi, elles ne risquent rien. Donc, j’imprime de la monnaie et je continue la fuite en avant »... La dette des Etats Unis aujourd’hui est à 15.000 milliards de dollars. A tel point que les observateurs, les analystes financiers, le Congrès américain est obligé de mettre le holà, et avec un accord bi-partisan de dire le 31 décembre 2012 nous ne pouvons plus continuer comme cela, il faudra automatiquement 300 milliards de dollars de coupe budgétaire. Sans modification, et quelque soi le président élu bientôt au mois de novembre, le 1er janvier 2013, 300 milliards de dollars seront retirés du budget américain pour éviter de continuer à creuser la dette. Échéance très compliquée sur laquelle je reviendrai et qui, à mon avis, est susceptible de nourrir encore la crise et de frapper les Etats Unis de nouveau.


En Europe, lorsque l’on a regardé la situation, on s’est aperçu que nous aussi vivions sur un pied supérieur et dans un confort relatif dans lequel l’euro a sa responsabilité : puisque nous avions mis en commun notre monnaie, des pays comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal, la France ont pu emprunter en profitant de l’image de la zone euro, qui reste – je rappelle que l’Union européenne, c’est le premier PIB (produit intérieur brut) du monde, première zone de création de richesse dans le monde (entre 25 et 28 % de la richesse mondiale est créée en Europe et au sein de la zone euro c’est à peu près équivalent au PIB des Etats Unis d’Amérique). Nous avons profité donc de la richesse collective et nous nous sommes un peu endormis et avons continué à financer, en quelque sorte, le fonctionnement de notre système, l’Etat, système social, système de redistribution. Nous l’avons financé dans ses dépenses courantes par la dette. Pour prendre l’exemple de la France, depuis 1976, il n’y a pas un budget de l’Etat qui est en équilibre. Au début, c’était un milliard, deux milliards de francs. Aujourd’hui nous sommes à 70 milliards d’euros de déficit chaque année et pour le financer, nous émettions des emprunts, et comme nous étions dans un ensemble riche il y avait toujours des banques, des épargnants plus ou moins organisés qui avaient intérêt à acheter des emprunts français persuadés qu’ils seraient toujours remboursés. Ces excès ont à leur tour donné lieu à la crise de la dette publique dans la zone euro. Si l’euro a sa responsabilité, la manière dont il est constitué, l’architecture a été organisée, c’est plutôt par excès de confiance que parce qu’il était insuffisant. En revanche, comme on n’a pas voulu au moment où l’on a créé l’euro – souvenez-vous le 1er janvier 1999 la monnaie distribuée le 1er janvier 2001 – on a déjà eu de vastes débats dans nos pays, en France, le référendum sur Maastricht gagné à 51%, nous n’avons pas voulu abandonner notre souveraineté, notamment en matière budgétaire, fiscale, économique. Donc, on a fait le minimum. Le minimum nous a permis de continuer pendant dix ans à vivre sur un grand pied et puis un jour la réalité est venue nous détromper. Elle est venue par le Sud de l’Europe où il y avait pire que nous, si je puis dire, la Grèce où l’Etat n’est pas organisé comme chez nous, où la fonction publique est très politisée. Elle n’est pas très bien formée. Et nous, tous ceux qui réussissent, mettent leur argent à l’étranger parce que c’est plus sûr. La Grèce s’est donc trouvée avec des dettes supérieures à 160 % de sa richesse annuelle, son PIB – c’est-à-dire plus de 320 milliards – incapable de payer et d’assurer les fins de mois de l’Etat, de ses fonctionnaires et de ses remboursements. C’est vrai que nous avons pêché par timidité, absence de courage, laxisme, mais que la crise reste une crise de la dette, de l’endettement et de la gestion de chacun de nos Etats.


 


3°/ LA RÉPONE DE L’UNION EURIOPÉENNE À CETTE CRISE


 


Dans cette crise, telle que je la qualifie, nous avons été très déçus de la réponse. On pensait que les institutions européennes, d’abord, auraient pu éviter cela et ensuite auraient été actives pour répondre à cela. Tancer la Grèce, la mettre sous tutelle, éviter qu’elle en arrive là et après l’aider à se redresser. Or, nous n’avons pas aussi achevé l’Union européenne et celle-ci n’a pratiquement pas de budget propre. Elle a un budget de 130 milliards d’euros chaque année, un pour cent de la richesse.


