fr en de
portrait

Sortie de crise pour l’Europe ?

Préface de Jean-Dominique Giuliani, L'Etat de l'Union 2010. Rapport Schuman sur l'Europe, Lignes de repères, Paris, Mars 2010 (p. 19-22)



L’Union européenne est enfin parvenue à réformer ses institutions. Les observateurs prédisent qu’il n’y aura pas d’autre avancée de même nature avant longtemps. Depuis le 1er décembre 2009, elle est dotée de mécanismes et d’institutions nouvelles qui devraient lui permettre d’améliorer son fonctionnement, d’être plus présente sur la scène mondiale et de décider plus facilement.



Ce processus d’élaboration et surtout d’acceptation par les États membres fut long, plus de quinze ans, erratique, pénible et laborieux, mais il a, une fois de plus réussi.

Il a mis en exergue les attentes des Européens, la diversité réelle d’une Union à 27, les faiblesses de cette entité politique d’un genre inédit que nous avons construite sur un continent jadis perpétuellement déchiré.

Les premières nominations intervenues à la présidence du Conseil et aux fonctions de Haut Représentant pour la politique extérieure et de sécurité commune, de même que les nombreuses initiatives de la présidence tournante espagnole dès le mois de janvier 2010, montrent, s’il en était besoin, que la pratique institutionnelle sera au moins aussi importante que le droit positif pour apprécier l’impact du traité de Lisbonne sur l’Union. Un nouveau départ, c’est-à-dire une relance européenne véritable, est possible, mais ce n’est pas certain.

Chacun doit s’appliquer à tirer parti du nouveau traité pour relever les défis que la crise lance à l’Union européenne et les nouveaux rapports de force dans le monde qui l’obligent à se projeter davantage au cœur des relations internationales.



La crise économique et financière a légitimé l’unité européenne et spécialement l’euro, sa réalisation la plus fédérale. Il a protégé l’économie européenne et les Européens ; il a même contribué à éviter un crash financier mondial. Critiqué pour ce qui a fait sa solidité - l’indépendance de la Banque centrale européenne, son taux de change, sa « gestion » - il a évité le pire au marché commun de 500 millions d’Européens, qui représente le premier PIB mondial, c’est-à-dire la première zone de création de richesses du monde.



Pour autant, la crise a mis en évidence les imperfections d’un système dans lequel les États membres refusent d’abandonner à l’échelon européen des compétences nouvelles. Le crash financier a été évité par une coopération des États, dans laquelle l’esprit européen a montré de vrais progrès, mais où ils sont apparus comme les garants de dernier recours et les seuls détenteurs des moyens budgétaires de la relance face à des institutions européennes bien démunies. L’esprit intergouvernemental, qui préfère la coopération à l’unification, a retrouvé un élan certain, affaiblissant la Commission européenne et, plus généralement, la décision commune. 



De ce fait, les institutions communes n’ont pas démontré une action déterminante face à la crise alors que la construction communautaire a joué un véritable rôle de bouclier et redonné du lustre à l’économie sociale de marché « à l’européenne » que la mode de l’économie financière avait tenté de discréditer. Les fameux « stabilisateurs automatiques », c’est-à-dire les mécanismes de solidarité entre régions, catégories sociales, métiers, États, ont révélé un tissu dont la texture est une vraie signature européenne, largement partagée au sein de l’Union.



Il reste que l’Union est confrontée à un nouvel ordre du monde en pleine transformation. Son caractère inachevé, notamment sur le plan politique, constitue un handicap qu’il ne faut pas sous-estimer. L’échec de la Conférence de Copenhague a démontré que l’exemplarité ne suffit pas à convaincre sur la scène internationale. Malgré l’urgence climatique, malgré un profond mouvement d’opinion, les négociations ont abouti à un marchandage peu glorieux entre États continents, États-Unis, Chine, Inde. Faute d’unité, l’Union s’est trouvée marginalisée. Saura-t-elle en tirer les leçons ? 



De plus en plus interpellée par le monde, présente comme jamais à l’extérieur de ses frontières avec plus de 70 000 hommes sur des théâtres extérieurs sous le drapeau de 12 opérations européennes, l’Union souffre encore de la réticence de ses membres à franchir les pas décisifs qui la conduiront à disposer d’un outil militaire commun crédible, seule condition d’une politique étrangère européenne indépendante, forte et active.



Or il y a urgence. Les évolutions démographiques, économiques et géopolitiques imposent des avancées européennes urgentes vers plus d’unification, sous l’empire de la nécessité et pour éviter la confrontation sino-américaine qui se dessine.



La période qui s’ouvre est donc pour l’Union particulièrement cruciale. Elle doit s’interroger sur son identité dans le monde, c’est-à-dire ses limites, son modèle. Elle peut en tirer les conséquences qui s’imposent et notamment celles tenant à sa puissance et à ses moyens. Seule une Europe puissante et peut-être une Europe puissance, à l’échelle des États continents peuvent assurer la survie de son modèle de société. L’on sait que les États membres ne sont pas d’accord pour ouvrir ce débat qui est d’ores et déjà posé. Il en va de même de l’élargissement de l’Union, désormais refusé par une majorité d’Européens, comme le montre les études d’opinion réalisées pour les institutions communes. C’est enfin aussi l’objectif d’une Europe plus « politique », c’est-à-dire fidèle à ses Pères fondateurs, Robert Schuman et Jean Monnet, qui ne saurait être gouvernée comme une organisation internationale de plus, une sorte « d’ONU régionale », mais bien comme une puissance en constitution, un ensemble politique en construction, une « fédération », déjà annoncée le 9 mai 1950. Cela exige des réformes dans le fonctionnement et les politiques de l’Union, qui ne doivent pas seulement être appliquées en fonction d’objectifs internes, mais de plus en plus au regard des exigences extérieures. Les acteurs du grand jeu européen doivent élaborer de nouvelles politiques communes plus fortes, comme au voisinage de nos frontières, et démontrer une pratique différente de la vie institutionnelle. La mise en œuvre du nouveau traité de Lisbonne permettra de juger des transformations en cours, des nécessités nouvelles et d’une pratique renouvelée.



Le présent ouvrage a pour objectif d’offrir chaque année à ses lecteurs tous les éléments d’une prise de conscience nécessaire que l’ensemble de ses auteurs, chacun dans sa spécialité, a su mettre en évidence. Unique en son genre, il met à la disposition du plus grand nombre des statistiques et des cartes inédites ainsi que les contributions d’éminents spécialistes, parmi les meilleurs de leur discipline et d’acteurs de premier plan sur la scène nationale ou européenne. Tous ont bien voulu accepter de consacrer leurs travaux à l’unité de l’Europe qui demeure la chance privilégiée de continuer à compter dans le nouveau monde.