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L'année européenne 2007 : la fin des doutes?

Article published the 17th December 2007 on The Robert Schuman Foundation website (www.robert-schuman.eu)

L’Union européenne a fêté en 2007 le cinquantième anniversaire du Traité de Rome, le quinzième de celui de Maastricht, les 57 ans de la déclaration Schuman.



Après l’échec des référendums français et néerlandais, convoqués en 2005, pour approuver le projet de Traité établissant une Constitution, la morosité et le doute l’avait gagnée. L’année 2007 est celle d’une relance qui coïncide avec un nouvel engagement de l’Europe dans les affaires mondiales. L’intégration des économies et des politiques des Etats membres de l’Union se poursuit, pourtant, résolument.





1. Institutions : Une page tournée



Un nouveau traité institutionnel a été signé; de nouveaux Etats membres intègrent l’Union ; de nouveaux défis sont lancés à l’Europe.



Sous l’impulsion du nouveau président français et grâce l’engagement de la Chancelière allemande, les Européens ont scellé un accord politique (23 juin), traduit ensuite en traité (19 octobre), signé enfin (13 décembre), en un temps record,  un nouveau traité réformateur qui remplace la Constitution. Allégé de la consolidation des politiques européennes, ce texte modifie les traités de Rome et de Maastricht en reprenant l’essentiel des dispositions institutionnelles proposées par la Convention européenne, à l’exception des symboles de la citoyenneté européenne. Il inclut des clauses d’exemption exorbitantes (refus d’appliquer la Charte des Droits fondamentaux) pour un Royaume-Uni plus ambigu que jamais envers une intégration européenne qu’il s’efforce, par tous moyens, de ralentir bien qu’il profite toujours davantage de ses bienfaits économiques.



Depuis le 1er janvier 2007, l’Union compte 2 nouveaux membres, la Bulgarie et la Roumanie et l’Euro est devenu la monnaie de la Slovénie. Malte et Chypre la suivront le 1er janvier 2008. Le 21 décembre, 9 nouveaux Etats membres d’Europe centrale et orientale auront rejoint l’espace de libre circulation instauré par les accords de Schengen (1985), qui compte désormais 24 membres (y compris la Norvège et l’Islande) mais toujours pas le Royaume-Uni et l’Irlande. 2007 fut aussi pour l’Europe une année politique chargée.  11 scrutins ont rythmé le renouvellement politique, tout spécialement avec l’arrivée de Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française, la défaite électorale des jumeaux Kaczynski et la nomination de Gordon Brown comme Premier ministre britannique. Plusieurs gouvernements sortants ont été reconduits par les électeurs en Irlande, en Finlande, en Grèce et au Danemark. Le Centre-droit progresse ainsi au sein de l’Union qui enregistre un recul des majorités de gauche. L’imbroglio qui menace l’unité de la Belgique ne lui a pas permis de constituer une nouvelle majorité et le Premier ministre G. Verhofstadt, à force d’expédier les « affaires courantes », se retrouve, six mois après avoir perdu les élections législatives du 10 juin, chargé par le Roi d’une mission exploratoire visant à constituer un gouvernement ! Cette situation n’occulte pas le fait qu’une nouvelle génération, rejoignant Angela Merkel et José-Luis Zapatero, prend en charge les destinées de l’Europe. Elle semble décidée à relancer l’unification de l’Europe, mais avec un pragmatisme bien éloigné des traditionnelles envolées lyriques. Suffira-t-il à surmonter le retour des réflexes nationaux ? Le Royaume-Uni, quant à lui, devient une véritable interrogation européenne.


Ayant surmonté une profonde crise de doute, l’Union se trouve désormais confrontée à de nouveaux défis, celui de ses limites que le président français a imposé dans le débat européen, et qui rejoint la question fondamentale de son identité. Quel rôle veut-elle jouer dans un monde globalisé ? Entend-elle peser sur les événements ou les contempler en spectateur gâté ? Cette question pose en réalité celle de son unité politique.  Elle lui manque de plus en plus pour donner un sens à son union économique réussie. En 2007, le PIB de l’Union européenne est devenu le premier au monde avec plus de 16 500 milliards $, soit 32% de la richesse mondiale[1], et ses presque 500 millions d’habitants lui offrent une taille pertinente dans la mondialisation. Elle doit désormais l’affronter ouvertement, notamment face à la Chine qui lui a ravi la place de premier exportateur mondial. Elle doit aussi manifester sa volonté d’assurer sa propre sécurité, afin de prendre toute sa place dans un monde radicalement transformé. Les Européens dépensent 196 ma$ par an pour leur défense pendant que les Etats-Unis y consacrent plus de 450 ma$. Tous les budgets militaires augmentent dans un monde marqué par le retour du national, soutenu par la course relancée pour les ressources minérales dont la rareté inquiète. Le principal défi lancé à l’Union est désormais celui de sa sécurité et de son unité sur la scène internationale. Les décisions que les chefs d’Etat et de gouvernements devront prendre au Conseil sont maintenant plus politiques que jamais car elles impliquent, chaque fois, de nouveaux transferts de souveraineté.