-       Une fois que vous avez payé les fonctionnaires européens, qui ne sont pas les plus chers, qui ne sont pas les plus nombreux surtout (45.000), pas plus qu’à la Mairie de Paris, y compris leurs 130 ambassades dans le monde,


-       une fois que vous avez payé la politique agricole commune (premier budget de l’Union européenne) qui organise les transferts dans des conditions de plus en plus compliquées et de moins en moins compréhensives, mais enfin 12 milliards d’euros chaque année qui reviennent aux agriculteurs français et qui sans l’Europe ne reviendraient pas,


-       une fois que vous avez défalqué ce que nous dépensons pour les nouveaux Etats membres qui sont à nos frontières et dont nous avons intérêt à aider le développement, la Pologne, la Roumanie, etc., en gros 330 milliards d’euros sur sept ans, la solidarité européenne qui profite à tout le monde,


et bien il n’y a plus rien dans le budget. Dans la crise, la Commission européenne, les institutions européennes se sont trouvées sans moyens pour répondre à la crise et de plus pas réellement légitime dans la mesure où la crise était essentiellement due aux difficultés des états nationaux et de la manière dont ils géraient leur budget.


 


On a vu réapparaître des doutes, des critiques extrêmement profondes et fortes à l’égard des institutions européennes. On le voit dans les sondages aujourd’hui. Il y en a un qui est paru la semaine dernière dans le Figaro, un sondage de l’Ifop. 64 % des Français voteraient contre le traité de Maastricht aujourd’hui sur le thème, cet euro mal fait en quelque sorte. Le deuxième chiffre publié dans le sondage est très intéressant. Voulez-vous sortir de l’euro, 65 % des Français disent non. Je crois que les Français sont plus raisonnables que leurs dirigeants. Ils ont compris que l’euro était mal fait mais ont compris que s’ils l’abandonnaient ce serait pire. Il y a là une forte attente qui bien sûr n’est pas toujours traduite comme cela par la classe politique mais qui en réalité veut dire, « Allez au travail ! Parachevez cet euro, faites ce qu’il faut ! » Ce qu’il faut ? Une partie de la réponse est dans ce nouveau traité qui arrive et j’y reviendrais parce que lui aussi est controversé car, pour des pays comme le nôtre se pose tout de suite la question de la souveraineté. Est-ce que quelqu’un va décider de nos impôts à notre place ? On connaît nos députés, nos sénateurs, on ne connaît pas trop les députés européens et les commissaires. Il y a donc un problème de légitimité incontestable qui se pose.


Les Etats européens, eux-mêmes, dans leur réponse à la crise n’ont pas été très brillants. Nous avions à cette époque-là, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, président extrêmement actif et qui savait le faire savoir, dont nous n’avons pas eu à rougir mais qui parfois était très rapide et un peu trop rapide, du côté des Allemands une Madame Merkel dont le pouvoir est toujours surestimé. Nous surestimons le pouvoir de Madame Merkel qui est à la tête d’un Etat fédéral avec un Gouvernement de coalition, un Etat fédéral dans lequel l’essentiel des dépenses est organisé au niveau des Länders et dont l’action au gouvernement est régie par un traité de coalition qui engage tous les acteurs. Madame Merkel a dû faire face à la fronde des Allemands qui se disent : « Cela fait dix ans que l’on se serre la ceinture, que nos salaires n’augmentent pas, maintenant que l’on commence à avoir les fruits de tous ces efforts il faut payer pour ceux qui ne respectent pas les règles ». On a vu en effet monter une véritable bronka qui a causé beaucoup de difficultés à Madame Merkel.


Ces sentiments révélant un peu d’égoïsme ou en tout cas de tendance au repli, on les a trouvés partout en Europe. Partout on a vu, non pas rejaillir les nationalismes d’antan, le monde a compris bien sûr les générations qui les ont vécus mais aussi les jeunes ne veulent plus d’un nationalisme qui nous a menés à tant de conflits. Mais on a vu rejaillir des égoïsmes. Si vous regardez bien, ces égoïsmes on les constate même au sein de nos propres Etats. L’Italie du Nord ne veut plus payer pour l’Italie du Sud. La Catalogne ne veut plus payer pour l’Andalousie. Les Belges sont divisés parce que les Wallons en ce moment sont plutôt plus pauvres que les Flamands qui ne veulent plus payer. Etc. On a eu le même réflexe d’égoïsme et de repli au niveau européen avec un recul de l’esprit de coopération, un recul de la solidarité au fur et à mesure que s’annonçait le spectre de la crise qui allait obliger tout le monde à faire des efforts et  peut-être, à éviter de dépenser autant que par le passé avec facilité et dans des proportions importantes.


Déception aussi du côté de la manière dont les Etats se sont entendus pour répondre à la crise. Pratiquement en 2011, 13 sommets européens pour essayer d’organiser un mécanisme de solidarité à l’égard des états en difficulté. Souvenez-vous ces sommets à répétition, chaque fois c’est « le sommet de la dernière chance ». Il suffit d’ouvrir sa télévision à 20 heures pour entendre sommet de la dernière chance. Non, chaque fois que vous entendrez cela, pensez d’abord que ce n’est pas le sommet de la dernière chance que c’est une procédure normale. Ensuite, dans une crise comme cela, et en Bretagne vous avez l’exemple, y compris de succès et y compris actuellement de difficulté lorsqu’une production n’est pas rentable on doit à un moment ou à un autre la scinder, la fermer, remettre sur le métier, remettre de l’argent au pot, essayer de trouver une nouvelle activité. C’est la méthode européenne qui nous permet, qui explique pourquoi l’Europe s’est reconstruite après la guerre. C’est parce qu’on fabrique de la richesse, et pas seulement de la finance et de la richesse sur le papier.


 


III – QUELLE EST LA VOIE QUI S’OUVRE DEVANT NOUS ?


 


 


Après cette analyse en profondeur de notre société quelle est la voie qui s’ouvre devant nous ?  Pour la trouver il faut élargir notre regard.


 


Il y a certes la force d’un continent qui peut permettre d’adopter ces règles nouvelles économiques. Mais, personnellement, je suis de ceux qui pensent que dans la période actuelle, il faut arrêter de parler de fédéralisme, de choses qui font peur, qui choquent, etc. La France restera la France. Ce qui importe c’est que nous acceptions de partager ce que nous ne pouvons plus faire tout seul : si nous voulons compter sur le plan économique, il faut le faire ensemble en respectant ces spécificités. Donc un fédéralisme budgétaire et économique, oui. Moi, je ne retiens pas le mot. Je pense que pour l’instant il faut une gouvernance, il faut gouverner ensemble notre économie, nos budgets, avoir confiance entre nous.  Si la France veut s’affranchir de l’âge de la retraite ou de choses comme cela, elle doit le dire à ses partenaires et faire des économies ailleurs. Pour l’instant, ce n’est pas le cas, c’est en discussion. En tout cas, il faut le faire ensemble.


 



 



Je crois que sur le plan mondial, l’Union européenne a une image exceptionnelle. Le fait d’avoir fait la paix en notre sein, ce qui paraissait impossible, nous donne une aura considérable.



Il y a des régions entières du monde qui sont des régions en conflit, en difficulté où seule l’Union européenne peut faire quelque chose : entre la Géorgie et la Russie, il n’y a pas un soldat américain, ni de l’ONU, il n’y a que des soldats européens, ce qui n’est peut être pas suffisant face à la Russie, mais elle sait bien que l’Europe n’a pas de visée impérialiste et elle n’a pas peur de l’Europe. Et par ailleurs l’Europe distribue, aujourd’hui, 65 % de l’aide au développement dans le monde.


On sait bien que c’est un continent pacifié qui veut transmettre son modèle pacifique – cela ne plaît pas toujours – son modèle démocratique – cela ne plaît pas toujours, ni aux Russes ni aux Chinois – mais on sait qu’il n’y a pas de raisons d’avoir peur de l’Europe alors que les USA avec ses 11 porte-avions et 6.000 bombes nucléaires  à disposition du président Obama ou de son successeur sont là pour essayer de convaincre. Ceci  n’est pas le modèle européen. Le modèle européen c’est convaincre – j’allais dire - par l’exemple, plus que par la contrainte. Modèle qui est une véritable rupture dans les relations internationales pace que cela n’a jamais existé aussi longtemps. En tout cas ce n’était pas le cas dans le passé. Cette image a permis et permet à l’Union européenne, l’air de rien, en l’espace de dix ans d’être présente dans plus de 20 opérations militaires à l’extérieur mais des opérations civilo-militaires, qui ne sont pas toujours aussi glorieuses que la victoire d’Austerlitz ou d’autres, mais qui permettent de ramener le calme et de venir en aide aux populations sur le terrain.


Cette image de l’Europe est un atout extraordinaire qui nous permet réellement de peser sur le nouveau monde et si nous en prenons bien conscience et nous nous organisons bien, cela peut permettre aussi de peser sur la régulation des relations internationales, y compris dans le domaine économique et financier. Bien sûr, j’ai vu que vous aviez dans votre programme de conférences une magnifique conférence, je n’en doute pas, de mon ami Dominique Moïsi sur les valeurs de l’Europe et je ne vais pas déflorer le sujet parce qu’il sera tellement plus brillant que moi mais, incontestablement nous portons ces valeurs, bien sûr, de démocratie, d’Etat de droit, de justice, de respect et souvent nous sommes les seuls dans le monde. J’aime beaucoup les Américains mais il n’y aura jamais de Guantanamo en Europe. Ce n’est pas possible. Parce que nous ne l’accepterions pas.


 


Est-ce que tout cela fait rêver et nous permet de relancer espoir, dynamisme ?


Non, cela ne suffit pas. Cela ne suffit pas parce que pour les jeunes générations, mes enfants, qui  sont nés en Europe et qui se savent  européens, cela leur paraît tellement évident que lorsqu’on parle d’Europe, ils disent, cela est d’un autre âge et ces arguments valent pour ceux qui ont connu les guerres que d’ailleurs je n’ai pas connues, que ma génération n’a pas connues.