2. L’Europe interpellée par la situation internationale.



Le choc annoncé des civilisations, avec son corolaire terroriste, la compétition pour l’accès aux ressources naturelles, relancée par les pays émergents, ont masqué une croissance mondiale toujours forte (5,1%) dont le caractère durable a été mis en doute par une véritable crise financière estivale. Protégée de cette dernière par un Euro fort qui montre sa réelle utilité, l’Europe n’a pas échappé aux incertitudes mondiales qui l’ont toujours plus interpellée. Malgré ses faiblesses, l’Union a, en effet, fait irruption sur la scène internationale et a pesé davantage sur son voisinage. Elle s’en est trouvée de plus en plus sollicitée.



Les divisions sur la guerre en Irak oubliées dans les difficultés américaines, l’Europe a progressé vers l’objectif d’une politique étrangère et de sécurité commune, facilités par le nouveau positionnement français concernant la relation transatlantique. Elle est loin, pourtant, de manifester l’unité lui permettant d’apparaître comme une vraie puissance sur la scène mondiale. Îlot de prospérité, elle a dû faire face à des vagues massives d’immigration clandestine. La coopération aux frontières s’est développée d’une manière inattendue. L’Agence de surveillance Frontex, s’est aventurée un peu plus dans un domaine jusqu’ici jalousement protégé par les Etats membres. Les négociations sur le système d’information sur les visas ont abouti.

 

Les menaces de prolifération ont conduit l’Europe à s’impliquer dans le difficile dossier iranien où elle a su imposer la voie de la négociation, sans toutefois parvenir à des résultats tangibles. Elle reste présente sur tous les fronts qui concernent les Droits de l’Homme, sans toutefois réussir à les imposer à ses interlocuteurs directs. Son soft power intéresse, ses crédits aussi. 5,6 milliards € ont été dépensés en 2007 pour la préadhésion, la politique de voisinage, l’aide au développement et l’aide humanitaire. Le projet d’Union méditerranéenne de Nicolas Sarkozy a mis l’accent sur la nécessité pour l’Europe de ne pas ignorer son voisinage du Sud et tracé une voie nouvelle dans les relations que l’Union doit entretenir avec le continent africain. Celui-ci s’est publiquement rebellé contre les Accords de Partenariat Economique que l’Union lui proposait pour satisfaire l’OMC qui avait condamné son système de préférences généralisées. Lors du sommet Europe-Afrique des 8 et 9 décembre, les Etats africains ont imposé la présence de Robert Mugabe, pourtant interdit de séjour sur le territoire de l’Union pour cause de violations répétées des Droits de l’Homme. L’Europe s’est révélée disposée à établir de nouvelles relations avec le continent, mais chacun a pu constater la difficulté de faire fi du passé.