Il faut donc trouver une explication beaucoup plus profonde et beaucoup plus motivante et là notre classe politique, en Europe , qu’elle soit de droite ou de gauche, porte une grande responsabilité. C’est-à-dire que les femmes et les hommes savent qu’il n’y a pas d’avenir pour nos nations en dehors d’une coopération européenne forte, mais ils continuent à faire comme si ce n’était pas le cas. Et quand il y a des élections, soit, ils ne disent pas la vérité, soit, ils ne mettent pas l’Europe en avant comme une partie de la solution à nos problèmes, une partie seulement, ils la mettent généralement comme une partie des problèmes que nous rencontrons et je crois qu’il faut inverser cette mécanique.


Apprenons à dire que l’Europe ne fait pas partie du problème mais qu’elle fait partie des solutions. Une fois que l’on a accepté ce principe, ceci implique que lorsqu’on sort du Conseil des ministres et qu’on doit faire  une annonce, on n'annonce pas, « la France a décidé de… », parce que ce n’est pas vrai. Il faudra dire sur le perron de l’Elysée en sortant du Conseil « Nous avons consulté nos partenaires, et  la France a décidé de faire 37 milliards d’économie budgétaire,  elle ne l’a pas décidé toute seule, car elle s’inscrit dans un large mouvement européen qui a décidé ensemble  de regagner la confiance. Il faut le dire sur le perron du conseil des ministres ? Il y a des eurodéputés et des sénateurs qui le pensent, surtout ici, ils sont plus européens qu’ailleurs, il faut qu’ils le disent, qu’ils l’assument, qu’on en débatte, que les Français puissent en discuter. Or, on a souvent le sentiment qu’on n’a pas le droit de parler de l’Europe parce que c’est un tabou, c’est sacré, etc.


Moi qui suis un véritable européen, comme vous l’avez rappelé, Madame Hutin, je pense qu’il faut parler de tout et qu’il faut affronter Monsieur Mélenchon  ou Madame Le Pen pour essayer d’aller au fond des choses,  avec des objectifs limités, c’est-à-dire comme les Pères fondateurs de l’Europe nous l’ont dit, en pensant qu’on ne va pas du jour au lendemain gommer ni la France, ni l’Allemagne, ni d’autres pays. Dans ce premier temps on va d’abord mettre en commun ce que l’on a besoin de mettre en commun pour sortir de la crise. Je crois qu’avec tous les efforts qui ont été faits depuis maintenant quatre ans, qui sont très techniques, difficiles à suivre, difficiles à comprendre et avec ce nouveau traité plus intelligent que les précédents, qui nous engage, nous, comme nation française comme il a déjà engagé 13 Etats européens, y compris certains d’entre eux qui n’ont pas l’euro. Cela veut dire, nous avons compris que le monde a changé. Nous avons compris qu’il va falloir qu’on se serre un peu la ceinture pour pouvoir offrir à nos enfants, à nos petits enfants des emplois nouveaux, et montrer que l’Europe est toujours là, que notre pays est toujours là et que nous avons encore des ressorts et des atouts pour surmonter la crise. Evidemment, et là, je m’arrête, car  cela dépend de la politique que nous mènerons.


 


 


 


 



 



LE TEMPS DU DÉBAT



 


 


 



 



MICHEL POIGNARD



 



 



 



Nous sommes dans un monde incertain, fragile, la montée des islams, tout cela génère des interrogations fondamentales pour le devenir du monde libre et des démocraties. Ne pensez-vous pas que – dans un contexte de raréfaction de la ressource budgétaire (confère le budget de la France pour la défense, pour faire le futur livre blanc, pour faire la future loi de programmation militaire), nous avons là malheureusement grâce à la crise et à des enjeux internationaux incertains une opportunité de renforcer le concept de défense, ce qui suppose effectivement de tempérer les enjeux et nos certitudes sur nos souverainetés 


 



 



Jean Dominique Giuliani



 


En fait votre question est : on n’a plus d’argent pour avoir une armée aussi prestigieuse qu’est l’armée française, qui est une armée complète, force nucléaire, marine, aviation, force terrestre. On n’a plus suffisamment d’argent, faisons-le au niveau européen. Je m’élève contre cette évidence… Je participe à la commission du livre blanc et je suis dans un groupe de travail sur ce sujet. C’est comme en matière économique, il faut raisonner de la même manière. Croire que l’on va résoudre les difficultés économiques de la zone euro grâce à l’euro, c’est ce que l’on a fait avec le résultat que l’on sait ! Il n’y a pas, dans l’Europe, de solution miracle sans les efforts qui commencent chez nous. Bien sûr qu’en matière de défense on doit arriver un jour à une défense commune à défaut d’une armée commune, au moins à quelques-uns, pas forcément à 27... Non, il n’y a pas de solution miracle européenne… Mais, en revanche, il y a des choses intelligentes à faire … qui doivent commencer par la volonté de les faire chez nous… pour être exemplaire sur le niveau européen. Cela veut dire, clairement de ne pas sacrifier le budget de la défense. Je sais que ce n’est pas politiquement correct... Mais j’ai calculé que 40.000 enseignants de plus, comme cela a été annoncé, c’est l’achat de 8 porte-avions nucléaires et vraisemblablement l’achat et la vie de 4 porte-avions nucléaires. Donc, ce sont des choix qu’il appartient de faire aux autorités élues et au Parlement. Je suis tout à fait pour renforcer l’éducation, certainement pas pour baisser la garde dans ce domaine. Je crois que la France en matière de défense a une responsabilité particulière :  elle peut parler avec les Britanniques qui n’ont jamais coopéré avec les Européens, … parce que nos amis Allemands du fait de leur passé, attendent que nous bougions. Nous devons ne pas sacrifier notre outil militaire … En effet on ne réussit collectivement que lorsqu’on commence les efforts chez soi. Nous en aurons à faire en matière économique et en matière de défense.


 


 


Joseph Boissier de Pacé


 


 



 



Pour respecter les critères de stabilité, équilibrer l’économie, relancer la croissance et en effet augmenter, reprendre la marche vers l’emploi dans notre pays, il vaut mieux baisser la dépense publique, ce qui est beaucoup moins récessif… que d’augmenter les impôts, et surtout comme maintenant,où on les augmente inconsidérément en additionnant les mesures Fillon  de fin 2011 plus les mesures de ce qui a été voté pour la loi de finance rectificative en juillet, et plus ce qui va probablement être voté à l’automne prochain, la loi de finance pour 2013… soit 51 milliards d’euros, ce qui équivaut à 2 % du PNB. C’est un choc fiscal sans précédent…  Qu’en pensez-vous personnellement et surtout … quelle est la répercussion chez les européens …de  cette orientation de la France ?



 


 


 



 



Jean Dominique Giuliani



 


Les Européens sont inquiets de ce qui se passe en France et des orientations qui vont être décidées en France. D’abord, du fait des 18 mois de campagne électorale, des choix qui ont été retardés… Les débats très politisés et pas toujours sérieux n’ont pas fait ressortir que tout gouvernement, quelle que soit son orientation politique, ayant à faire face à des situations très préoccupantes, ne pourra donner à peu de choses près, les mêmes réponses.


Cette inquiétude est doublée par le fait que les premières mesures prises par la nouvelle majorité ont été :


-       de revenir à 60 ans pour le départ à la retraite pour certaines catégories, ce qui est contraire à tout ce que l’on voit en Europe ( On en est à 67 ans en Allemagne. Il faut dire qu’ils ont un problème démographique considérable que nous n’avons pas en France).


-       l’embauche de fonctionnaires, etc.


Ceci s’explique  parce que la nouvelle majorité est restée en dehors des affaires pendant 10 ans. Elle n’a pas connu de période de crise très grave comme celle dans laquelle nous sommes et elle pense, comme beaucoup de Français, que la dépense publique entretient la consommation et qu’on peut par la demande tirer l’économie. Ce n’est plus vrai : nos partenaires, tous sans exception, qu’ils soient de gauche ou de droite, y compris ceux qui sont en difficulté, comme les Grecs, ont compris qu’il fallait pour retrouver la croissance d’abord, ce qui oblige à une très forte diminution des dépenses publiques. Les exemples canadiens, norvégiens et suédois, qui ces dernières années ont réduit leurs dépenses publiques, ce qui a généré des chocs, mais ces pays ont tous retrouvé la croissance…. C’est très difficile en France parce que nous avons été drogués à la dépense publique pendant tellement d’années que nous sommes tous convaincus quelque part dans notre tête que fermer un bureau de poste ou fermer une école ce n’est pas bien. C’est vrai que ce n’est pas bien. Mais je crois que nous n’en avons plus les moyens. Ce gouvernement, comme ses prédécesseurs, finalement la droite et la gauche,  disent que ce n’est pas la rigueur. Souvenez-vous, Madame Lagarde nous a dit, ce n’est pas la rigueur », etc. avant finalement de procéder à des coupes budgétaires indispensables. Cette fois-ci cela va être la même chose. Je partage votre avis sur le choc fiscal. Je le trouve insupportable. Mais je pense que la réduction de la dépense c’est quelque chose que nous devons d’ores et déjà intégrer. Nous devons fonctionner à l’économie. …Je ne veux pas rentrer dans la polémique politique,  mais je suis sûr que la richesse de l’Europe sera valorisée avec une réduction des dépenses publiques qui permettra de relancer la croissance et ensuite de redistribuer. L’exemple allemand est assez caractéristique. Les réformes Schröder,

cet homme de gauche, qui ont mis beaucoup d’Allemands dans la rue et qui ont été très douloureuses ont permis à l’Allemagne de se retrouver aujourd’hui dans une meilleure situation. Est-ce que politiquement on trouvera des familles politiques qui portent ce projet ? Je ne sais pas. Je suis sûr que c’est comme cela que cela va se passer de toutes façons.