Etablir avec la Russie une véritable relation, sans céder sur ses valeurs, est certainement l’un des défis les plus urgents de l’Europe alors que son grand voisin veut retrouver son statut international perdu. Les échanges économiques entre l’Union et la Russie se sont fortement accrus. L’Union exporte plus de 80 milliards € vers la Russie et importe plus de 150 milliards, essentiellement du gaz et du pétrole. Chacun a compris que les intérêts du client et ceux du fournisseur imposaient de s’entendre, même s’il est difficile de cautionner le recul des libertés en Russie. La Russie a organisé, le 2 décembre, des élections législatives controversées au cours desquelles l’opposition, harcelée et muselée, n’a pas pu assurer sa présence au Parlement. L’Union européenne, a condamné ces pratiques. Elle n’a pas, du fait du durcissement du régime russe, pu renouveler son accord de partenariat qui venait à terme fin 2007. L’Europe est à la recherche d’une politique russe, adaptée aux évolutions, une fois encore autocratiques, de son grand voisin. La Turquie n’a pas cessé d’interroger. Son destin scellera celui de « l’Islam laïque ».  Secouée par une crise politique, surmontée par des élections démocratiques, la Turquie poursuit sa modernisation sous influence européenne, mais l’hypothèse de son adhésion s’éloigne aussi bien dans les esprits que dans les cœurs. La victoire électorale des islamistes modérés, vainqueurs  d’un bras de fer dangereux avec une armée sourcilleuse, a été incontestable. Mais les Turcs restent majoritairement partisans de l’usage de la force dans les relations internationales et demeurent profondément nationalistes. Ils en ont fait usage au Nord de l’Irak, par des bombardements ciblés sur les séparatistes kurdes. La Turquie, comme ses voisins syriens et iraniens, n’a pas d’autre politique kurde que la négation de la question nationale de cette minorité qui y trouve la justification d’un extrémisme meurtrier. Ces évolutions posent désormais la question de l’ancrage européen de la Turquie. L’Union n’a pas jusqu’ici réussi à contribuer de manière décisive au règlement des « conflits gelés » de Transnistrie, d’Abkhasie ou d’Ossétie, qui tous impliquent une Russie aux accents archaïques et impériaux. Malgré une politique de voisinage renouvelée, sa volonté bute sur une absence de fermeté, due à un manque d’unité qui pose de nouveau la question : l’Union se contentera-t-elle d’être un « global payer » ou prendra-t-elle les moyens de devenir un « global player » ? L’Union a enfin jeté les bases d’une politique énergétique commune et peut-être commencé à envisager l’utilisation de sa puissance à des fins commerciales. Elle se préoccupe désormais de s’armer commercialement face aux fonds souverains gorgés des dollars et des Euro du pétrole, du gaz et de la croissance asiatique.



L’Union est de plus en plus sollicitée partout dans le monde. L’Europe unie est par définition le promoteur de l’abaissement des frontières alors que celles-ci retrouvent partout une nouvelle jeunesse (26 000 km de nouvelles frontières depuis 1991[2]). Elle s’est impliquée pour promouvoir ce message partout dans le monde. Elle peut désormais œuvrer pour l’ouverture des marchés des autres, ce qui est son intérêt. Jamais depuis longtemps les Etats membres  n’ont été aussi présents dans la vie internationale et sur les théâtres de crise en s’impliquant dans 33 opérations extérieures dont 12 relèvent de la politique européenne de sécurité et de défense, 17  de l’ONU et 4 sous mandat de l’OTAN. Contrairement à l’impression laissée par ses divergences, l’Union est présente sur la scène internationale. En 2007, elle aura ainsi tenu 84 réunions, de niveau au moins ministériel avec des pays tiers, soit une tous les 3 jours ouvrables ! L’impuissance de l’Europe, si souvent dénoncée, doit être pondérée par cette omniprésence sur tous les fronts, à travers les conseils de coopération bilatéraux ou multilatéraux et les réunions internationales de toutes natures. Sollicitée de toutes parts, l’Europe répond, y compris sur le plan militaire. Une nouvelle opération a été décidée aux frontières du Soudan Si l’on peut souhaiter qu’elle réponde de manière plus unie, cette disponibilité et cette présence constituent des nouveautés.

 

Car, par ailleurs, l’Union poursuit toujours son programme prioritaire d’unification du continent.





3. Une Europe qui continue



L’Union continue sa lutte pour l’abaissement des frontières entre ses membres. Elle a développé de nouvelles politiques. Elle n’échappe pas à des questions de fond.


L’Europe c’est l’ouverture des frontières. En 2007, l’Union européenne a signé avec les Etats-Unis un accord « Open Sky » dont les effets seront considérables. On estime que le trafic aérien transatlantique (60% du trafic mondial) pourrait croître en 5 ans de 50% ! Elle a engagé la normalisation difficile de son trafic aérien avec la Russie. Elle a étendu ses accords de libre échange (Accord de libre échange Centre-européen – ALECE) en y incluant les Balkans. Sur le plan du marché intérieur, 2007 aura été marqué par l’ouverture, le 1er janvier, du secteur ferroviaire à la concurrence, immédiatement concrétisée par l’achèvement du TGV Est le 9 juin. Le marché de l’électricité a été libéralisé le 1er juillet. La directive « Marché d’Instruments financiers » est entrée en vigueur. La libéralisation du commerce des biens et des services intracommunautaire se poursuit inexorablement pour le plus grand bien du consommateur devenu l’icône de la Commission et du Parlement européen, pendant que les Etats membres se raccrochent péniblement et sans grand succès à quelques prérogatives d’Etat qu’ils jugent légitimement indispensables à leur sécurité (jeux en ligne). De ce point de vue, l’Europe, loin d’être en panne en 2007, aura manifesté une volonté d’accélération de la libéralisation du marché intérieur.