 


 


Bernard Bonnot, Administrateur de la Maison de l’Europe.


 



 



 



Contrairement à ce qu’on peut croire, Mme Merkel n’a pas autant de pouvoir que cela…. Au niveau des Landers certes, mais elle a de gros pouvoirs, ceux que lui donne l’état fédéral notamment, pour les traités et les relations internationales.


Ne faudrait-il pas qu’aux  critères de Maastricht on puisse ajouter aux dépenses budgétaires de l’Etat, au niveau des comptes sociaux, les comptes des collectivités territoriales pour éviter tout dérapage.


 


 


 



 



Jean Dominique Giuliani



 


Oui, vous avez raison, et c’est le cas. Le Pacte budgétaire parle des administrations publiques y compris la Sécurité sociale en France et les collectivités locales. D’ailleurs, sur Madame Merkel, je voulais juste dire qu'il ne faut pas projeter le modèle français sur le modèle allemand. Ce sont les länders qui embauchent les instituteurs, ce n’est pas le cas en France.


 


 


Louis Jourdan, Président du Mouvement Européen, Ille-et-Vilaine.


 


 



 



Merci pour ce brillant exposé … Mais l’Europe, c’est  350 millions de citoyens, et les citoyens se sentent un peu largués par toute cette mécanique, et ma foi  peut-être les difficultés viennent de ce que les citoyens européens ont l’impression de ne pas avoir droit à la parole, de ne pas avoir droit à cette construction. J’ai relevé dans votre introduction que notre modèle, auquel il faut tenir évidemment, est basé sur la liberté tempérée par la solidarité. J’ai trouvé cette formule très belle. Est-ce que l’on ne pourrait pas essayer de récupérer les citoyens au niveau du projet européen en, justement, développant cette idée de solidarité qui hélas est en train de partir en brioche ? Merci.



 


 


 



 



Jean Dominique Giuliani



 


Vous avez raison  350 millions, c’est la zone euro. Aujourd’hui, c’est 502 millions d’européens.… En réalité, ce qu’il nous faut, c’est mieux associer les citoyens. On a le sentiment que ce système à plusieurs étages a atteint ses limites et les critiques à l’égard de la Commission européennes sont dûes au fait que les gens ont l’impression qu’on décide sans qu’ils puissent donner leur avis et sanctionner par leur vote ce qui affaiblit le  lien entre le citoyen et l’Europe. C’est clair.


Pour moi, le renforcement de ce lien


-       passe par la sagesse nécessaire des classes politiques nationales, qui doivent expliquer davantage,


 



-       il passe aussi par une pédagogie qui consiste à montrer ce qu’est l’Europe, comment elle fonctionne, ce qu’elle fait, car beaucoup de solidarités sont déjà mises en place.  



 



 



 



 



Je suis sûr que beaucoup d’entre vous ne savaient pas que 65 % de l’aide au développement dépensée dans le monde est européenne. Je l’ai découvert quand Madame Clinton en prenant ses fonctions devant le Congrès a dit, « Ce n’est pas normal que ce soit l’Europe qui soit aujourd’hui le premier donateur. Nous avons perdu notre pouvoir d’attraction…. On a découvert effectivement que c’était exact. Vous avez donc raison, les solidarités se délitent ». Or, l’Europe est un projet solidaire et je pense qu’on devrait continuer à jouer aussi sur cette corde sensible, généreuse, de la solidarité entre les Etats et les Européens.



 


 


 



 



Georges Chaudrais



 


Les hommes politiques, dont le Président Van Rompuy et Barroso, sont-ils les hommes de la situation pour favoriser, effectivement, la mise en place de nouvelles règles économiques et la convergences ?


 


L’avenir de l’Europe ne passe-t-il pas par une limitation géographique ? Il y a de nouveaux pays qui sont intéressés pour intégrer l’Europe : je pense à la Turquie, mais à d’autres petits pays également ?


 


Est-ce que l’avenir de l’Europe ne passe pas, par la possibilité donnée aux européens de  voter le même jour sur les choses qui sont vraiment fondamentales ?