Sous l’empire de la nécessité, les bases ont été jetées pour de nouvelles politiques. Les Conseils européens des 8 et 9 mars et du 19 octobre ont établi les fondements d’une possible future politique européenne commune de l’énergie. L’environnement a fait une irruption remarquée, tant au G8, présidé par l’Allemagne, que dans les objectifs concrets de réductions d’émission de carbone qu’a fixés la Commission (-20% d’ici 2020). La Recherche, dont le budget (2007-2013) augmente considérablement jusqu’à atteindre 53,2 milliards €, fait maintenant l’objet d’un Conseil spécial, dont la première réunion s’est tenue le 27 février. Grâce à la ténacité du Commissaire français Jacques Barrot, le projet de constellation satellitaire Galiléo, qui va permettre à l’Europe de disposer du meilleur système de positionnement par satellites, un temps menacé, a vu le jour. Il devrait générer de fortes retombées commerciales et technologiques et soutenir une industrie spatiale européenne qui n’a à rougir que de la modestie des crédits qui lui sont consacrés par les Etats. L’Agence des droits fondamentaux de l’Union a été inaugurée le 1er mars à Vienne. Le traité de Prüm, signé en 2005 entre certains Etats membres, a connu de nouveaux développements dans sa mise en œuvre. L’échange de données (ADN, empreintes, fichiers des véhicules) entre les services de police des Etats signataires est désormais facilité. Plusieurs opérations de police associant les différents services  européens ont permis des résultats non négligeables. Les grands chefs mafieux italiens en ont fait les frais. La coopération judiciaire et policière s’est attaquée aux délits sur Internet (pédophilie), s’est approfondie dans la lutte anti-terroriste et a largement anticipé les dispositions du nouveau traité réformateur. Europol s’est trouvée renforcée et son mandat étendu à toutes les formes de grande criminalité transfrontalière. Une fois encore, nécessité a fait loi et l’intégration des services et des politiques a fait des pas de géant parce que les Etats ne pouvaient pas seuls répondre aux besoins. Cette évolution renforce l’exigence impérative d’affronter quelques grandes interrogations pour l’avenir.



Nicolas Sarkozy réclame des avancées dans l’Europe de la défense, vraisemblablement un Etat-major permanent et des forces propres capables de réagir rapidement et de mener aussi des opérations de police à nos frontières. En matière de sécurité générale, le mandat européen, utilisé à de nombreuses reprises et avec succès, en 2007, mérite de nouveaux développements, par exemple l’institution d’un procureur européen. La concertation sur la politique économique et monétaire n’a jamais réellement été une priorité des gouvernements qui, en 2007, se sont divisés sur les critiques envers l’Euro, dont le taux a atteint 1,5$ en fin d’année. Pourtant, pour la première fois en 2007 le président de l’Eurogroupe et de la BCE se sont rendus à Pékin et Washington pour discuter des taux de change, une démarche peu envisageable un an auparavant.






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2007 aura marqué une sortie de crise plutôt positive pour l’Union européenne. Il n’en demeure pas moins que l’Union doute encore d’elle-même et de son rôle international. Il lui appartient de se tourner réellement vers le monde pour traiter des vrais défis qui lui sont lancés. L’année 2007 peut fonder de ce point de vue un légitime optimisme. Elle pourrait bien être une année charnière marquant une « sortie de doute », incarnée par le nouveau traité réformateur qui entrera en vigueur en 2009 à l’occasion des élections européennes.  Le caractère irréversible et indispensable de la dimension européenne pour nos nations s’est, une nouvelle fois, imposé. Après un long processus d’intégration économique, l’Union entre désormais dans une phase plus politique. Elle doit assumer sa puissance, son essence et son existence et s’affirmer davantage dans la compétition mondiale. Pour cela, elle ne doit plus refuser aucun débat. Car elle a besoin de l’appui, du soutien, voire de l’enthousiasme des peuples. Ils seront indispensables à la construction d’une Europe plus démocratique ou, tout simplement, plus populaire.


 




[1] PIB estimé pour 2007. PIB estimé pour les USA : 13 800 ma$ soit 26% du PIB mondial ; Chine : 3 250 ma$. Source : Fonds monétaire international.


[2] Michel Foucher. L’obsession des frontières, Fayard, 2007.