 


 


 



 



Jean Dominique Giuliani



 


1°/ Sur votre première question, Monsieur Van Rompuy et Monsieur Barroso, sont-ils à la hauteur de la situation ? J’ai un doute. Nous, Français, on voit toujours des présidents omnipotents, etc. Ce n’est pas le modèle européen. Le modèle européen majoritaire, c’est le système parlementaire, ce sont des gens modestes qui font leur travail.  Or Monsieur Von Rompuy de loin est  beaucoup plus intéressant, beaucoup plus dense que l’image qu’il donne de lui.  Je lui ai dit : « On a besoin d’hommes sages, il faut parler aux Européens ». Il m’a répondu qu’il avait une conception de son rôle limité, très réaliste et pragmatique… Or taper sur le table n’est pas son modèle. Son modèle est belge … où il a bien réussi justement par sa modestie. Robert Schuman n’était pas quelqu’un qui tapait sur la table non plus. C’était vraiment quelqu’un de modeste et c’est Jean Monnet qui faisait la pub en quelque sorte. Je ne veux pas juger les hommes. Je pense plutôt que les institutions sont insuffisantes en l’occurrence et qu’il faut aller vers un exécutif européen élu.


Quant à Monsieur Barroso, il est élu au deuxième degré. Il est proposé par les gouvernements et … investi par le Parlement européen. La Commission européenne est investie par deux votes du Parlement européen :


-       le Président est présenté par le Conseil, et investi par le Parlement


-       chaque état propose à Monsieur Barroso un commissaire et Monsieur Barroso répartit ces portefeuilles


-       il revient vers le Parlement et un deuxième vote investit tout le collège.


C’est assez démocratique. Ce qui l’est moins,


-       c’est que le Parlement européen n’est pas représentatif des Européens. Il n’y a pas un député pour 300.000 ou 1 million d’Européens comme en France. Il y a un député pour 120.000 habitants, mais avec un double système de représentativité  entre les Etats qui ont tous au moins cinq députés et ensuite on les répartit à la proportionnelle ce qui fait que le Luxembourgeois est mieux représenté que l’Allemand, tout cela parce que l’on a voulu respecter les Etats. Cela devrait évoluer un jour si on veut que le Parlement soit un Parlement de plein exercice.


-       Je pense que l’exécutif devrait être élu, les débats sur son sujet ont commencé : les Allemands disent qu’il faut élire le président de la Commission, les Français disent qu’il faut élire le président du Conseil européen. … Même si les pouvoirs du Conseil européen ou de la Commission restent limités, il faut qu’il y ait une identification et  qu’on puisse rendre des comptes par l’élection. C’est quand même notre credo démocratique de base mais nous butons depuis très longtemps sur le fait que nos chefs d’état ne souhaitent pas trop qu’il y ait un président élu, parce qu’il aurait une vraie légitimité. Il faudrait un peu d’abnégation ou de vision prospective. La période de crise n’est pas la meilleure pour faire avancer cela. Vraisemblablement, si l’on arrive à sortir de cette crise correctement, ces débats-là sont sur la table et incontournables.


 


2°/ Sur la question des limites géographiques ? Il est clair que si nous devons progresser mais  il faut se faire à l’idée d’avoir une Europe à plusieurs vitesses avec ceux qui sont prêts à aller de l’avant. Actuellement


-       le pacte budgétaire n’a pas été signé par les Britanniques, ni par les Tchèques d’ailleurs on ne sera pas 27


-       l’Europe de la défense ne sera ni à 27, ni à 17, ni même à 10. Ce sera beaucoup moins.


Je suis de ceux qui poussent beaucoup pour aller le plus loin possible avec au cœur un noyau dur d’Etats décidés à aller de l’avant. Si la France et l’Allemagne décidaient des avancées dans quelque domaine que ce soit, voire même en matière économique, je suis sûr que 5 ou 6 Etats aussitôt parmi les fondateurs les suivraient, car il y a un effet d’entraînement. Pour cela, il faut montrer l’exemple. Donc, que ce soit en matière de défense, en matière d’économie, soyons prêts par exemple à discuter impôt avec nos amis allemands, et arriver à avoir  un impôt sur les sociétés commun. Ce serait un exemple formidable parce qu’aussitôt les Pays Bas et d’autres se posent la question, est-ce que l’on s’allie avec eux ou non…. Mais, la prégnance et le poids de nos habitudes à Bercy vous expliqueront que ce n’est pas possible. C’est pareil à Berlin. Ce qu’il faut, ce sont des impulsions politiques courageuses, visionnaires et pour faire les choses à plusieurs.


 



 



Quant à l’élargissement, je pense qu cette question n’est plus d’actualité pour l’instant. Il faut avoir aussi l’honnêteté de dire, qu’en ce moment de crise, on s’occupe d’abord de régler nos propres affaires et on a suffisamment de travail. Ensuite bien sûr on reprendra l’élargissement. Mais au niveau des institutions européennes il n’y a pas d’accord entre les Européens : certains souhaitent que l’on fasse  entrer la Turquie, et que l’on continue à s’étendre … Ce serait formidable mais que resterait-il de l’Europe ? Or, on voit que petit à petit les opinions ne veulent plus élargir, parfaitement conscientes que l’on ne peut pas tout faire à la fois et certainement pas avec des Etats très différents. Ce n’est pas le moment.



 


 



 



Autre question



 


Une question sur l’Europe, le monde et le Conseil de sécurité. Au conseil de sécurité les Etats permanents, membres permanents avec veto représentent 2 milliards d’habitants. Deux de ces Etats, la France et le Royaume Unis, c’est 1 % chacun, donc 2 % de la population mondiale. L’Europe c’est 500 millions, c’est 30 % du produit intérieur brut mondial. Il y a là des disproportions qui sont assez ravageuses, parce que d’une part l’Europe n’est pas représentée en tant que telle, et d’autre part l’Inde pèse autant que la Gambie à l’ONU, ce qui n’est quand même pas très raisonnable et pose un problème de vraie représentativité de l’institution, de démocratie et de légitimité. Donc l’Europe n’est pas représentée….Toutes les tentatives de réformer le conseil de sécurité ont avorté à cause des Français et des Britanniques. C’est un vrai problème pour l’Europe et pour le monde. L’égoïsme franco-britannique, et là ils sont bien alliés, est un blocage complet. Comment changer cela ?


 


 


 



 



Jean Dominique Giuliani



 


La France et le Royaume Uni ne sont pas les seuls à bloquer, en effet les Etats Unis ne sont pas très allants, même si tout le monde, y compris tous les gouvernements français, disent qu’ils sont pour la réforme du conseil de sécurité de l’ONU et de l’ONU tout entière, tout en ne voulant pas que l’Union européenne ait un siège. Pourquoi ?


Tout d’abord parce que l’Union européenne n’est pas une puissance traditionnelle… Et en son sein, il y a des Etats qui se pensent en puissance comme  l’Allemagne, qui se pensent en puissance économique, la France et le Royaume Uni qui ont une arme nucléaire décriée par leurs partenaires mais qui a été confirmée par toutes les majorités. Toutes ces contradictions expliquent aussi que, lorsque l’on a un statut  sur la scène international, on n’a pas envie de le perdre, sauf si c’est pour un plus. Or, actuellement les avis sur la politique étrangère de plusieurs Etats par rapport aux grands conflits (Syrie, Libye, Côte d’Ivoire…) dans le monde ne concordent pas et ne correspondent pas à l’attitude française. Et même si la France en a rabattu de ses visions impériales, à mon avis davantage que les Britanniques… , elle veut se faire respecter. Pour cela, elle a une armée, des intérêts, etc. Tant que les intérêts ne sont pas pris en compte au niveau collégial, je pense que l’Europe de la défense se fera à quelques-uns seulement, et que les grandes réformes que vous évoquiez se feront lorsque l’on aura l’assurance qu’on ne perd pas quelque chose au niveau mondial qu’on peut regretter. Je ne critiquerais pas la France là-dessus.


Je la critiquerais davantage sur le fait de ne pas vouloir partager son siège au fond monétaire, car c’est là que se décide l’avenir de l’économie mondiale. Commençons par cela. Voyons si cela marche. Cela ne met pas en cause nos intérêts fondamentaux immédiats. Partageons-le avec l’Allemagne, faisons quelque chose comme cela. Quant à la réforme de l’ONU, la France de droite comme de gauche prône la réforme du conseil de sécurité, de manière extrêmement généreuse, mais personne n’en veut. Vous avez raison.


D’un autre côté, il faut faire très attention à  ne pas affaiblir la cause de la démocratie : moi, je ne veux pas que les Chinois décident à la place des démocraties. Quelle que soit la réalité internationale, le combat pour la démocratie et le respect des droits de l’homme et de la personne, cela passe avant. Finalement, s’il y a la France et le Royaume Uni pour tenir tête à la Chine et la Russie, qui ne s’honorent pas dans la crise syrienne , cela me rassure un peu.


 


 


 



 



L’Europe a  donc bien un avenir. Mais parmi tout ce que vous venez de nous dire, je retiens trois éléments qui m’interpellent :



 



 



-       Essayer de retrouver la confiance : quand les chefs d’Etats se retrouvent pour essayer de trouver des solutions essayons de les gratifier de notre confiance et de comprendre ce qu’ils ont réussi à bâtir ensemble !



 



 



-       Avant de les critiquer, essayons de voir ce qui a avancé même si c’est modeste. Il faut donc faire confiance et puis ne pas oublier le mot de modestie auquel vous avez fait référence, cette modestie qui était l’apanage, comme vous l’avez dit, de Robert Schuman. Ce sont les petits pas qui permettent d’avancer davantage que les grandes déclarations !  Je crois que c’est comme cela que les choses se construisent.



 



 



-       Il nous faut retourner à cet esprit communautaire qui était au départ de notre Europe. C’est-à-dire, penser qu’on ne fait rien tout seul mais qu’on ne peut avancer qu’ensemble avec les autres.



 



 



 



 



 



Je retiens ces deux choses, et beaucoup d’autres bien sûr, mais ce sont deux indications qui peuvent nous aider à croire que, oui l’Europe a un avenir dans ces conditions-là.